Tribune

Entre flibustiers...
Par Christophe Delaporte,
Directeur des rédactions,
Benchmark Group/Journal du Net
- Jeudi 21 février 2002 -

Ils sont tous là, pour une fois au coude à coude, patrons, journalistes, ouvriers du Livre, ministre... Unis pour faire front face à ces flibustiers suédois qui, le croirez-vous, osent proposer aux Français des journaux, gratuits qui plus est.

Chacun dans son rôle, chacun à son poste : le syndicat du Livre a ressorti en toute impunité ses gros bras ; les grandes plumes font assaut de raisonnements spécieux et de mauvaise foi (reprocher à des industriels étrangers d'investir en France au nom de la fraude fiscale, il fallait le faire) ; la ministre de la Culture et de la Communication appelle à un "indispensable débat", manoeuvre de retardement bien connue qui prélude aux enterrements de première classe. On s'étonne que la fameuse exception culturelle n'ait pas encore été brandie pour l'occasion par cette conjuration des conformistes. Sans doute cette arme fatale est-elle gardée pour sonner l'hallali de "Metro" et "20 minutes".

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L'enjeu, il est vrai, est d'importance : il faut sauver la plus archaïque des industries françaises, la presse écrite. Les subventions publiques y pleuvent sur des éditeurs impécunieux mais pas très regardants sur les coûts, contraints de financer des monopoles d'un autre âge (l'embauche, la distribution) et qui ont oublié depuis longtemps et à de rares exceptions près ce qu'était la rentabilité. Soutenus indéfiniment, au mépris de toute rationalité économique, par des mécènes aux motivations mystérieuses, les quotidiens français ont depuis longtemps oublié leurs lecteurs, leurs process et leurs produits au profit de la défense acharnée de cet équilibre économique précaire et des petits arrangements économico-socio-idéologiques qui font tenir vaille que vaille cette structure de papier.

L'irruption des flibustiers scandinaves aurait été une trop belle occasion de tourner cette page, de relever le défi et de faire souffler un peu d'air frais dans le secteur. Trop fatigant sans doute, il y a mieux à faire à savonner la planche des envahisseurs, importateurs d'un nouveau modèle économique de presse qui aurait, à tout le moins, mérité la curiosité intéressée de nos penseurs.

Permettez-nous de donner notre modeste point de vue de journal, lui aussi gratuit. Taxés sympathiquement de "barbares" aux débuts de l'Internet, les acteurs du Web se sentent une vague solidarité de flibuste avec leurs collègues vikings. "Le Journal du Net" et "L'Internaute", deux sites d'information gratuits, ont montré que l'on pouvait attirer un million de lecteurs sans aliéner un seul instant cette sacro-sainte qualité dans laquelle se drape la presse payante. Pour une raison bien simple : ces titres ne sont viables que s'ils fidélisent une audience qualifiée et attentive. Nos lecteurs ne nous payent pas en monnaie, mais en nature : du temps passé, de l'attention portée, de la crédibilité prêtée sont déjà un prix, parfois bien plus élevé que l'euro que l'on glisse à son marchand de journaux.

Sans ce règlement en nature, pas de possibilité de valoriser notre audience auprès des annonceurs, donc pas de journal. Il n'y a plus qu'à ajuster ses coûts aux recettes pour chercher son équilibre économique. Les journaux télé et radio (gratuits) le font par le haut (vaste audience, vaste marché publicitaire) ; les sites Internet, pour le moment, par le bas, en proportionnant leurs moyens à la taille d'un marché publicitaire encore bien jeune.

En somme gratuit ou payant, qu'importe puisque c'est le lecteur-consommateur qui, au final, a le dernier mot. Et c'est très bien ainsi.

Cette aventure, qui permet à Benchmark Group, la jeune société éditrice de ces deux titres, de figurer dans les tout premiers rangs des médias en ligne français, pas très loin derrière le leader TF1, ne passionne guère nos collègues de papier. Sans doute pour les mêmes raisons qui les poussent à bouter le Suédois hors de Paris et de Marseille. Conformisme, manque de curiosité, crainte des trouble-fête...

"Renoncer à la contribution des lecteurs [...], c'est préparer le terrain d'une uniformité mortelle pour l'information", s'inquiète l'éditorialiste du "Monde", pendant que le même titre va puiser quelques pages plus haut dans les colonnes du Journal du Net, sans le citer comme le plus souvent, de quoi nourrir la chute d'un papier sur le dispositif en ligne de Lionel Jospin. Les flibustiers ne sont pas toujours là où on les croit.

Christophe Delaporte

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