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Analyse
24/07/2007
Le PC à 100 dollars, ce cheval de Troie éducatif
XO, l'ordinateur du programme OLPC (One Laptop Per Child) vient d'entrer en phase de production. Quanta, l'entreprise taiwanaise numéro un dans le monde de la construction d'ordinateur portable, a été choisie au mois de mars 2007 pour produire ces ordinateurs. Ils seront distribués aux élèves des pays en voie de développement par le biais des ministères de l'éducation des différents pays clients du programme. Quanta va ainsi pouvoir monétiser le concept à des fins commerciales, selon Michael Wang, le président du groupe. Nicholas Negroponte, l'initiateur du projet, clame haut et fort qu'il s'agit là d'un programme d'éducation et non d'une visée commerciale en direction des pays du tiers monde. Ce discours est relayé par l'ex-secrétaire des Nations unies, Koffi Annan, qui parle, lui, de "l'expression d'une solidarité globale" qui "ouvrira de nouvelles frontières" pour l'éducation des enfants. Noble cause donc, qui se verra appuyée par de nombreux constructeurs et éditeurs informatique, dont tout récemment le fondeur Intel. Sans remettre en question la nature du programme OLPC, l'annonce de Quanta d'une production commerciale du XO en 2007-2008 donne tout de même un indice sur l'intérêt des acteurs économiques à propos de ce type de projet d'ordinateur à bas prix. Le marché informatique des pays émergents est en passe de devenir une manne pour les constructeurs, et même si leur approche se fait par le biais de programmes humanitaires, on peut parier que la philanthropie affichée n'aura qu'un temps.
Les chiffres de vente de PC pour les deux premiers trimestres de l'année 2007 montrent que le marché des pays émergents est en pleine croissance, là où ceux des Etats-Unis et du Japon ralentissent, voire diminuent. Dès lors, la porte d'entrée éducative de ces marchés pour les acteurs informatiques est rentable pour plusieurs raisons. La première, c'est que les écoliers d'aujourd'hui sont les consommateurs de demain. Tester le modèle économique et les performances des PC à bas prix au travers de programmes éducatifs permet de prendre un peu d'avance sur la concurrence et obtenir un retour rapide sur la manière d'optimiser ce marché naissant. Cette implantation permet également de tester une politique de prix à destination de ces pays. L'ordinateur à 100 dollars est bel et bien enterré et il est maintenant certain que les différents PC éducatifs seront disponibles à un prix supérieur à celui médiatisé au lancement du projet. Le XO coûtera 175 dollars et pourrait tomber en 2009 à 100 dollars si les économies d'échelle sont atteintes. Le Classmate PC de Intel est annoncé à 400 dollars. Les portables chinois sont estimés à un prix de 250 euros.
Mais au vu de la progression des ventes, ces prix en hausse ne devraient pas être un obstacle majeur (lire le tableau 1). Aujourd'hui, 25% des PC vendus dans le monde sont achetés dans les pays émergents, et surtout, 55% de ces PC sont un premier achat. Un tel taux de pénétration devrait permettre de réaliser de bien belles opérations sans pour autant casser les prix en-dessous de 200 euros. Capacité d'absorption du marché On peut faire un parallèle avec le marché de l'automobile sur les marchés émergents. La Logan et le projet de Renault de voiture à 3 000 euros à destination de l'Inde participent de la même stratégie économique que celle des constructeurs informatiques et de leurs offres de PC à bas prix. Le prix de ces offres n'est pas défini par une marge de rentabilité minimum des produits, mais par la capacité de marchés à forte croissance de pouvoir d'achat à acquérir ce bien, basé sur la capacité d'absorption interne.
Quanta, jusqu'alors connu pour sous traiter les plus grandes marques de l'informatique (HP, Dell, mais aussi Acer) souhaite donc jouer sur l'économie d'échelle nécessaire à l'OLPC pour être rentable (il faut distribuer 3 millions de XO pour cela). Il pourra ensuite vendre son clone de XO au prix de 200 dollars sans se soucier du volume de production (voir tableau 2). Et les participants occidentaux du projet OLPC (AMD, Intel, Red Hat ) pourraient à terme eux aussi profiter de leur participation à ce projet pour gagner des parts de marché.
Pour autant, le marché des pays émergents n'est pas acquis d'avance aux constructeurs américains et japonais. Le Dell EC280 lancé au mois de mars dernier par Dell en Chine, d'un coût de 250 dollars, rencontre la concurrence féroce de Lenovo sur son propre terrain de jeu. AMD avec son PIC (Personnel Internet Communicator) mais aussi le Simputer en Inde ont connu des échecs à vouloir s'attaquer à ces marchés émergeants. Il faut dire que des sociétés chinoises comme Sinomanic proposent des gammes entières de produits à bas prix. Basé sur des processeurs chinois, ces ordinateurs proposent des prix intéressants (voir tableau 3) pour des performances de plus en plus remarquables. Le modèle GX-2 de Sinomanic est vendu à un prix déjà inférieur à celui du XO, soit 130 dollars. Ces ordinateurs se déclinent sur différents secteurs (éducation, zones rurales, business) et les coûts de production semblent moindres que ceux de leurs concurrents.
Autre force, les constructeurs chinois bénéficient d'une implantation locale et de l'appui des autorités. Le processeur chinois Godson, qui équipe la gamme GX des ordinateurs de Sinomanic, a été mis au point par la très influente académie des sciences chinoise. Nul doute que les autorités chinoises mettront tout leur poids dans la balance pour influencer la réussite de ces ordinateurs maisons face aux ambitions d'acteurs étrangers.
Enfin, la Chine, qui est vue aujourd'hui essentiellement comme un marché à prendre par les acteurs occidentaux, pourrait devenir un concurrent redoutable sur les autres marchés émergents. Ainsi, au printemps dernier, c'est tout le parlement du Burkina Faso qui s'est vu offrir par le gouvernement de Pékin l'équipement informatique nécessaire à son fonctionnement.
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