Co-signataires de la tribune :
Charter (Yann Gozlan)
Comm'Back (Marie-Carmen Martinez)
Data Studio (Brigitte Laporte)
Dolist.net (Lionel Kappelhoff)
Epicea (Jérôme Santelli)
Infopromotions (Renaud Chavanne)
Reed (Emmanuel Armand)
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Publiée au Journal Officiel le 21 juin dernier,
la Loi pour la confiance dans l'économie numérique
(LCEN) a délimité le cadre de la "publicité par
voie électronique". Il en résulte que la prospection
par e-mail à destination des personnes morales
(ou B-to-B) est soumise au droit d'opposition
(opt-out) alors que celle à destination des personnes
physiques (ou B-to-C) est soumise au consentement
préalable (opt-in).
Ces dispositions de la LCEN relatives à la prospection
B-to-B devaient offrir aux sociétés un cadre juridique
adapté aux relations interentreprises, leur permettant
ainsi de développer leurs activités en présentant
leurs services et leurs offres.
Pourtant, l'avenir de cette dimension essentielle
du développement de notre économie se trouve aujourd'hui
dangereusement compromis. En effet, depuis l'adoption
de la LCEN, certaines voix affirment que, dès
lors qu'une prospection B-to-B porterait sur une
adresse e-mail contenant le nom et le prénom du
collaborateur de la personne morale visée, son
assentiment préalable à réception des messages
de prospection serait nécessaire.
Une telle interprétation de la LCEN revient à
soumettre insidieusement l'essentiel de la prospection
B-to-B au régime de l'opt-in, et par là même à
faire perdre toute portée au régime dual (opt-in
pour les personnes physiques/opt-out pour les
personnes morales) voulu par le législateur. Il
importe d¹être conscient qu'une telle lecture
de la LCEN revient à nier la possibilité de l'e-mail
entre professionnels.
En effet, les fichiers d'adresses e-mail professionnelles
disposant de cet assentiment sont aujourd'hui
très rares sur le marché, comme l'affirment tous
les professionnels de ce secteur. Et pour cause.
Ces fichiers ont été recueillis sur la base du
droit d'opposition, et ne sont donc pas "opt-in".
L'explication de cette situation est fort simple
: si un particulier peut souhaiter volontairement
recevoir un message sur un sujet qu'il affectionne
personnellement, cette attirance naturelle et
personnelle ne joue pas concernant les offres
qui s'adressent par son biais à son entreprise.
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L'opt-in ne s'applique pas dans la prospection BtoB |
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On peut effectivement s'interroger : est-il raisonnable
de penser qu'un individu demandera spontanément
à recevoir des informations sur des machines outils,
sur des prestations de traitement comptable ou
sur un progiciel de gestion intégré ? Au sein
des entreprises, ce type d'offres concerne plusieurs
interlocuteurs, les décisions d'achat relevant
de pratiques collégiales. Personne n'est directement
et individuellement concerné par des messages
de ce type, qui s'adressent bien à l'entreprise,
et non à la personne physique.
Il est alors logique que les diverses tentatives
pour recueillir l'assentiment préalable sur des
fichiers professionnels se soient soldées par
des échecs.
A l'inverse, on peut légitimement considérer que
la réception de messages d'information commerciale
entre dans le cadre des attributions professionnelles
des personnes concernées. Ces messages font partie
de la veille technologique et commerciale, et
revêtent un caractère utile pour le destinataire.
N'entre-t-il pas dans la fonction d'un spécialiste
de la maintenance d'être informé des offres de
produits et de services touchant sa profession ? Un informaticien peut-il ignorer la sortie d'une
nouvelle version logicielle ?
L'alternative évoquée par les partisans de l'assentiment
préalable appliqué au commerce interentreprises
consiste à exploiter des adresses dites "génériques"
(du type fonction@société.com). Mais ce substitut
est un leurre. D'abord parce que de telles adresses
sont encore rares dans les entreprises. Ensuite,
parce que leur efficacité est nulle : la plupart
des professionnels du marketing b-to-b s'accordent
à leur dénier toute valeur. Et cela se comprend
: faudrait-il adresser un message à vente@bnp.com,
à drh@edfgdf.fr ?
Sans dire les problèmes techniques et juridiques
qui s'annoncent si le recours aux adresses génériques
reste la seule solution. S'il est effectivement
aisé de comprendre que info@lasociete.com est
bien une adresse générique, comment identifier
sans risque d'erreur les innombrables variantes
au sein des fichiers ? Un ara.concept.info@wanadoo.fr
pour une société intitulée Ara Concept Informatique
est-il une adresse générique ? Comment l'identifier
automatiquement comme tel. Les exemples de ce
type foisonnent (tsr44@aol.com, loc@lasociete.fr),
sans parler des abréviations, des initiales de
personnes, des noms tronqués, et ainsi de suite.
Outre qu'il est inefficace, le principe de l'adresse
générique est en réalité un véritable casse-tête.
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La lecture erronée de la LCEN aura des effets néfastes sur les PME innovantes |
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Une telle alternative n'est pas sérieuse et manifeste
au contraire une méconnaissance de la réalité
et de l'importance de la prospection B-to-B. En
effet, une application erronée de la LCEN concernant
la prospection B-to-B ferait courir un grave danger
à de nombreuses entreprises. D'abord aux professionnels
du secteur, de tout rang. Si les fournisseurs
de fichiers semblent les premiers concernés, l'extinction
rapide de leurs activités affectera rapidement
tous les maillons de ce métier. Les agences marketing,
de même que les courtiers, devraient voir leurs
activités se tarir considérablement. Les prestataires
techniques (SSII, éditeurs de logiciels et routeurs)
peuvent également s'attendre à une chute brutale
d'activité.
Et ce n'est que l'arbre qui masque la forêt. Car
les incidences d'une telle interprétation de la
LCEN sont bien plus dévastatrices. En définitive,
les véritables perdants sont à chercher dans le
tissu économique français au sens large, à commencer
par les PME innovantes. Ces petites entreprises
n'auront pas les moyens d'aller chercher dans
les anciens outils marketing une alternative à
l'e-mail. Pour des raisons de coûts, de lourdeur,
de délais, elles ne pourront se tourner vers des
solutions traditionnelles de type postal. Les
témoignages ne sont pas difficiles à recueillir,
et de nombreux chefs d'entreprises s'interrogent
aujourd'hui : comment pourront-ils prospecter
demain pour développer leur activité ?
Enfin, comment fera-t-on la distinction entre
une opération marketing nécessitant l'usage de
fichiers avec assentiment préalable, et l'envoi
par un commercial d'un message à sa liste de contacts,
laquelle peut facilement contenir plusieurs centaines
d'adresses ? Cette pratique est désormais bien
établie dans les entreprises françaises, mais
la constitution de ces fichiers professionnels
de contacts n'a certainement pas été faite avec
une demande formelle, susceptible de faire office
de preuve, d'assentiment préalable. Les équipes
commerciales des entreprises françaises risqueront-elles
de se retrouver devant les tribunaux ?
Il est temps à présent de comprendre qu'une interprétation
dure et restrictive de la LCEN fait courir un
grave danger à l'activité économique française,
et de revenir à des positions plus raisonnées. |
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