TRIBUNE 
PAR CLAUDE RETORNAZ
La fin de la récréation
Les diverses transpositions de directives européennes aboutissent à privilégier la légalité des moyens de contrôle sur la liberté d'usage. Une sorte de tournant.  (17/03/2004)
 
Professeur associé à l'IUT1 de Grenoble ‘‘Génie des télécommunications et des réseaux''. Juriste-conseil d'entreprise
 
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En cours d'examen devant le Parlement, le projet de loi de transposition de la directive européenne du 22 mai 2001 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information devrait apporter du ‘‘baume au cœur'' aux éditeurs musicaux et audiovisuels dans la mesure où il renforce par des moyens très coercitifs leurs possibilités de défense légale contre une piraterie qui s'est généralisée. L'examen de ces mesures prend une toute autre dimension, si dans cette perspective de reconquête des droits - certains diront ‘‘du droit'' - on le combine avec celui de deux autres mouvements législatifs en cours, les projets de loi sur la confiance dans l'économie numérique et sur la refonte de la loi Informatique & Libertés de 1978.

Cette combinaison fait apparaître, à notre avis, un changement radical du cadre de référence du droit de l'Internet puisqu'il aboutit à privilégier la légalité des moyens de contrôle sur la liberté d'usage. Pour nous, cela ne fait aucun doute, on est en train de siffler la fin de la récréation !

1° - La loi sur le droit d'auteur
La mesure la plus offensive est , sans aucun doute, l'instauration de sanctions en cas de contournement d'une mesure technique efficace de protection - un dispositif anticopie - d'une œuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme, ce contournement comprenant l'information associée en matière de gestion des droits. De tels actes ou pratiques sont désormais assimilés à une contrefaçon et punis des peines prévues à cet égard, jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 150 000 €uros d'amende. Ce type de sanction est étendu à la fabrication, la commercialisation, la publicité et la complicité par fourniture de moyens permettant de réaliser de telles opérations.

Y est associée une limitation du droit de copie privée, dont il est dit selon nouvel article L.331-6 dudit code, que :
- ‘'… l'exception ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou d'un autre objet protégé et qu'il n'est pas causé un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire des droits sur cette œuvre ou cet objet protégé.''
- les titulaires de droits ont la faculté de prendre des mesures permettant de limiter le nombre de copies''

2° - La loi sur la confiance dans l'économie numérique
- La mise en cause de la responsabilité des prestataires techniques de services en ligne
Elle pourra être engagée - y compris sur le plan pénal - dés lors qu'ils s'abstiennent de prendre les mesures de retrait des contenus illicites lorsqu'il s'agit d'hébergement ou de fermeture d'accès, notamment aux sites de téléchargement par échanges de fichiers. Dans le cadre de la mise en œuvre de systèmes de marquage logiciel des fichiers à des fins de traçage, nous pensons également que rien ne fait obstacle dans la loi à ce qui leur soit ordonné de mettre en place les filtres permettant de stopper les échanges. On peut rattacher à cet ordre d'idée la mention légale visible en ligne qui s'imposera à tous les professionnels de l'Internet : ‘‘Quelque soit le support, toute publicité et toute promotion de téléchargement de fichiers des fournisseurs d'accès à Internet doivent obligatoirement comporter une mention légale, facilement identifiable et lisible rappelant que le piratage nuit à la création artistique''

- Le recul de la protection de la correspondance privée
En 2ème lecture, les députés ont supprimé le rattachement de droit des messages électroniques au secret de la correspondance privée. Même s'il est largement admis par la loi qu'un message personnel ne peut pas couvrir n'importe quoi au regard de l'illicéité (de la pornographie infantile à la contrefaçon d'œuvres protégées), ce retrait devrait entraîner un renversement de la charge de la preuve : un message sur l'Internet est a priori public, donc ouvert à la lecture et à la sanction de son contenu, sauf à prouver le contraire, son caractère de correspondance privée, par celui qui est incriminé.

- L'action des tribunaux
‘'L'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée aux 1 et 2 [les prestataires techniques], toutes mesures propres à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication en ligne, telles que celles visant - à cesser de stocker ce contenu ou à défaut, - de cesser d'en permettre l'accès.'' Référé et requête voulant dire que le juge peut l'ordonner, sous réserve néanmoins du constat d'un caractère grave ou de la menace d'un dommage imminent ou irrémédiable, sans avoir à se prononcer sur le fond de l'affaire, à savoir sur l'existence ou la légitimité des droits en cause ou sur leur détention. C'est un avantage considérable même si, au travers de l'instauration d'une possibilité d'initiative individuelle pour déclancher ce type de poursuites, la loi prévoit la répression des abus.

 
"Il est envisageable que des sociétés collectives de gestion de droits, voire des éditeurs, puissent constituer des fichiers de poursuite"
 

3° - La loi sur les données à caractère personnel
Elle recèle la possibilité de procéder de façon légale à une collecte d'adresses IP d'internautes se livrant à des échanges de fichiers illicites. A l'heure actuelle, l'article 30 de la loi Informatique & Libertés du 6 janvier 1978 réserve le traitement de données d'identification sans le consentement des intéressé(e)s aux seules personnes publiques ou aux personnes privées chargées d'une mission de service public.Dans la future loi, il pourrait en être tout autrement.

Cela pourrait résulter, à partir d'une reconnaissance d'une liberté de principe de constitution de fichiers - sauf pour les traitements à risques, i.e. de données sensibles comme la santé, les opinions etc. - de l'application combinée de certaines dispositions des articles 7 et 9.
- Article 7 - ‘‘Le traitement des données à caractère personnel doit avoir reçu le consentement de la personne concernée ou satisfaire une des conditions suivantes : Alinéa 5) La réalisation d'un intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le destinataire, sous réserve de ne pas méconnaître l'intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée''
- Article 9 - Les traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations, et mesures de sûreté ne peuvent être mises en oeuvre que par : Alinéa 3) Les personnes morales victimes d'infractions, pour les stricts besoins de la lutte contre la fraude et dans les conditions prévues par la loi.

Même si l'alinéa 5 de l'article 7 comporte un garde-fou, l'intérêt et les droits fondamentaux des intéressés, on peut douter qu'il puisse exister un quelconque droit au piratage ! Quant à l'application du 3ème alinéa de l'article 9, il ne fait pas de doute que la contrefaçon est une infraction délictuelle et qu'il parle des personnes morales en général. La réserve du service public (ancien article 30) a disparu.

Il est dès lors tout à fait envisageable que des sociétés collectives de gestion de droits, voire des éditeurs directement, puissent constituer des fichiers de poursuite d'autant plus que les juridictions acceptent, sans restriction particulière, qu'ils organisent des sollicitations pour amener les fraudeurs à se manifester. A bon entendeur, salut !

 
 

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