La compétitivité d'une enteprise
dépend directement de la qualité des connaissances auxquelles
ses employés ont accès : être mieux informé
que la concurrence est un objectif majeur pour chaque firme. Ce qui explique
le succès des outils de partage des connaissances - ou KM. Pour
Etienne Wenger cependant - l'un des gourous du collaboratif -,
les managers ont une idée bien trop restrictive du partage des connaissances,
qui se cantonne souvent à des bibliothèques statiques, des
répertoires de documents écrits.
Pourtant, "ce sont les savoirs dynamiques
qui font la différence - explique posément E.Wenger
dans une article de Systems Thinker. Ce qui requiert la participation
de personnes totalement immergées dans le processus de création,
raffinement, communication et utilisation des connaissances".
Un
mystérieux lieu d'échange
Ces acteurs échangent leurs savoirs - sans même que
l'entreprise en soit consciente - au sein de "communautés
de pratique". Un lieu d'échange méconnu
et pourtant capital pour la circulation des savoirs. Etienne Wenger soutient
que ces communautés de pratique sont "la connaissance la plus
dynamique et la plus versatile de l'entreprise, une ressource qui constitue
le socle de sa capacité à savoir et à apprendre".
Mais quels sont donc ces lieux importants
qui se constituent sans que la hiérarchie n'en sache rien ?
Ce sont des groupes d'hommes reliés par un intérêt
commun : partager les connaissances dont ils disposent sur un sujet
précis.
Ce sont des réseaux d'échanges
qui transcendent les divisions habituelles de l'entreprise : ils
relient couramment des acteurs de business units différents, voire
parfois d'entreprises différentes. Une communauté de pratique
vit sa vie au loin des business unit : contrairement aux lignes métier,
les communautés ne visent pas à exécuter des objectifs
productifs, mais seulement à partager des connaissances.
Organismes auto-gérés
Les communautés de pratique
ont donc une identité sociale propre, elles partagent des codes
de communication communs (vocabulaire, habitudes, etc.). Elles utilisent
sans étât d'âme les canaux de communication qui sont
à leur disposition pour véhiculer les informations :
ce peut être une discussion au cours d'une pause déjeuner,
une coup de téléphone, une réunion, un outil de travail
collaboratif, etc.
Ces mystérieuses entités sont
dotées de leur propre système de régulation, de leurs
propres leaders charismatiques, etc. Elles se constituent spontanément
autour d'un centre d'intérêt commun, connaissent des débuts
tempérés avant de bénéficier d'un pic d'activité.
Une ressource précieuse
Pour les entreprises dont la valeur
repose sur la somme des connaissances, il est impératif de choyer
ces communautés de pratique, plutôt que de les laisser dans
l'ombre, ou de les combattre - explique en substance Etienne Wenger.
Ces lieux excellent en effet dans l'art du
partage des connaissances : ses membres savent ce qui doit être
communiqué, ils connaissent les dernières évolutions
du thème traité, ils propagent l'information de façon
vivante, en calibrant les réponses sur les demandes des autres
membres. Les communautés de pratique permettent également
de personaliser la communication, de donner une identité à
la source d'information. Une bouée dans une mer d'informations,
en somme.
Qui plus est, les communautés de pratique
sont capables de développer des points de vue qui transcendent
les business units, et d'impulser des projets transversaux.
Autant de raison de leur offrir de bonnes
conditions d'épanouissement. Le tableau suivant résume les
conseils d'Etienne Wenger pour la création d'une atmosphère
idéale.
La bonne gestion
des communautés de pratique.
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1
/ Connaître
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Constituer un
service de veille
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Pour contrôler, orienter et
améliorer le fonctionnement des communautés de pratique,
il faut se donner les moyens humains de les observer, et apprendre
à connaître celles qui composent l'enteprise. L'équipe
chargée du suivi des communautés de pratique ne sera
pas très lourde à mettre en place, elle sera avant
tout chargée de répertorier les communautés
de pratiques, d'identifier leur mode de fonctionnement, et d'évaluer
les retombées de leurs échanges d'informations. Un
préalable indispensable avant toute action.
