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14/01/2008

Anne-Sophie Poggi (Derriennic Associés) : "Les éditeurs américains ont des pratiques contractuelles aussi contraignantes que leurs produits"

Touchant le cœur d'activité de l'entreprise, l'ERP nécessite de prendre des précautions juridiques particulières pour éviter les mauvaises surprises. Et les résultats aléatoires d'un procès avec son éditeur ou intégrateur.
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Anne-Sophie Poggi
(Derriennic Associés)
 
 
 

Quelles sont les spécificités et domaines de compétences de votre cabinet ?

Notre cabinet Derriennic Associés est spécialisé depuis plus de trente ans dans l'informatique et développe ses compétences au rythme des nouvelles technologies, multimédia, télécoms, Internet. Nous sommes une équipe d'une quinzaine d'avocats, dont cinq associés, ayant une compétence chacun de plus de quinze ans dans les NTIC.

Je vais implémenter un ERP pour la première fois ; quels conseils donneriez-vous ?

Quand une entreprise implémente un ERP pour la première fois, elle doit prendre conscience qu'il s'agit d'un projet d'entreprise touchant le coeur de son activité, ses méthodes de travail et ses règles de gestion.

En conséquence, elle doit accepter les contraintes très structurantes de l'ERP en développant un cahier des charges très précis en fonction de ses besoins et accepter de voir traiter ses besoins différemment compte tenu de l'approche standardisée d'un ERP.

Comment bien rédiger mon contrat de maintenance et de licence ? Quels points ne dois-je absolument pas négliger ?

Avant de rédiger un contrat de maintenance et de licence, il faut rédiger un contrat d'intégration qui comporte l'expression de besoins, une phase d'analyse d'écart entre les besoins et la solution ERP, un calendrier comportant des tâches à respecter par les équipes de chacune des parties, une procédure de spécification fonctionnelle, une procédure de réception et surtout prévoir la mise en oeuvre, en parallèle d'un accompagnement au changement.

Le contrat d'intégration est un contrat quasiment de partenariat car l'intégrateur a besoin de toute l'implication des équipes du client et de la direction générale pour mener à bien le projet. Parallèlement à ce contrat d'intégration, se négocie le contrat de licence et de maintenance associée.

Très souvent, les éditeurs ont leur propre contrat et accepte peu les modifications surtout si ce sont des gros acteurs du marché. En tout état de cause, la licence doit prévoir un périmètre précis : le nombre d'utilisateurs, le type de machine sur lequel est implanté l'ERP, le lieu géographique et la durée de la licence. Quant au contrat de maintenance, il faut au minimum vérifier que les corrections aux anomalies sont apportés dans des délais raisonnables et qui tiennent compte des contraintes de l'activité de votre entreprise.

Là encore, l'éditeur peut imposer des rythme de mise à jour et il convient de vérifier qu'ils sont compatibles avec votre propre rythme. Il faut également prévoir des compétence informatiques internes ne serait-ce que pour dialoguer avec les équipes de l'éditeur.

 
Cécile Debise © Benchmark Group
 
L'ERP reste un outil et un support pour aider l'entreprise à développer son activité mais n'est pas la panacée"

Quels sont les principaux problèmes dans la mise en œuvre d'un système ERP ?

Les principaux problèmes qu'on rencontre dans ce type de projet sont de deux ordres : la non acceptation par les utilisateurs des nouveaux outils et des contraintes qu'ils impliquent éloignés de leurs habitudes et l'absence d'implication de la direction générale qui attend de son prestataire de fédérer des besoins qui ont été mal appréciés.

La solution informatique ne peut en aucun cas fédérer les besoins. C'est à l'entreprise de mettre en oeuvre l'organisation interne et les processus associés préalablement et ne pas attendre que l'ERP règle l'absence d'organisation interne.

L'ERP reste un outil et un support pour aider l'entreprise à développer son activité mais n'est pas la panacée.

Qu'est-ce qui distingue la rupture de contrat d'un ERP d'avec un autre élément du SI ? En quoi l'ERP nécessite-t-il de prendre des précautions particulières ?

L'ERP inclut toute les grandes fonctions de l'entreprise : les ressources humaines, la compta/finance, la production, la gestion commerciale .... Il touche le cœur d'activité et modèle l'organisation d'un bout à l'autre de la chaîne. En conséquence une rupture d'un contrat ERP peut être dramatique pour l'entreprise, la laissant avec un vieil outil ne correspondant plus aux besoins et aux marchés.

En sus les investissements sont conséquents en termes humains, financiers et de ressources temps. Dès lors prendre la décision de rompre peut être douloureuse tant en raison de l'investissement passé, de l'investissement qu'il faudra faire pour prouver la faute de l'intégrateur/éditeur et la perte d'un outil informatique.

L'ERP nécessite de prendre des précautions particulières car le juge saisi d'un litige sera attentif à vérifier que l'entreprise cliente a laissé les moyens à l'intégrateur de mener le projet à son terme et qu'elle s'est impliquée à hauteur de ce que nécessite un tel projet.

