TRIBUNE 
PAR OLIVIER BOMSEL
Peer-to-peer : les dessous de l'affaire Madonna
Le conflit entre VirginMega et France Télécom autour du dernier single de Madonna révèle le climat de non droit qui règne en France dans l'industrie des contenus. Décryptage avec Olivier Bomsel, professeur à l'Ecole des Mines.  (07/11/2005)
 
Professeur d'économie industrielle à l'Ecole des Mines de Paris).
 
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La mise en marché de "Hung-up", le nouveau single de Madonna, et la bronca qu'elle a soulevé au sein de l'industrie du disque et de la distribution musicale, révèlent le climat délétère qui règne en France dans l'industrie des contenus. Rappel des faits : l'éditeur Warner Music signe avec France Télécom un accord de vente exclusive du titre en ligne une semaine avant sa sortie dans les bacs. VirginMega, distributeur en ligne, décide unilatéralement de mettre le titre en vente sur sa plate-forme. Par l'intermédiaire du SNEP, le Syndicat National de l'Edition Phonographique, Warner Music somme le distributeur de retirer le titre de la vente et le menace d'une plainte pour contrefaçon. Mais VirginMega persiste et signe.

Comment VirginMega a contourné Apple...
On se trouve ici dans une situation digne d'un Western. Un bon gros commerçant, un pied-tendre, essaye de s'établir dans un lieu de non droit : l'Internet français.

VirginMega - le bien nommé - a d'abord buté sur la concurrence d'un grand équipementier (Apple) ayant établi des accords planétaires pour distribuer, en exclusivité sur ses équipements, des fichiers sous format propriétaire. Les iPod qui acceptent le format iTunes et les MP3 piratés, n'acceptent pas, en effet, les DRM Microsoft adoptés par les distributeurs non intégrés. Autrement dit, les iPod se vendent grâce au piratage et forment une base de clientèle qui échappe aux distributeurs numériques indépendants.

Le juge local, le Conseil de la Concurrence, refuse en novembre 2004 à VirginMega le droit de vendre des titres au format Apple. Couvert de goudron et de plumes, le pied-tendre n'a d'autre choix que de suggérer à ses clients de couper les barbelés : il crée une page sur son site expliquant comment contourner les DRMs (l'encryptage) pour lire ses produits sur l'iPod.

...mais s'est heurté à France Télécom
Mais le pied-tendre va bientôt rencontrer le caïd local, France Télécom. L'opérateur historique est le détenteur du chemin de fer, en l'occurrence l'infrastructure Internet qu'il revend en gros aux fournisseurs d'accès. Il est aussi lui même, via Wanadoo, fournisseur d'accès au détail. Il est à ce titre responsable de la structuration croissante du réseau français en machine à pirater.

Une étude récente de Sandvine, prestataire de solutions pour les réseaux haut débit, montre que la France est recordman du monde du peer-to-peer avec 90 % des réseaux utilisés pour cette application. Au vu du déploiement et des prix de gros annoncés, ce chiffre devrait encore monter.

Cela n'empêche pas France Télécom, exactement comme Apple, de se positionner sur le segment de la distribution. L'opérateur historique va même inventer une exclusivité temporelle de vente légale, totalement inédite sur le territoire français : vendre Madonna avant tous les autres.

Une fois de plus, un acteur de l'Internet se déployant grâce au piratage institue un monopole. VirginMega se rebiffe. Il passe outre l'exclusivité. Mais cette fois, l'ensemble des notables se retournent contre lui. Que va dire le juge local ? Va-t-on enfin pendre ce pied-tendre ridicule ?

Un marché où règne la loi du plus fort ?
Le premier acteur français du piratage fait accuser par les ayants droit un distributeur légal de contrefaçon. Cette situation ubuesque est révélatrice du climat de non droit qu'établit depuis quatre ans le déploiement d'Internet autour des applications de peer-to-peer.

Ces applications, qui fédèrent le grand public en distribuant gratuitement des contenus sous copyright, accélèrent le déploiement des équipements et des réseaux. Mais elles créent des tensions croissantes dans toute la chaîne verticale de création et de distribution des contenus.

Si l'industrie des réseaux et des équipements s'accorde, en apparence, sur le partage des rentes du piratage, son objectif est de mettre en place, dans une seconde phase, de nouveaux monopoles de distribution. C'est le Far West. Le non droit et la violence économique de cette situation sèment la pagaille dans l'industrie des contenus.

Le contre-exemple américain
Côté américain, l'industrie des contenus, très intégrée horizontalement et verticalement, commence à trouver une cohérence dans la guerre ouverte qui l'oppose aux équipements.

Le dernier jugement de la Cour Suprême sur le dossier Grokster et Morpheus soutient clairement les intérêts des maisons de disques et des studios de cinéma contre ceux de l'informatique et des télécoms.

Les contenus français et européens sont, quant à eux, dispersés et plient face au secteur consolidé des équipements et des télécoms. C'est l'ensemble des industries créatrices d'image qui se trouvent menacées. Si les équipements l'emportent sur les contenus, comme c'est le cas en Asie du Sud-Est, la France de Jules et Jim, de la Grande Vadrouille et des Demoiselles de Rochefort deviendra celle de France Télécom.

 
 

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