Il
y a dix-huit mois, la télévision sur Internet - la Web-TV
- déchaînait passions et convoitises de la part des
investisseurs. Depuis, le paysage s'est clairsemé jusqu'à
prendre des allures de cimetière high-tech. Dépôts de
bilan, licenciements, les acteurs de la Web-TV ont payé
un lourd tribut à l'éclatement de la bulle Internet
et à la chute du marché publicitaire, principal moteur
de leur modèle économique d'alors. Mais d'autres raisons
ont, aussi, accéléré le mouvement : lenteur ou retard
de la mise en place des réseaux commutés à "haut débit"
(ADSL, UMTS), marketing inexistant, programmes et services
peu adaptées, complexité de l'interface utilisateur
incompréhensible pour le grand public
Aujourd'hui,
seule une poignée de ces pionniers survit, confinés
dans un rôle de diffuseur BtoB sur le Web, sans rapport
réel et direct avec le monde des médias.
Ces
rares survivants attendent avec impatience la généralisation
des réseaux commutés à haut débit. Et en tout premier
lieu, l'ADSL, qu'ils considèrent comme techniquement
nécessaire, d'abord pour transformer l'ordinateur personnel
en un véritable écran multimédia à l'image vidéo aussi
fluide que celle de la télévision, mais surtout pour
transformer (enfin !) le téléviseur familial en un véritable
terminal audiovisuel interactif. Les réseaux de téléphonie
mobile de troisième génération desservant les terminaux
nomades (terminaux GPRS, PDA connectés, etc.) sont également
considérés comme susceptibles de faire émerger un nouveau
marché. L'essai reste cependant à transformer, tant
en termes de distribution, que de production et de typologie
des contenus, sans parler des usages
Même si les réseaux câblés
pourraient, en partie, résoudre la question du débit,
dans l'état actuel des limitations des réseaux commutés,
la vidéo diffusée en flux - "en streaming"- sur un ordinateur,
ou la vidéo à la demande permettant de consulter le
programme de son choix, à l'heure de son choix, se heurtent
encore à de sérieuses contraintes. Par ailleurs, sur
les canaux diffusés (satellite, hertzien), les accès
"quasi à la demande" sont structurellement limités à
quelques émissions (films, événements sportifs).
Sur les réseaux ADSL, seules
des vidéos courtes, d'une durée de quelques minutes,
sont aujourd'hui largement distribuées, même si le volume
et la nature des programmes proposés devraient progressivement
s'élargir. Ainsi, aux Etats-Unis, certains séries "culte"
devraient être proposées à la demande en 2003. Voilà
qui confirme l'intérêt du public pour la "vidéo à la
demande" (ou VOD). Toujours aux Etats-unis, de 55 %
à 65 % des abonnés à la pay-TV (câble, satellite) se
déclarent intéressés par une offre VOD.
La
"set top box", couteau suisse de l'image interactive
D'autres modes de distribution sont également sur les
rangs, à mi-chemin entre la Web-TV des premiers âges
et la télévision traditionnelle. Ainsi, l'I-TV - télévision
interactive -, malgré des débuts chaotiques, pourrait
d'ici peu s'immiscer au sein des chaînes de télévision,
tout en les enrichissant. Au cur du système, la fameuse
"set-top box", équipée d'une capacité de stockage sur
disque dur, ou le lecteur/enregistreur de DVD, connectés
au téléviseur et capables tous deux d'enregistrer n'importe
quelle émission.
Techniquement, la "set top
box" peut également recevoir et mémoriser des programmes
à la demande distribués de façon asynchrone (par exemple
la nuit, lorsque les réseaux sont disponibles ou moins
coûteux) via les satellites, les réseaux câblés, les
émetteurs numériques terrestres ou l'ADSL. Ces
boîtiers - "couteau suisse" de l'image interactive -
sont également connectables, aujourd'hui sur un micro-ordinateur,
demain sur un agenda électronique ou un terminal de
téléphone multimédia (I-Mode, UMTS).
Autre challenger, la prochaine
génération de consoles de jeu intégrant, outre un micro
processeur ultra-puissant, une connexion à un réseau
haut débit, de la mémoire et un lecteur DVD, pourrait
s'imposer en tant que boîtier ou interface audiovisuel
universel. Ainsi, l'alliance entre Sony, leader mondial
de la console de jeux, et l'opérateur japonais NTT vise
au développement de programmes accessibles en haut débit.
La console de jeu, cheval de Troie de la télévision
numérique ?.
Des contenus accessibles à
la demande et interactifs sont donc susceptibles d'apporter
une alternative aux bouquets de télévision "subis",
destinés au plus grand nombre de téléspectateurs, et
dans lesquels les contenus sont imposés par l'opérateur
de chaînes. Dans cette offre constituée d'images interactives,
sous-ensemble de la grande famille des médias télévisuels,
c'est bien l'utilisateur lui-même qui "piochera" ses
émissions au sein de banques de programmes audiovisuels,
entraînant l'émergence de nouveaux modes de consommation
des images où l'interactivité joue un rôle prépondérant.
