Le Luxe : trop pauvre pour le Net
Par Jean-François Variot,
PDG d'ImageForce.com
-
mercredi 6 mars 2002 -
Les
sites Internet du Luxe commencent enfin leur révolution créative
avec une débauche d'animations Flash. Vuitton abandonne les têtes
à claque de sa publicité presse qui ne rapportaient pas un clic
sur le Web, et Dior se met en grands frais de gris rose diorissimes.
On fête avec délectation l'avènement de la Flashmania, cité des
âmes e-sensibles, sans respect pour les vieilles lunes. Les petits
nouveaux de la brancherie comme Colette y font la nique aux plus
grands par une inventivité qui met de bonne humeur.
Dans
les petits théâtres de Flashmania, le clic et le glissé de souris
ouvrent de nouvelles pistes. A quand de nouveaux podiums, de nouvelles
façons d'être Femme, de dévoiler, de marcher, de conquérir ? On
en reste pour l'instant à de petites trouvailles ergonomiques
pour faire défiler les diapos des défilés, sans autre forme d'invention.
Mais cela n'empêche pas de naître sous nos yeux une nouvelle grammaire
du branché-beau-luxe-show.
La
Haute Couture selon Yves Saint-Laurent s'en va avec lui : parions
que les Créateurs trouveront dans le Flash le moyen de remplacer
les prototypes qu'étaient les robes des grands couturiers. Celles-ci
étaient montrées dans les défilés et les vidéos des chaînes thématiques,
elles seront remplacées par des "idées Flash" sur le Web, plus
économiques, plus riches, plus drôles, plus personnalisées, plus
spectaculaires. Ferons-nous bientôt nos adieux aux sunlights et
aux messes rituelles de la Cour Carrée ?
Las
! Les grandes Maisons n'accordent que des micro-budgets aux flashboys
et à leurs agences pour rhabiller à moindre frais la-mariée.com,
sans miser sur des "ROI" (entendez returns on investments) décidément
trop lointains et aléatoires. Réduction de coûts. Réduction d'imagination.
Les Créateurs sont crispés sur leur sacro-saint défilé et défendent
ce budget bec et ongles. Restent en miettes quelques Flashs pleins
de bonnes intentions, trop lourds, trop lents et souvent décevant.
Cache-misère ! Le Grand Luxe chipote dans son assiette Internet
du bout des lèvres. Il prend le risque de devoir bientôt imiter
servilement les nouveaux concepts venus
de ceux qui seront les
vrais Créateurs.
Et
le luxe,
dans tout ça ?
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Quel est ce
"Luxe" que l'on veut mettre en ligne ? Le Luxe a deux visages.
Un Luxe de gadgets griffés pour boutiques pauvres d'aéroports,
et de paillettes distribuées comme poussière des riches à l'intention
des middle-classes. Un autre Luxe, intime celui-ci - le seul qui
vaille : l'instant de Luxe, cristallisé dans une coupe de Champagne
millésimé ou, mieux encore, une tranche de pain bis.
A l'abri des
temples, le vrai Luxe est le culte de cet instant où l'on s'occupe
de vous selon un rituel fait d'arrogante humilité dans l'une des
boutiques de l'avenue Montaigne ou de Fifth Avenue. Le Luxe est
tout autant, sinon davantage, dans la boutique et ce qui s'y passe,
que dans les parfums, les bijoux, les sacs et robes qu'on y vend.
Ne jamais oublier la petite écuelle d'eau pour désaltérer le toutou
de la cliente
Comment cela se traduit sur le Web ? Déception.
Petites infos en newsletter, offres d'échantillons en avant-première,
etc. : les quelques tentatives "d'espace client" courent derrière
un savoir-faire maîtrisé depuis un temps déjà par Ooshop et consorts.
D'une façon générale, tout reste
à faire, et selon deux axes qu'il faut relier : d'un côté, les
intranets d'e-training pour le personnel des boutiques, en plus
des formations approfondies à l'acte de vente ritualisé ; de l'autre,
la personnalisation et le service. Le Luxe est une démarche extrêmement
personnelle, ses clients ont "leur" boutique et "leur" vendeur
: alors où sont les sites "my" du Luxe - MyDior, MyChanel, etc.
? L'articulation de l'encadrement commercial des boutiques, de
leur niveau d'incarnation et de connexion au Web est encore embryonnaire.
Le site de Ralph Lauren ouvre une voie très timide sur le sujet.
La plupart des autres se contentent d'indiquer l'adresse des boutiques
sur leur site web
Misère des moyens ou de la pensée
? Les grands bouleversements sont devant nous, avec la dynamisation
de l'économie des défilés, de nouveaux rapports avec les médias,
une redistribution des rôles dans les Temples du Luxe, l'enrichissement
des rapports de personnalisation vendeuse/acheteuse et l'encadrement
de la productivité de l'Acte de Luxe majeur : le rituel d'Achat.
On a du pain bis sur la planche
du Web de Luxe. Champagne ?
Jean-François
Variot
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