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28/02/2008

Roberto di Cosmo (Groupe Logiciels Libres)  : "Nous avons déposé six projets de R&D pour environ 20 millions d'euros"

Budget, domaines de recherche, objectifs R&D pour le logiciel libre en 2008, licences : le président du groupe thématique du pôle de compétitivité System@tic a répondu aux questions des lecteurs.
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Roberto di Cosmo (Groupe logiciels libres de System@tic)
 
 
 

 

Quelle est la mission du groupe thématique logiciels libres de System@tic ?

Le groupe thématique Logiciel libre a pour mission de fédérer les acteurs industriels, de la recherche et de l'enseignement autour de projets de R&D collaboratifs.

Combien de membres dans le groupe ? Quelle répartition entre public et privé ?

Le groupe compte déjà environ 50 membres, dont une vingtaine de PME, une dizaine de grands groupes et une vingtaine de laboratoires... Donc on peut dire à peu prés 60% du privé et 40% du public. Mais en pratique l'effort de R&D est reparti différemment... Lors du premier appel a projets, clos en novembre, et dont les résultats seront annoncés cette semaine, on trouve environ 60% d'effort des PME, les 40% restant étant repartis entre grands groupes et laboratoires.

Ne pensez-vous pas qu'un pôle de compétitivité aurait dû être dédié au logiciel libre ? Qu'est-ce qui a bloqué cette possibilité ?

L'essentiel est d'avoir les moyens de réaliser nos objectifs, qui sont très précis : permettre aux acteurs en Ile-de-France qui veulent collaborer avec de la R&D de le faire en utilisant l'instrument puissant fourni par les pôles de compétitivité.

Il y a eu à un moment une opportunité politique favorable à un pôle autonome, qui ne s'est finalement pas concrétisée. Cependant, je peux dire après six mois de travail au sein de System@tic que toutes les conditions sont réunies pour avoir un impact très important.

D'ou viennent vos financements ? Et de quels montants sont-ils ?

Les financements des projets de R&D des pôles de compétitivité viennent en partie de l'Etat, à travers le ministère de l'Industrie, et en partie des collectivités territoriales qui décident ensemble, après une analyse poussée des projets, de soutenir certains des projets de R&D présentés par les partenaires des pôles.

Les montants précis des financements seront connus officiellement dans le courant de la semaine (sur le site du ministère de l'intérieur), mais je peux vous dire sans problème le montant global des demandes que nous avons déposées.

Nous avons déposé six projets de R&D dans le groupe thématique, pour un effort d'environ 20 millions d'euros, et un financement d'environ 8 millions d'euros (comme j'ai dit plus haut, plus de 50% de ce montant revient à des PME, ce qui est une nouveauté majeure).

 
Photo de Marie Bruggeman © Benchmark Group
 
"Nous allons montrer qu'au contraire, il y a énormément d'innovation dans le monde du logiciel libre"

De quels partenaires des pôles parlez-vous ?

J'ai utilisé le terme "partenaire" plus haut pour indiquer les membres du groupe thématique Logiciel Libre.

Disposez-vous d'une ligne politique visant à vulgariser le logiciel libre made in France en direction des pays en développement ?

La mission primaire d'un groupe thématique dans un pôle de compétitivité est de faire travailler ensemble industrie (des PME aux grands groupes), recherche et enseignement supérieur, grâce à des projets de R&D.

Mais cela a précisément pour finalité de faire rayonner les compétences de ces acteurs, et il est clair que parmi les acteurs membres du groupe il y en a qui ont les compétences nécessaires pour accomplir ce genre de mission de vulgarisation aussi.

A partir de quels résultats estimez-vous qu'il sera possible de dire que le groupe de System@tic a tenu ses engagements ?

Il y a plusieurs indicateurs importants, je vais essayer d'en préciser quelques uns. Le premier est l'effort de R&D : il y a quelques semaines, un communiqué de presse de certains acteurs traditionnels de l'industrie du logiciel affirmait un peu imprudemment que les entreprises du logiciel libre ne font pas de R&D. Or nous allons montrer qu'au contraire, il y a énormément d'innovation dans le monde du logiciel libre...

Au moment où l'on travaillait sur le montage du dossier pour la création d'un pôle Logiciel libre, nous nous étions fixés comme objectif environ 30 millions de R&D sur la première année... nous sommes sur la bonne voie pour l'atteindre. Ensuite, nous avons la volonté claire de rendre plus étroits les liens entre monde académique et acteurs industriels. En voyant les acteurs qui participent aux premiers projets du groupe thématique, nous sommes là aussi sur la bonne voie.

Mais nous allons continuer en lançant un cycle de séminaires faisant intervenir systématiquement un industriel et un académique (le premier sera fin mars, à la période de Libre en Fête).

