TRIBUNE 
PAR BENJAMIN JOFFE
L'Asie, terrain de jeu pour les géants du Net ?
Benjamin Joffe, consultant Internet et mobile en Asie, fondateur de la société Plus8Star, livre régulièrement aux lecteurs du JDN ses analyses sur les dernières tendances IT asiatiques. Il s'interroge ici sur les difficultés des Google, Yahoo et MSN en Asie. Et si elle résumaient à elles seules le dilemme stratégie globale vs. stratégie locale ?  (22/05/2006)
 
Fondateur de Plus8Star, consultant Internet et mobile en Asie
 
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S'adapter ou disparaître ? Avec le passage au haut débit et la démocratisation de l'Internet, la structure du marché prend de nouvelles directions et les leaders du Web 1.0 risquent d'avoir fort à faire pour conserver leur avantage. En Chine, au Japon et en Corée du Sud, les Google, Yahoo et autres MSN doivent déjà affronter une concurrence accrue.

Leader mondial ?
Selon l'avis de tous, Google et Yahoo semblent avoir imposé leur domination au monde pour l'éternité. L'analyse de trois marchés asiatiques stratégiques nous donne pourtant à penser que leur modèle serait en fait… en perte de vitesse. Mais, avant d'aller plus loin, pourquoi ces trois marchés sont ils jugés stratégiques ? Le Japon est la deuxième économie mondiale, la Chine le pays le plus peuplé - et en deuxième position pour l'usage d'Internet -, et la Corée du Sud le plus avancé en termes de services et d'infrastructure.

Le tableau suivant donne le classement d'Alexa (un compteur d'audience reconnu) pour ces différents marchés au 1er mai 2006.

Classement d'audience en Chine, au Japon et en Corée du Sud
Rang Chine Japon Corée Global
1
Baidu Yahoo Japan Naver Yahoo
2
Sina Google Japan Nate Google
3
QQ Mixi Daum MSN
4
Sohu Rakuten Yahoo Korea Baidu
5
Netease Livedoor Netmarble Yahoo Japan
6
Yahoo China Goo Auction.co.kr MySpace
7
Google MSN Japan Gmarket Sina
8
MSN FC2 Sayclub eBay
9
Taobao Amazon Japan Hangame QQ
10
Tom.com Infoseek Empas Sohu
Source : Alexa, mai 2006

Premier constat : on peut commencer par noter la présence de cinq sites asiatiques dans le Top 10 mondial, dont quatre chinois indépendants, ce qui représente déjà un changement notable. Si l'on s'intéresse au Top 100, on trouve près de 40 % de sites "locaux" qui ne sont filiales d'aucune société américaine (les sites américains ou affiliés représentent quasiment 60 % du total). Et parmi eux : 20 Chinois, sept japonais et trois coréens. 30 % du Top 100 mondial est donc asiatique ! Quant aux sites européens, on n'en compte seulement six dans le Top 100, dont un Britannique (BBC Online), un Allemand (Rapidshare), un Français (Free), un Turc (Mynet) et deux Russes (Yandex et Mail.ru).

Regardons de plus près les classements nationaux : Yahoo est dépassé en Chine et en Corée du Sud, et sa position de leader au Japon ne tient qu'au fait que l'actionnaire majoritaire et opérateur du portail n'est autre que Softbank. Ce géant japonais de l'Internet est également leader du marché ADSL et vient de racheter la filiale locale de l'opérateur de téléphonie mobile Vodafone et ses 15 millions d'abonnés.

Google n'est même plus sur la carte (au moins dans le Top 10) en Corée du Sud, et livre un combat sans merci en Chine face à la domination de son cousin Baidu et des portails Sina et Sohu. Sa santé au Japon proviendrait davantage du relatif désintérêt des acteurs de l'Internet japonais pour la fonction de recherche pure, plus difficile à monétiser sans une masse critique.

Fort de cet état des lieux, il est difficile de décerner le titre de leader mondial à Yahoo ou Google. Même MSN est distancé localement par QQ en Chine et NateOn (messagerie instantanée de l'opérateur SK Telecom) en Corée du Sud.