Lorsqu'on cherche à acquérir un ERP, comment faire le bon choix ?

Le choix de l'ERP est déterminant. En cas de litige, le juge vérifiera les conditions dans lesquelles ce choix a été effectué. Non seulement les démonstrations sont appréciées mais également, les références fournis par l'intégrateur/l'éditeur dans le domaine d'activité du client et également le document d'analyse d'écart entre les besoins définis dans le cahier des charges et les fonctions couvertes par l'ERP.

Quels sont d'après vous lors de la mise en place de l'ERP les signes avant-coureurs d'un échec ?

Il y a effectivement des signaux d'alarme dans un projet ERP qui se déroule mal. Les premiers signaux sont l'impossibilité de sortir de la phase de spécifications. Le client ajoute toujours plus de demande et l'intégrateur cherche à y répondre en prévoyant toujours plus de développement spécifiques qui vont alourdir voir détourner la logique propre à l'ERP.

Les problèmes de délais sont également souvent révélateur d'un malaise. Toutefois le client doit accepter de voir des dérives calendaires qui sont habituelles dans ce type de projet. Quand il y a une perte de confiance dans la capacité de l'intégrateur à respecter ses délais, il faut mettre en oeuvre un plan d'action avant que la situation dégénère et se bloque. Il y également le risque que l'éditeur ne fournisse pas la correction à une anomalie bloquante et empêche le projet d'avancer. Dans ce cas, il faut que le client et l'intégrateur soient tous les deux en phase pour faire pression.

 
Cécile Debise © Benchmark Group
 
"La jurisprudence fait peser la responsabilité sur celui qui prend la décision de rompre un contrat avant son terme"

Que risque-t-on en cas de rupture abusive de contrats ? Avez-vous des exemples concrets à donner ?

Prendre la décision de rompre un contrat ERP n'est pas neutre. La jurisprudence fait peser la responsabilité sur celui qui prend la décision de rompre un contrat avant son terme, que ce soit le client ou l'intégrateur. Il vérifie le bien fondé de cette décision au regard de l'investissement de l'intégrateur. Il ne reprochera pas nécessairement les difficultés rencontrées mais la façon dont l'intégrateur et le client ont géré ces difficultés.

Deux exemples. Un cas où le client a rompu le contrat avant son terme au motif qu'il avait perdu confiance dans la capacité de l'intégrateur de mener le projet à son terme (problème de spécifications sans fins et de performance de l'application). Le Tribunal de Commerce de Dijon a donné tort au client mais la cour d'appel a cassé le jugement.

Deuxième exemple. Un client a résilié son contrat avec l'intégrateur au motif que l'éditeur, présenté par l'intégrateur, refusait de fournir une correction d'anomalie tant que la licence n'était pas payée intégralement. Le Tribunal de Commerce de Nanterre a donné tort au client d'avoir résilié le contrat d'intégration mais raison d'avoir résilié le contrat de licence. Le client aurait du accepter la proposition de l'intégrateur de repartir sur un autre produit ERP avec un autre éditeur.

Les risques juridiques sont-ils les mêmes lorsque l'éditeur de l'ERP est également l'hébergeur ? Quelles précautions dois-je prendre ?

Dois-je comprendre qu'on est dans le cadre d'un contrat ASP ? Si tel est le cas, les risques sont augmentés par le fait qu'il y a deux phases structurantes : la mise en œuvre et l'exploitation. On multiplie donc les risques mais on diminue le nombre d'interlocuteurs. Un ERP pour une profession libérale peut sembler surdimenssionné. Les précautions sont les mêmes indépendamment de l'activité du client.

Je veux m'engager avec un éditeur américain. Le contrat est-il spécifique ? Comment être sûr qu'il respecte bien ses engagements ?

Les éditeurs américains ont des pratiques contractuelles aussi contraignantes que leurs produits et acceptent peu, voire mal, les demandes de modifications apportées à leur contrat. Notamment sur la loi applicable qui est la loi de l'état où est situé leur siège social ainsi que sur la compétence du tribunal compétent qui est celui également de l'état où l'éditeur est implanté. Par ailleurs, leur plan de développement n'est pas toujours communiqué en amont et il existe souvent des disparités de couverture fonctionnelle selon les pays.

J'entretiens des relations houleuses avec un éditeur...quels conseils simples pourriez-vous me donner avant d'aller jusqu'au Tribunal ?

Conseil très simple : éviter d'aller devant un tribunal. Négocier et chercher à trouver des solutions. Il existe des modes alternatifs des litiges à privilégier et notamment la médiation. Il existe des organisme qui se sont structurés dans ce domaine auxquels les tribunaux eux mêmes font appel. Un procès coûte cher et le résultat est aléatoire.

 

Anne-Sophie Poggi est Avocate Associée au sein du Derriennic Associés et spécialisée dans les procédures contentieuses et les expertises judiciaires dans le domaine des technologies de l'information. Elle est avocate au Barreau de Paris depuis 1992. Anne-Sophie Poggi est titulaire d'un DEA de Droit Processuel de l'Université Paris II Panthéon-Assas.

 


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