D'après vous, sur quels domaines la R&D autour du logiciel libre doit être axée prioritairement ?

Comme vous savez, le Logiciel Libre est en train de pénétrer tous les domaines des TIC, et le fait qu'un très grand éditeur américain traditionnellement ennemi du libre viennent d'ouvrir un laboratoire Open Source est un signal assez clair de ce phénomène.... Donc, on pourrait répondre "dans tous les domaines", mais ce serait botter en touche. Je vais alors essayer de donner une réponse plus précise.

Il y a tout d'abord des sujets de R&D spécifiques aux logiciels libres : la disponibilité de grandes masses de code source, ainsi que de l'ensemble des processus décisionnels qui y sont associés (mailing lists, BTS, etc.) permettent aujourd'hui de s'attaquer à des questions comme la qualimétrie du code, l'analyse automatique à la recherche de failles, etc., avec un niveau de transparence et de précision qui était impossible dans le monde du logiciel propriétaire (certains des projets de notre groupe thématique adressent précisément ces questions).

Aussi, les processus d'évolution décentralisée et très rapide de l'ensemble des composants logiciels libres qu'on retrouve même sur un simple ordinateur de bureau (sur le mien, presque 1500 paquets aujourd'hui ) nécessitent des techniques avancées pour maintenir la cohérence de l'ensemble.

Dans ma vision, il est important que les membres du Groupe Thématique Logiciel Libre se focalisent sur les domaines de la R&D où ils sont les plus forts... si vous regardez notre feuille de route, nous visons trois axes en particulier : les outils pour le développement en logiciel libre (qualimétrie, langages, forges), les systèmes d'information et les outils pour la gestion des infrastructures en logiciel libre (grands parcs machines, par exemple).

Linux, Firefox, Open Office, SugarCRM, Groupware : ces logiciels sont-ils pur vous des innovations de rupture ?

Je vois bien ce que vous sous-entendez : tous les exemples que vous donnez peuvent être caricaturés comme des "copies" en libre de logiciels propriétaires existants (anciens *nix, IE, Office etc.). Mais il s'agirait là, vraiment d'une caricature. Si vous prenez par exemple le cas de Firefox, la notion d'onglet (tab) est une innovation majeure dont les usagers de IE ont été privés fort injustement.

Un logiciel de la taille de Linux (plus de 4 millions de lignes de code) ou OpenOffice n'est souvent pas une innovation en soi, mais il contient un très grand nombre d'innovations individuelles.

 
Photo de Marie Bruggeman © Benchmark Group
 
"Le Logiciel Libre est porteur d'une véritable révolution culturelle et industrielle"

Sous quelle licence les résultats des travaux peuvent-ils être exploités ? Sachant qu'il y aurait un engagement financier des acteurs, y-a-t-il un conditionnement des droits selon l'engagement de chacun ?

Très bonne question, merci ! Notre groupe thématique est caractérisé par une charte (sorte de contrat social avec la communauté du Logiciel Libre) qui fixe clairement les conditions imposées aux logiciels issus des projets de R&D financés dans le cadre du Groupe Thématique.

Tout d'abord, il doit s'agir de logiciels diffusés sous une licence libre, reconnue soit par la FSF soit par l'OSI, ou alors d'une des variantes de droit français comme la Cecill.

Ensuite, les acteurs ayant développé un logiciel libre grâce aux financements issus du groupe thématique s'engagent à ne jamais utiliser tout brevet éventuellement en leur possession pour restreindre l'usage du logiciel en question.

Pour un projet libre dans les télécoms, faut-il contacter le groupe thématique libre ou le groupe thématique Télécoms ?

Au moment de la création du groupe thématique Logiciel Libre dans System@tic, nous avons convenu de regarder les projets individuellement et des les aguiller vers un seul groupe, en fonction de la thématique principale du projet. Nous avons ainsi accueilli un projet venant d'un autre groupe, et en avons réorienté deux des nôtres vers d'autres groupes. Pour résumer, cela dépend du contenu technique.

Pour aller plus loin, qui faut-il contacter pour connaitre les conditions pour devenir membre, voire même pour déposer un dossier ?

C'est très simple : il y a un secrétariat permanent qui est à disposition pour répondre à toutes ces questions en détail, et la bonne personne à contacter pour notre groupe est François Cuny (f.cuny@systematic-paris-region.org). Je vous conseille aussi de faire un tour sur www.systematic-paris-region.org.

La concurrence s'intensifie entre les acteurs du libre. Vous pensez que c'est une bonne chose ? Ne craignez-vous pas les luttes de pouvoir interne ?

Bien évidement, comme dans tous les phénomènes de rupture, les luttes de pouvoir (économique ou autres) sont et resteront encore pour un peu au rendez-vous... C'est une épreuve qui est particulièrement rude dans le monde du libre, ou bien des acteurs anciens partagent un certain nombre de valeurs et de codes autour du développement collaboratif qui peuvent être difficiles à comprendre pour les nouveaux arrivants.

