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Analyse
 
23/01/2008

Quels leviers pour libérer la croissance de l'Open Source ?

Malgré une croissance forte, l'Open Source n'a pas encore vaincu tous les freins à son adoption : pérennité de l'éditeur, responsabilité, coût, support et inertie des habitudes demeurent.
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Malgré un engouement réel pour les technologies Open Source et les logiciels libres (Linux, Apache, MySQL, PHP bien sur, mais aussi OpenOffice, Mozilla Firefox, Java pour ne citer que les plus connus), le marché des logiciels libres en France semble peu visible. Aucun acteur n'a encore réellement émergé en France comme Red Hat, Novell, IBM ou Sun Microsystems dans ce domaine.

Dès lors, quels sont les freins à l'émergence d'un écosystème fort du logiciel libre en France et quels sont les leviers possibles pour y aboutir ? D'après les spécialistes du secteur, ils sont multiples mais principalement liés à l'évolution des mentalités et aux lourdeurs administratives. A l'inverse, il est aujourd'hui moins courant de se battre contre des clients fermement opposés à ces logiciels, ou trop frileux pour en envisager l'usage. Preuve que si tous n'ont pas été levés, certains freins commencent à disparaître.

"Nous n'en sommes plus à des freins d'image, qui ont pu perduré jusqu'en 2003 / 2004, où les logiciels libres étaient connotés gauchistes, ou comme un mouvement étudiant. Les freins aujourd'hui chez les clients sont plutôt d'ordre pragmatiques : qui est responsable, qui se charge du support, quels sont les engagements de maintenance, quels services associés ? Il faut apporter des éléments de réponse en tant que spécialiste du logiciel libre sur ces questions", constate Patrick Bénichou, P-DG d'Open Wide.

Et sur ces questions, l'offre a beaucoup progressé. Des éditeurs Open Source proposent des repères aux clients, avec des niveaux de services (SLA), des offres de support classiques (basic / premium / gold), et des feuilles de route en matière de développement. Ils sont les garants de la correction de bugs, des évolutions du logiciel dans le temps et, d'une manière générale, de sa pérennité. Par ailleurs, les sociétés de services peuvent aussi remplir le rôle tampon et se présenter comme les garants du logiciels libres.

Une offre de support qui répond aux attentes, mais une tarification encore trop liée à la taille du parc client

Autant de facteurs qui rassurent les clients. Cependant, si sur ces questions les mentalités ont progressé, tous les acteurs n'avancent pas au même diapason. Entre les acteurs du logiciel libre à 100%, les éditeurs qui se réclament Open Source, les éditeurs traditionnels qui se mettent à vendre du logiciel libre, et les éditeurs à mi-chemin entre le libre et le propriétaire, il existe une multiplicité de modèles différents.

"De plus en plus, les clients se demandent si l'Open Source ne va pas leur coûter aussi cher que le logiciel propriétaire. Nous avons par exemple des remontées de clients agacés à propos de la politique de support chez Red Hat. Pourquoi cela ? Pour moi, l'erreur de certains éditeurs Open Source consiste à avoir des modèles de souscription calqués sur le nombre de licences. Tant que le client s'implique sur des projets de faible taille, le modèle ne pose pas de problème aux clients", déclare Patrick Bénichou.

"Mais sur des parcs de 200 ou 1 000 serveurs, la migration coûte très cher. Les clients attendent que les modèles de souscription se démarquent et ne soient plus liés au nombre d'utilisateurs ou de serveurs. Ils attendent plutôt un service global. Les grands comptes nous regardent, en tant qu'intégrateur, comme un acteur capable de gérer justement ce facteur multiplicateur", ajoute le dirigeant d'Open Wide.

Le foisonnement de projets, qui a pu apparaître un temps comme un facteur de confusion dans l'esprit des clients, s'est aussi résolu avec le temps. Désormais, par catégorie, quelques produits clés émergent et se retrouvent en concurrence face aux solutions propriétaires. A coté de ces produits phares, la concurrence s'active dans des domaines plus spécialisés à l'instar du domaine propriétaire.

"Il faut comparer ce marché avec le marché traditionnel de l'édition logicielle. Or aujourd'hui, on dénombre pas moins de 3 000 éditeurs en France, dont seulement 5 à 10% sont Open Source. Pourtant, d'après une étude du Syntec, environ 50 à 60% de ces éditeurs intègrent des briques Open Source dans leur logiciel", estime Stéfane Fermigier, P-DG de Nuxeo.

