TRIBUNE 
PAR LIONEL THOUMYRE
"Hébergeurs : une responsabilité... limitée"
Lionel Thoumyre, chargé de mission au Forum des Droits sur l'Internet, revient sur la loi de confiance sur l'économie numérique. Bilan globalement positif, notamment sur la responsabilité des hébergeurs qui demeure limitée, conformément aux conseils du FDI.  (24/06/2004)
 
Chargé de mission du Forum des droits sur l'internet
Co-rapporteur de la recommandation sur la LCEN
 
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FDI (Dossier spécial LCEN)
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La loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) a été promulguée après que le Conseil constitutionnel se soit prononcé sur ce texte. Sa décision a apporté une dernière touche à la construction du droit de l'internet et notamment à la question de la responsabilité des hébergeurs. Elle confirme l'interprétation que le Forum des droits sur l'internet avait donnée en février 2003 dans sa recommandation sur le projet LCEN.

L'hébergeur : juge, mais pas trop
Adoptée par les parlementaires le 13 mai dernier, la LCEN, qui transpose la directive européenne " commerce électronique ", ne retient la responsabilité civile et pénale de l'hébergeur que dans certains cas. Par exemple : lorsqu'il ne retire par un contenu dont il a eu effectivement connaissance du caractère illicite. Pour s'exonérer de sa responsabilité, le prestataire doit, avant de cesser l'hébergement d'un contenu "litigieux", savoir que celui-ci est "illicite".

Il restait à résoudre les questions suivantes : comment l'hébergeur peut reconnaître le caractère illicite d'un contenu s'il n'est point juge ? est-il légitime qu'il tienne le rôle du juge ? La solution dépendait du niveau d'appréciation que l'on souhaitait laisser à l'hébergeur.

Sur ce point, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d'interprétation précisant que la LCEN "ne saurait avoir pour effet d'engager la responsabilité d'un hébergeur qui n'a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n'a pas été ordonné par un juge."

L'hébergeur ne peut donc être juge de l'"illicite" mais il peut l'être du "manifestement illicite". L'expression vise les contenus d'une gravité avérée et dont le caractère illicite ne semble pas discutable. Il s'agit notamment des contenus pédopornographique ou faisant l'apologie des crimes de guerre. Cette décision consacre l'interprétation que le Forum avait avancée dans sa recommandation portant sur le premier projet LCEN.
 
"L'hébergeur ne peut être juge que du manifestement illicite."
 
L'organisme de concertation avait indiqué que la responsabilité pénale de l'hébergeur ne peut être mise en oeuvre "que si celui-ci connaissait l'existence d'une information ou d'une activité manifestement illicite et qu'il n'a rien fait pour en empêcher la diffusion ou la continuation." S'agissant de la responsabilité civile, le Forum avait également estimé "que la connaissance effective du caractère illicite d'une information ou d'une activité ne peut être acquise par l'hébergeur que sur saisine d'une autorité judiciaire."

En revanche, le Forum avait été plus nuancé que le Conseil constitutionnel sur le second cas d'engagement de la responsabilité civile de l'hébergeur, c'est-à-dire lorsque celui-ci ne retire pas un contenu alors qu'il a connaissance de " faits et de circonstances "faisant apparaître son caractère illicite. Il avait considéré que le prestataire devait apprécier ce caractère " en fonction de son degré de spécialisation, du contenu des codes de conduite reconnus par la profession ou encore des éléments de preuve apportés par des agents assermentés." Cette formule sous-entendait que l'hébergeur ne pouvait être condamné s'il lui était impossible de déterminer, par lui-même, le caractère illicite d'un contenu.

Malgré ces nuances, les interprétations du Forum et du Conseil sont proches. On peut se réjouir que ce dernier ait ancré dans le droit positif une définition plus claire de la responsabilité de l'hébergeur.

Du fil à retordre pour les états membres
Beaucoup de pays européens ont procédé à une transposition quasi-littérale de la directive : l'Angleterre, le Danemark, l'Autriche...

D'autres états ont été plus précis sur les conditions d'engagement de la responsabilité du prestataire. Tel est le cas de l'Italie. Son décret du 9 avril 2003 oblige l'hébergeur à retirer rapidement des informations dès le moment où il a connaissance de leur caractère illicite "sur notification d'une autorité compétente." L'autorité compétente dont il s'agit désigne le juge et les autorités italiennes similaires à la CNIL, au CSA, ou à l'ART. En Italie, l'hébergeur ne peut donc porter aucune appréciation personnelle sur le caractère licite d'une information. Mais, en ajoutant une condition supplémentaire à l'engagement de la responsabilité du prestataire, ce texte risque d'être condamné par la Commission européenne.

Finalement, la France est parvenue à réaliser une tâche délicate sur cette question : transposer fidèlement la directive en tenant compte des attentes d'une majorité d'acteurs. La concertation a apporté sa pierre à l'édifice puisque les 3/4 des recommandations du Forum ont été prises en compte : la révision de la définition de la communication audiovisuelle, la définition de l'hébergement, la procédure de notification, la dénonciation abusive, l'interprétation stricte des conditions de mise en œuvre de la responsabilité des prestataires... C'est la consécration par le législateur et le juge constitutionnel de deux années de concertation avec les acteurs de l'internet et le gouvernement.
 
 

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