Le casse-tête
de la distribution de contenu
Par Pierre Pezziardi,
directeur technique d'Octo Technology
-
mercredi 27 mars 2002 -
Le
débat sur les modes de distribution du contenu ne fait que démarrer.
Des disques Universal à l'Argus en passant par les nouveaux
gratuits de la presse écrite, les problèmes de distribution apparaissent
bien différents
en apparence seulement.
Pour
débuter, prenons le point de vue du "client". Coté professionnels,
la sitiuation est relativement simple. Une entreprise pourra contracter,
pour le compte de ses employés, plusieurs abonnements à plusieurs
sources de contenu. Cela ne pose pas de problème particulier.
Cette situation existe depuis pas mal de temps : abonnement presse
professionnelle (maintenant adossés à des abonnement "gold", donnant
accès aux archives online), achat d'études, de rapports, d'informations
financières
Les professionnels se satisfont d'un contexte fragmenté
où un contenu équivaut à un abonnement, voire un paiement unitaire.
.
Le
problème change de nature pour les particuliers, où le mode de
distribution doit être pertinent pour UN individu. Aujourd'hui,
musique et livres sont consommés à l'unité, tandis que presse
et images peuvent aussi être consommées par abonnement. Pour ces
deux derniers types de contenu, il est encore envisageable de
s'adresser directement aux producteurs : abonnement à Télérama
ou à TéléLoisirs, abonnement à Canal +. Car ils sont porteurs
d'une marque. J'achète Télérama et pas TéléLoisirs en ce qui me
concerne, car la "marque" est plus proche de moi.
Maintenant,
il sera très difficile de faire basculer une part importante des
consommateurs dans l'abonnement pour la musique et le livre sans
un élargissement du catalogue. Il suffit de se poser cette question
simple pour s'en convaincre : dans un an, serez-vous prêt à payer
plusieurs abonnements (et plusieurs systèmes matériel et logiciel
à utiliser, car ils vont de pair : iPod, Media Player, eBook
)
pour avoir accès à la fois à Michael Jackson et à Madonna? Non.
Dans trois ans, lorsque l'eBook sera intégré à des réseaux domestiques
peu onéreux et que l'on aura perçu la valeur ajoutée du support
(recherche, hyperliens, traductions...), aurez-vous plusieurs
eBooks et plusieurs bibliothèques virtuelles, un par éditeur ou
holding d'éditeurs ? Non plus. Pour percer, l'offre devra proposer
un accès uniforme à Harry Potter, Stephen King et Freud!
Car au final,
des sociétés comme Universal, TimeWarner ou Lagardère ne sont
pas porteuses d'une "marque" ou d'un message particulier - comme
pouvait l'être Virgin en tant que label de production indépendant
à une époque. Au final, elles ne peuvent donc positionner leur
marque que sur la distribution. Et là, quels seront les critères
des consommateurs? Réponse : le prix, l'accès au plus large catalogue,
la qualité de service, l'ubiquité et, espérons-le, un peu de déontologie
- ou exception culturelle comme on dit, c'est à dire un engagement
d'investissement dans la culture locale proportionnel au chiffres
d'affaires que le distributeur réalise dans le pays où il exerce.
Donc de deux
choses l'une. Soit les nouveaux grands systèmes de distribution
musicale que sont Pressplay et MusicNet continuent sans accords
de distribution croisée - du "peering de contenu" par analogie
avec les opérateurs -, et ils peineront à recruter des consommateurs.
Ce constat étant également valable pour leurs extensions et successeurs
orientés livre, presse, jeux ou vidéo. Soit des accords multi-latéraux
viennent faire grossir opportunément le gâteau
Vu le nombre d'acteurs,
ces accords de peering ne pourront avoir lieu de manière bilatérale,
comme c'est le cas pour les réseaux mobiles.
Qu'en conclure
? Premièrement, que si la rengaine "un disque
Universal" vous
indispose, c'est plutôt normal, vous avez simplement ressenti
de manière diffuse qu'on se préparait à vous vendre quelque chose
de moyennement acceptable. Pour autant, mon message ne sombre
pas dans la caricature du méchant J6M. Il y a réellement un virage
à prendre vers la distribution pour ce type de multinationale.
Deuxièmement,
ces accords de peering doivent être non-discriminatoires. Il n'y
a pas de sous-contenu. Diffusés au travers de réseaux appartenant
à VU, de la musique AOL/Time-Warner ou le dernier roman d'un illustre
inconnu méritent le même traitement que le contenu VU. Pas de
surtaxation ou de moindre qualité. Or rien n'oblige une société
privée à aller dans ce sens, bien au contraire.
La solution?
Qu'émergent des coopératives, organismes paritaires sous tutelle
d'état, de l'Europe ou d'une ONG mondiale à terme - un super-CSA
en somme -, dans lesquelles viendraient s'associer des producteurs
et des distributeurs. A cette table se retrouveraient d'un côté
les VU, AOL, Lagardère, mais aussi les petits, les maisons d'édition
et labels indépendants, et de l'autre toujours VU ou AOL, mais
aussi Virgin, la FNAC, la grande distribution, et les nouveaux
entrants Internet : Amazon, Orange/Wanadoo, Tiscali, Noos, etc.
Avouez qu'un telle cène nécessitera la présence d'un modérateur
pour faire valoir le point de vue du consommateur...
Pierre
Pezziardi
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