Un marché éclaté, très technique, où la veille fait loi mais qui n'est pas différent du marché de l'édition traditionnel

"Le marché traditionnel est aussi éclaté que celui de l'Open Source, et les deux se mélangent d'ailleurs. Je comparerais le foisonnement de projets avec la feuille de route d'un éditeur propriétaire : ce sont des pistes de développement qui, parfois, vont aboutir, parfois non. Et le coté darwinien de la sélection des logiciels libres met finalement ce fonctionnement au grand jour, c'est la seule différence", soutient Gilles Polart-Donat, P-DG de la SSLL Alixen.

En revanche, le logiciel libre est encore souvent l'apanage des profils techniques. Et des profils évoluant en société de services mais aussi chez les éditeurs doivent apprendre à parler avec des clients parfois peu concernés par ces aspects. Ce frein, particulièrement vrai au démarrage de l'Open Source, est en passe d'être résolu grâce aux formations initiales (écoles d'ingénieurs et facultés) qui intègrent les logiciels libres à leur enseignement, mais aussi aux partenariats entre SSII et SSLL.

Mais l'un des principaux freins est avant tout dans la concurrence et le chaos de l'offre sur ce marché en croissance. Un marché qui attire les entreprises qui se veulent les nouveaux champions du logiciel. Or, éditeurs et SSII vont vendre par exemple du support. Parfois même, dans le cas d'Oracle, un éditeur tiers va vendre le support de la plate-forme associée (ici Red Hat Enterprise Linux). Le marché est même souvent découpé entre une offre de support fermée pour assurer ses revenus, et une autre version gratuite et véritablement Open Source.

Les grandes SSII se retrouvent elles mêmes tiraillées entre les deux mondes. Pour ne pas perdre d'appels d'offres, elles sont ainsi tentées de vendre des offres Open Source à leurs clients. Toutefois, elles ont parfois fondé leur fonctionnement même sur un commissionnement de leurs commerciaux en fonction du nombre de licences vendues pour tel éditeur du marché. Un double discours qui trouble les clients.

Une véritable inertie des mentalités et de l'administration à vaincre pour continuer à avancer

Enfin, le marché se retrouve face à certaines inerties qu'il est difficile de vaincre. "Sur le marché du poste client Linux, il faut tout de même constater que nous sommes en France sur une génération qui s'est mise à l'informatique au cours de sa carrière professionnelle. Cette génération n'est pas née avec l'informatique, et sa formation a été assez douloureuse dans l'ensemble. Les gens n'ont aujourd'hui clairement pas envie de changer leurs réflexes d'utilisation", explique Patrick Bénichou (Open Wide).

Mais pour progresser ensemble, les acteurs du marché tentent de se regrouper. En témoigne des initiatives comme le projet System@TIC. Ce pôle de compétitivité intègre une composante dédiée aux logiciels libres et a pour objectif de renforcer les liens entre éditeurs, intégrateurs et laboratoires de recherche. Des organisations comme la FNIL (Fédération nationale de l'industrie du logiciel libre) regroupent des professionnels du secteur. Le Syntec informatique a mis en place de son coté une commission chargée de ses questions.

 
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Mais les professionnels attendent aussi un coup de pouce de la part de l'Etat pour construire un éco-système performant et de futurs champions du logiciel libre. "Je pense qu'il est nécessaire de nommer un secrétariat d'Etat dédié à l'économie numérique, qui prendra en particulier en compte la dynamique du logiciel libre. Aujourd'hui, la réalité est que Red Hat pèse 600 millions de dollars, et se trouve largement devant tous les acteurs français et européen", affirme Alexandre Zapolsky, P-DG de Linagora.

"En Europe, dès qu'une grosse entreprise sort du lot, comme MySQL ou SuSE, elle se fait racheter par un acteur américain. Force est de constater que nous sommes incapables d'avoir des champions nationaux indépendants avec nos outils actuels. Et ce n'est pas étonnant. Les mécanismes de financement de l'innovation sont trop complexes et trop longs pour être efficaces. De même, il est très difficile d'obtenir de l'aide et de l'accompagnement à l'export. Pourtant, il y a de l'argent. Mais il ne va pas directement aux entreprises, plutôt à des organismes chargés d'attribuer des subventions", conclut Alexandre Zapolsky.



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