Mais je pense que c'est inévitable. Le Logiciel Libre est porteur d'une véritable révolution culturelle et industrielle dans un milieu qui s'est depuis très longtemps essentiellement basé sur les licences propriétaires.

Alexandre Zapolsky de Linagora a clairement critiqué votre nomination à ce poste de président en raison de votre profil universitaire. Que lui répondriez-vous ? Un universitaire est-il légitime dans ce rôle ?

Je pense qu'il est très réducteur de lier la légitimité d'un d'entre nous à une quelconque étiquette. Il faut juger les personnes sur les actes, pas sur les déclarations d'intentions, et je crois que les résultats des premiers six mois de vie du Groupe Thématique sont suffisamment éloquents par eux mêmes.

Cependant, le fait qu'il continue d'exister de la méfiance entre monde industriel et monde académique ne fait que me conforter dans ma conviction que la création d'un groupe thématique ayant pour mission de fédérer industriels, chercheurs et enseignants était une véritable nécessité.

Il me semble que vous voulez "institutionnaliser" le logiciel libre dans le cadre d'une exception française, alors qu'ailleurs c'est l'inverse qui se passe. Ce sont les institutions et les groupes/entreprises qui vont vers les communautés: IBM/Apache, Sun/OpenOffice/MySQL par exemple. Ne croyez vous pas que vous allez ainsi fermer les notions de communautés de développement, car vous restreignez si j'ai bien compris ?

Si je comprends bien votre question, vous vous inquiétez de deux dangers. Le premier serait de "faire une initiative franco-française" alors que le logiciel libre est un mouvement transfrontalier. Cette critique on pourrait la faire à n'importe quelle initiative locale.

Par exemple, pourquoi devrait-on créer des centres de recherche en mathématique dans une région donnée alors que les mathématiques sont universelles ? Je crois que vous voyez bien quelle est la réponse : on utilise des moyens locaux pour faire mieux collaborer les acteurs qui sont déjà dans une région donnée... par contre ces acteurs (de même que des chercheurs en mathématique sur Paris) continueront a collaborer sans frontière, et les moyens qu'on leur donne localement finiront pour contribuer au mouvement global.

Le deuxième danger que vous semblez entrevoir est celui d'exclure des communautés. Or, pour nous, les communautés porteuses de code sont des acteurs majeurs, et il n'y a aucune volonté d'exclusion, au contraire... même si les financements disponibles pour les pôles de compétitivité ne sont pas spécialement adaptés pour des communautés sans véritable statu juridique. Il y a des entreprises membres du groupe qui peuvent faire le relais.

 
Photo de Marie Bruggeman © Benchmark Group
 
"Je ne sais pas si le logiciel libre a vraiment besoin de porte-étendards, mais je crois qu'il y a déjà des personnalités reconnues"

Est-ce que le logiciel libre n'est pas surtout une opportunité pour les grandes sociétés de services (IBM, Cap, Atos..) qui réalisent déjà une bonne part de leur chiffre d'affaires avec ?

C'est une vaste question... Un "logiciel libre qui a du succès" (donc pas un simple but de code sur lequel on a posé une licence libre) est normalement doté d'une communauté de développeurs et utilisateurs très structurée, et même si la tentation de jouer les free riders peut être très forte chez certains grands acteurs de l'industrie du service.

Cela reviendrait à terme à tuer la poule aux œufs d'or. Il faut justement que tous les acteurs trouvent leur place, entre édition, service, formation, support etc. Cela pourra prendre un certain temps.

Le logiciel libre a-t-il besoin de porte-étendards comme le logiciel propriétaire en possède en la personne de Bill Gates ?

Je ne sais pas si le logiciel libre a vraiment besoin de porte-étendards, mais je crois qu'il y a déjà des personnalités reconnues qui ont beaucoup œuvré pour le logiciel libre depuis suffisamment longtemps pour ne pas être soupçonnées d'avoir un agenda caché.

Je pense a Stallman, Raymond, Perens, et bien d'autres. Ils ne sont pas toujours forcément d'accord, ce qui fait d'ailleurs la force du libre, mais je les trouve personnellement plus sympathiques que l'autre monsieur que vous mentionnez.

En tant que président, si un partisan du monde propriétaire refuse de vous serrer la main, que lui dites-vous ? Vous l'insultez aussi comme un autre président ?

J'ai toujours été impitoyable avec les idées, mais respectueux des personnes. Je respecterais son choix, mais je lui proposerais de déjeuner ensemble pour essayer de le convaincre (ou lui donner l'opportunité de me convaincre).

Merci beaucoup pour votre temps, et à bientôt !

 


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