De ce point de vue, les images interactives s'intègrent
dans le cadre d'un développement à la fois complémentaire
et en marge de celui de la télévision traditionnelle.
Les producteurs de contenu
trouveront matière à réaliser des programmes multi-supports
(c'est-à-dire produits en fonction de toute la gamme
des réseaux et des terminaux), et à proposer de nouvelles
"fenêtres" d'exploitation de leurs fonds de catalogue
sous des formes dérivées. Par ailleurs, certains domaines
spécifiques, ignorés à ce jour des médias audiovisuels
habituels de par leur audience restreinte ou trop spécialisée,
devraient bénéficier d'un véritable appel d'air : jeux
vidéos en réseau, offres de bouquets ultra-thématiques
visant des publics ciblés ou des communautés d'intérêt
partageant une passion (cuisine, bricolage, hobbies,
jeu, etc.), une même activité professionnelle (médecins,
avocats), services répondant à une demande identifiée
(météo, santé, vente en ligne, informations locales
et régionales) ou encore à des besoins en matière de
formation en ligne constituent des niches de développement
majeures.
Explorer
la piste des programmes distribués sur des réseaux commutés
Les marchés visés par l'image interactive ont de quoi
exciter les esprits inventifs et favoriser l'apparition
de nouveaux acteurs dans le pré carré de la télévision.
La multiplication des offres de contenus interactifs
va engendrer une profonde évolution modifiant, à la
fois, les comportements de l'utilisateur final, les
usages et les habitudes de consommation, les contenus
audiovisuels et du même coup leurs modalités de production
et de distribution. Les relations entre éditeur et utilisateur
sont également concernées. On ne parlera plus alors
de télévision par l'Internet à haut débit à consommer
sur un ordinateur. En effet, les business models d'Internet
bâtis sur l'audience et la publicité ont montré leurs
limites. De plus, le réseau mondial qu'est Internet
ne peut garantir les ayants-droits, et en premier lieu
les producteurs, contre les risques de piratage en tout
genre.
L'avenir commercial d'une offre
d'images interactives exige donc de s'éloigner radicalement
du modèle Internet, cauchemar des détenteurs de contenu.
Pour cela, il convient, à notre sens, d'explorer la
piste des programmes distribués sur des réseaux commutés
(via la ligne téléphonique "gonflée" par l'ADSL et desservant
l'ensemble des foyers) vers le téléviseur (terminal
massivement implanté dans les foyers et d'un maniement
maîtrisé). En outre, les terminaux mobiles desservis
par les réseaux GPRS ou UMTS viendront compléter l'offre,
à destination des utilisateurs "nomades". Ces systèmes
de diffusion s'appuient sur un modèle économique reconnu
et efficace (celui de l'Audiotel, des SMS, de l'I-mode)
qui permet une remontée directe des recettes vers les
éditeurs sur la base d'une identification précise, qualitative
et quantitative, de chaque client.
Le chantier des images interactives
est vaste. En tout premier lieu, il s'agit de convaincre
les consommateurs, devenus plus avertis vis-à-vis des
"nouvelles" technologies et pour qui les images interactives,
tout en favorisant l'émergence de bouquets diversifiés
et compartimentés, renforce un sentiment de confusion.
Sur ce plan, de gros efforts d'explication et de marketing
sont à prévoir. Ensuite, les diffuseurs et les opérateurs
de bouquets vont être conduits à reconsidérer leur positionnement.
De plus, ils devraient être soumis à une sévère concurrence
basée sur un mode de consommation inédit ainsi que sur
une logique commerciale et des modèles de revenus sensiblement
différents de la télévision.
Une
occasion unique de bouleverser le marché audiovisuel?
À l'heure de la TNT et des multiples interrogations
portant sur son avenir, le développement de la prochaine
génération d'images interactives n'est pas sans complexifier
un peu plus le débat. Libérées des contraintes technologiques,
dopées par le haut débit, une interactivité sans pareille
et une grande facilité d'accès et d'utilisation, ces
images interactives apparaissent tout à fait capables
de jouer les trouble fête.
Dans ce contexte, l'avenir
opérationnel et commercial de "l'image interactive",
au sens large du terme, ne devrait pas longtemps laisser
indifférents les groupes de médias. À moins qu'ils ne
laissent passer l'occasion, ouvrant alors la porte à
de nouveaux acteurs, plus rapides à s'en saisir et à
en déterminer les modèles économiques. Industriels du
logiciel, constructeurs informatiques, opérateurs de
télécommunication, opérateurs satellite, éditeurs multimédias
et du jeu vidéo, devraient trouver là une occasion unique
de bouleverser, pour longtemps et en profondeur, le
marché audiovisuel tel que nous le connaissons aujourd'hui.
[Gerard.Eymery@wanadoo.fr
et dfortier@jeriko.fr]
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