L'obligation de conseil du prestataire informatique
Par Maître Jérôme Perlemuter (Cabinet Salans)

Par JDNet Solutions (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/solutions/0302/030213_trib_juridique.shtml
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A bien des égards, lorsqu'une société souhaite faire développer une solution informatique par un prestataire, il lui est difficile d'en comprendre précisément tous les aspects techniques. La matière informatique est en effet, par nature, particulièrement complexe.

C'est pourquoi la jurisprudence a développé, à la charge des prestataires informatiques et au bénéfice de leurs clients, une obligation inhérente aux contrats dits informatiques : l'obligation de conseil.

Cette obligation de conseil se distingue des simples obligations d'information, de renseignement, ou même de mise en garde, parfaitement classiques en droit commun des contrats en ce qu'elle est plus contraignante.

Elle impose notamment au prestataire informatique de s'informer des besoins réels de son client et de lui livrer des outils adaptés à ces besoins.

Le respect de cette obligation de conseil est crucial, dans la mesure où tout manquement est sanctionné sur le terrain de la responsabilité contractuelle et la jurisprudence est constante sur ce point. Dès lors, le manquement à cette obligation peut justifier la résolution du contrat et l'attribution de dommages-intérêts et ce, en vertu de l'article 1184 du Code civil.

Mais quels sont les contours réels de cette obligation de conseil ? Une jurisprudence nombreuse, et en grande partie récente, a eu l'occasion de les clarifier. Quatre enseignements majeurs nous paraissent devoir ici être soulignés :

1. Le prestataire doit s'informer précisément des besoins de son client
Qu'il s'agisse de mettre en place une solution spécifique ou une solution standard, le prestataire informatique a toujours l'obligation de rechercher quels sont les besoins de son client.

Dans un récent arrêt du 19 février 2002, la Cour de cassation a confirmé le raisonnement d'un arrêt de Cour d'appel qui avait mis à la charge du prestataire, même en présence de progiciels standards, une obligation de recherche de la volonté du client et de ses besoins.

C'est donc de manière extensive que la jurisprudence envisage l'obligation de conseil, et son respect s'étend à toutes les hypothèses où une solution informatique - spécifique ou non - est mise en place par une société informatique.

2. Le prestataire doit intervenir, en tant que de besoin, dans la définition des besoins de son client
S'il appartient au client d'exprimer ses besoins, le prestataire ne saurait dénoncer, par principe, les insuffisances du cahier des charges qui lui est remis.

Le Tribunal de commerce de Paris a en effet précisé, dans une décision du 23 mars 2000, qu'en sa qualité de professionnel chargé de conseiller son client, le prestataire doit attirer immédiatement l'attention de celui-ci sur les éventuelles carences du cahier des charges.

Cette décision est parfaitement conforme à une jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, qui avait retenu la faute du prestataire qui avait accepté de s'engager sur des objectifs définis en termes généraux, sans demander aucune clarification ni implication supplémentaire de sa cliente. Pour la Cour, "le prestataire était en mesure de prévoir, dès l'abord, les difficultés ultérieurement rencontrées".

Dès l'origine d'un projet informatique, le prestataire doit donc examiner le cahier des charges que lui adresse son client avec la plus grande attention et, éventuellement, participer à la définition de ses besoins. Faute d'accomplir ces diligences, il peut engager sa responsabilité pour n'avoir pas dispensé à son client les conseils appropriés.

3. Le prestataire doit livrer des outils adaptés aux besoins de son client
La jurisprudence estime, en matière de contrats informatiques, que le caractère inadapté des logiciels vendus est de nature à engager la responsabilité du prestataire sur le fondement du manquement à son obligation de conseil.

Ainsi, dans un arrêt du 15 mai 2001, la Cour de cassation a jugé qu'en mésestimant les besoins réels de son client et en lui vendant un logiciel non adapté à ceux-ci, un prestataire n'avait pas respecté son obligation de conseil.

Dans un arrêt précédent, la Cour de cassation avait déjà conclu qu'"après avoir relevé que le système informatique conçu par [le prestataire] était totalement inadapté aux nécessités économiques, pour avoir été fondé sur des considérations trop théoriques, trop difficiles à accorder aux particularités de l'entreprise utilisatrice et de sa clientèle, la Cour d'appel, par ce seul motif, a pu retenir la responsabilité [du prestataire]".

En d'autres termes, en sanctionnant, en aval, l'inadéquation entre les besoins du client et la solution installée, la jurisprudence tire les conséquences de l'absence de conseil du prestataire en amont. Cette solution audacieuse confirme l'étendue que peut avoir l'obligation de conseil.

4. L'obligation de conseil s'applique à l'égard des clients spécialistes et profanes
Même si ce point demeure discuté, la jurisprudence a plusieurs fois consacré le principe selon lequel l'obligation de conseil du prestataire informatique pèse même à l'égard d'un client ayant des connaissance en la matière.

Par une décision du 29 juin 2001, la Cour d'appel de Paris a ainsi considéré que l'obligation de conseil s'impose au prestataire même si le client est un professionnel disposant de compétences en informatique. Les juges d'appel ont sanctionné le prestataire informatique qui n'avait pas cru devoir s'informer des besoins de son client, alors même que l'activité de ce dernier consistait à dispenser des formations informatiques.

Toutefois, lorsque le client est novice, les juges se révèlent plus sévères à l'égard du prestataire. Ainsi, dans un arrêt plus ancien, la Cour de cassation avait retenu la responsabilité d'une société informatique pour n'avoir pas cerné de façon précise les besoins de sa cliente en soulignant le contraste entre la première, vendeur professionnel de produits informatisés complexes très spécialisés, sophistiqués et, la seconde, entreprise néophyte en la matière.

Force est donc de souligner que les juges ont eu l'occasion, à plusieurs reprises, de retenir la responsabilité du prestataire informatique sur le fondement du manquement à l'obligation de conseil.

Reste que pour le client, il est souvent délicat de prouver que son prestataire ne lui a pas dispensé les conseils appropriés. En effet, pour engager la responsabilité de son prestataire sur ce fondement, il lui appartient de rapporter la preuve d'un fait négatif : l'absence de conseil. Or, cette preuve est toujours difficile à fournir.

Par ailleurs, parallèlement à l'obligation de conseil, la jurisprudence a mis en place une " obligation de collaboration " à la charge du client, qui lui impose de rendre plus aisée la tâche du prestataire informatique. En cas de contentieux, les juges sont donc amenés à procéder à un arbitrage entre ces deux obligations et se livrent à une analyse précise des faits et des obligations de chacun, analyse dite in concreto.

En amont, le même équilibre doit être recherché dans la rédaction des contrats informatiques, dans la définition des obligations des parties.

 



Tribune publiée par Rédaction le 13/02/2003



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