Professeur
associé à l'IUT1 de Grenoble Génie des télécommunications
et des réseaux''. Juriste-conseil d'entreprise |
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En cours d'examen devant le Parlement, le projet
de loi de transposition de la directive européenne
du 22 mai 2001 sur le droit d'auteur et les droits
voisins dans la société de l'information devrait
apporter du baume au cur'' aux éditeurs musicaux
et audiovisuels dans la mesure où il renforce
par des moyens très coercitifs leurs possibilités
de défense légale contre une piraterie qui s'est
généralisée. L'examen de ces mesures prend une
toute autre dimension, si dans cette perspective
de reconquête des droits - certains diront du
droit'' - on le combine avec celui de deux autres
mouvements législatifs en cours, les projets de
loi sur la confiance dans l'économie numérique
et sur la refonte de la loi Informatique & Libertés
de 1978.
Cette combinaison fait apparaître, à notre avis,
un changement radical du cadre de référence du
droit de l'Internet puisqu'il aboutit à privilégier
la légalité des moyens de contrôle sur la liberté
d'usage. Pour nous, cela ne fait aucun doute,
on est en train de siffler la fin de la récréation
!
1° - La loi sur le droit d'auteur
La mesure la plus offensive est , sans aucun
doute, l'instauration de sanctions en cas de contournement
d'une mesure technique efficace de protection
- un dispositif anticopie - d'une uvre, d'une
interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme
ou d'un programme, ce contournement comprenant
l'information associée en matière de gestion des
droits. De tels actes ou pratiques sont désormais
assimilés à une contrefaçon et punis des peines
prévues à cet égard, jusqu'à deux ans d'emprisonnement
et 150 000 uros d'amende. Ce type de sanction
est étendu à la fabrication, la commercialisation,
la publicité et la complicité par fourniture de
moyens permettant de réaliser de telles opérations.
Y est associée une limitation du droit de copie
privée, dont il est dit selon nouvel article L.331-6
dudit code, que :
- '
l'exception ne porte pas atteinte à l'exploitation
normale de l'uvre ou d'un autre objet protégé
et qu'il n'est pas causé un préjudice injustifié
aux intérêts légitimes du titulaire des droits
sur cette uvre ou cet objet protégé.''
- les titulaires de droits ont la faculté de prendre
des mesures permettant de limiter le nombre de
copies''
2° - La loi sur la confiance dans l'économie
numérique
- La mise en cause de la responsabilité des prestataires
techniques de services en ligne
Elle pourra être engagée - y compris sur le plan
pénal - dés lors qu'ils s'abstiennent de prendre
les mesures de retrait des contenus illicites
lorsqu'il s'agit d'hébergement ou de fermeture
d'accès, notamment aux sites de téléchargement
par échanges de fichiers. Dans le cadre de la
mise en uvre de systèmes de marquage logiciel
des fichiers à des fins de traçage, nous pensons
également que rien ne fait obstacle dans la loi
à ce qui leur soit ordonné de mettre en place
les filtres permettant de stopper les échanges.
On peut rattacher à cet ordre d'idée la mention
légale visible en ligne qui s'imposera à tous
les professionnels de l'Internet : Quelque soit
le support, toute publicité et toute promotion
de téléchargement de fichiers des fournisseurs
d'accès à Internet doivent obligatoirement comporter
une mention légale, facilement identifiable et
lisible rappelant que le piratage nuit à la création
artistique''
- Le recul de la protection de la correspondance
privée
En 2ème lecture, les députés ont supprimé le rattachement
de droit des messages électroniques au secret
de la correspondance privée. Même s'il est largement
admis par la loi qu'un message personnel ne peut
pas couvrir n'importe quoi au regard de l'illicéité
(de la pornographie infantile à la contrefaçon
d'uvres protégées), ce retrait devrait entraîner
un renversement de la charge de la preuve : un
message sur l'Internet est a priori public, donc
ouvert à la lecture et à la sanction de son contenu,
sauf à prouver le contraire, son caractère de
correspondance privée, par celui qui est incriminé.
- L'action des tribunaux
'L'autorité judiciaire peut prescrire en référé
ou sur requête, à toute personne mentionnée aux
1 et 2 [les prestataires techniques], toutes mesures
propres à faire cesser un dommage occasionné par
le contenu d'un service de communication en ligne,
telles que celles visant - à cesser de stocker
ce contenu ou à défaut, - de cesser d'en permettre
l'accès.'' Référé et requête voulant dire que
le juge peut l'ordonner, sous réserve néanmoins
du constat d'un caractère grave ou de la menace
d'un dommage imminent ou irrémédiable, sans avoir
à se prononcer sur le fond de l'affaire, à savoir
sur l'existence ou la légitimité des droits en
cause ou sur leur détention. C'est un avantage
considérable même si, au travers de l'instauration
d'une possibilité d'initiative individuelle pour
déclancher ce type de poursuites, la loi prévoit
la répression des abus.
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"Il
est envisageable que des sociétés collectives
de gestion de droits, voire des éditeurs,
puissent constituer des fichiers de poursuite"
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3° - La loi sur les données à caractère personnel
Elle recèle la possibilité de procéder de façon légale
à une collecte d'adresses IP d'internautes se livrant
à des échanges de fichiers illicites. A l'heure actuelle,
l'article 30 de la loi Informatique & Libertés du 6
janvier 1978 réserve le traitement de données d'identification
sans le consentement des intéressé(e)s aux seules personnes
publiques ou aux personnes privées chargées d'une mission
de service public.Dans la future loi, il pourrait en
être tout autrement.
Cela pourrait résulter, à partir d'une reconnaissance
d'une liberté de principe de constitution de fichiers
- sauf pour les traitements à risques, i.e. de données
sensibles comme la santé, les opinions etc. - de l'application
combinée de certaines dispositions des articles 7 et
9.
- Article 7 - Le traitement des données à caractère
personnel doit avoir reçu le consentement de la personne
concernée ou satisfaire une des conditions suivantes
: Alinéa 5) La réalisation d'un intérêt légitime poursuivi
par le responsable du traitement ou par le destinataire,
sous réserve de ne pas méconnaître l'intérêt ou les
droits et libertés fondamentaux de la personne concernée''
- Article 9 - Les traitements de données à caractère
personnel relatives aux infractions, condamnations,
et mesures de sûreté ne peuvent être mises en oeuvre
que par : Alinéa 3) Les personnes morales victimes d'infractions,
pour les stricts besoins de la lutte contre la fraude
et dans les conditions prévues par la loi.
Même si l'alinéa 5 de l'article 7 comporte un garde-fou,
l'intérêt et les droits fondamentaux des intéressés,
on peut douter qu'il puisse exister un quelconque droit
au piratage ! Quant à l'application du 3ème alinéa de
l'article 9, il ne fait pas de doute que la contrefaçon
est une infraction délictuelle et qu'il parle des personnes
morales en général. La réserve du service public (ancien
article 30) a disparu.
Il est dès lors tout à fait envisageable que des sociétés
collectives de gestion de droits, voire des éditeurs
directement, puissent constituer des fichiers de poursuite
d'autant plus que les juridictions acceptent, sans restriction
particulière, qu'ils organisent des sollicitations pour
amener les fraudeurs à se manifester. A bon entendeur,
salut !
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