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Mettre les acteurs
en relation
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L'entreprise gagnera à partager
ces informations : les communautés de pratique ne sont
pas toujours idéalement reliées aux acteurs de l'enteprise.
Il faut donc mettre en relation chaque communauté avec les
communautés qu'elle ignore, mais qui pourraient enrichir
son fonctionnement. Il faut également informer les hommes
qui pourraient apporter de la richesse à une communauté
qu'une communauté de pratique existe. Il faut enfin développer
des connexions plus efficaces entre les unités orientées
métier et les communautés de pratique : les ponts
entre les métiers et les connaissances sont parfois trop
frêles. Ce travail optimisera le partage d'informations.
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2
/ Valoriser
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Leur ménager une place
symbolique
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Il est souvent profitable de faire
rentrer les communautés de pratique dans les valeurs de l'enteprise.
Le fait de leur attribuer un nom, et d'en faire la publicité
incitera les employés à en faire l'expérience,
et à en tirer profit. Le fait de les présenter de
façon élogieuse vaincra les réticences de certains.
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Respecter les
communautés existantes
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Une communauté de pratique
fonctionne de manière autonome. Dans la presque totalité
des cas, elle réagira mal à une prise de contrôle
extérieure. Etienne Wenger conseille donc aux managers de
ne pas les orienter de façon autoritaire - depuis l'extérieur -,
mais plutôt de les pénétrer par l'intérieur,
et de soumettre chaque orientation au débat. E.Wenger souligne
que la plupart des communautés fonctionnent très bien
sans intervention extérieure, et qu'il faut la plupart du
temps se retenir de les pénétrer.
De même, il faut respecter
les communautés existantes, et éviter d'instaurer
des systèmes de partage des connaissances depuis zéro,
en ignorant les communautés de pratique déjà
existantes. Ce serait commettre une double erreur : tout d'abord,
les salariés pourraient s'en trouver contrariés. Qui
plus est, un nouveau système de partage des connaissances
a tout intérêt à s'appuyer sur les processus
déjà existants, qui ne pourront rendre le système
de partage final que plus efficace.
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Récompenser
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Il est difficile de mettre en place
des systèmes de récompense. Cependant, Etienne Wenger
estime qu'il faut tout de même essayer de renforcer certaines
communautés de pratiques avec un tel générateur
de motivation. Une astuce permet en effet de tempérer les
réticences : il faut en effet glisser le débat
sur la récompense de certains participants dans le coeur
même de la communauté, et laisser ses acteurs en débattre.
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3
/ Aider
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Libérer
du temps
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Pour renfocer la participation à
certaines communautés de pratique, il faut permettre au salarié
de dégager des fenêtres dans son emploi du temps. Ce
qui implique de le dégager de certaines de ses obligations.
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Eliminer les
entraves
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Les communautés de pratique
entrent en conflit avec d'autres entités dans l'entreprise,
dont les intérêts à courte vue divergent avec
celui du partage de la connaissance. Il faut donc que l'équipe
chargée de faire prospérer les communautés
de pratique fasse sauter ces résistances l'une après
l'autre. Ce qui implique de modifier la façon dont les agendas
sont structurés, de sensibiliser l'encadrement, et d'intervenir
en cas de conflit.
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Donner
des moyens matériels
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C'est l'un des rôles majeurs
de l'équipe qui suit les communautés de pratique :
aménager des conditions matérielles propices à
l'épanouissement de ces communautés. Ce qui passe
par la fourniture de salles de réunion, le financement de
voyages, et bien sûr la mise à disposition de logiciels
de travail collaboratif et de KM, avec le support technique et la
maîtrise d'ouvrage qui les accompagnent. Mentionnons aussi
l'utilité de la mise à disposition d'une expertise
en terme d'organisation des communautés de pratique, à
laquelle elles pourront faire appel si elles le désirent.
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[Nicolas Six, JDNet]