Que s'est-il passé ?
Comment interpréter la faiblesse des poids lourds américains dans ces trois marchés ? Doit-on conclure à une différence culturelle mal appréhendée ? Une intervention du gouvernement ? Et surtout, qu'en penser pour l'évolution des marchés européens ?

Nous avançons quelques explications :
Yahoo est dépendant d'une stratégie globale et a été pris de court par l'explosion prématurée du haut débit en Corée : tout était à inventer, et les portails locaux ont pris les devants, lançant de nombreux services, dont certains sont devenus des avantages compétitifs majeurs. Bref, Yahoo était adapté à son marché d'origine - supposé être en avance - et faisait figure de dinosaure sur le marché local (on pourrait évoquer la stratégie japonaise de Vodafone comme autre exemple d'échec de stratégie globale).

Soyons fair play : même à la traîne, Yahoo Korea reste le plus avancé des instances de Yahoo… En Chine, le gouvernement et ses licences Internet ont protégé le marché local, et l'entrée tardive de Yahoo par une prise de participation dans Eachnet n'a pas suffi à combler le retard sur les leaders.

Pour Google, la "simplicité", qui marchait si bien lorsque les vitesses de connexion pouvaient engendrer de la frustration, ne collait plus avec les habitudes sophistiquées des utilisateurs coréens. Il manquait à Google son et lumière, un coté "entertain us" entièrement absent du service. Google serait-il plus adapté à un petit haut débit qu'au monde de la fibre ?

En Chine, Google a mis du temps avant de se positionner convenablement sur le marché, et opérait de loin. Baidu a exploité cette attitude pour se vendre comme "moteur chinois pour les Chinois", et s'est aussi appuyé sur le manque de régulation en Chine dans la recherche de musique (que Google ne pouvait pas proposer sans voir les labels venir taper à sa porte) pour attirer les "netizens" chinois, dont la large majorité a moins de 25 ans. La recherche de musique est encore aujourd'hui une des raisons majeures de l'utilisation de Baidu.

Ainsi, ces services "mondiaux" risquent fort d'avoir à faire retraite dans leur pays d'origine, et de ne dominer que les marchés anglophones et ceux encore trop faibles pour développer leurs propres success-story.

De l'Internet de masse aux services sur mesure
Le développement inégal en termes d'infrastructures, de services et de maturité des différents marchés nationaux a entraîné un déséquilibre que les acteurs "globaux" ne savent pas gérer. Le "one size fits all" convenait quand les écarts étaient moindres, où l'avantage au premier entrant jouait à plein et le ticket d'entrée était plus élevé.

L'abaissement des barrières d'entrée technologiques et financières et l'important développement des talents maîtrisant les technologies du Web font que le fameux "one man and his dog" avec une bonne idée de niche (d'où le chien) et efficace dans l'exécution a sa chance face aux plus gros.

Par ailleurs, l'information se veut de plus en plus locale : il ne s'agit plus seulement d'échapper à l'US-centrisme, mais aussi d'accéder à des informations directement utilisables au quotidien, dans sa ville ou sa région. Et les tamis de Yahoo ou Google sont tout simplement trop gros.

Nouvelles directions
Un paradoxe intéressant est que l'ouverture sur le monde mise en avant pendant la première décennie de l'Internet se commue peu à peu en un repli volontaire vers de l'information nationale. Ce n'est rien de nouveau pour les Etats-Unis qui naviguaient déjà en anglais, et c'est logique - chacun est davantage concerné et impacté par les informations locales, et celles-ci ne sont disponibles en général que dans la langue du pays.

L'analyse de la situation observée sur ces trois marchés nous conduit maintenant à identifier deux directions : l'une étant le passage du global au local, l'autre du généraliste au spécialisé ("tout sur le foot", "tout sur les sports automobiles" proposant des informations du monde entier en 20 langues avec une forte localisation), accompagné d'une banalisation de services tels que l'e-mail, le blog et les informations générales, l'utilisateur considérant presque sa visite sur ces sites comme un honneur qu'il leur fait.

Faut-il s'inquiéter ?
Faut-il s'inquiéter d'avoir davantage de services plus utiles à chacun ? C'est sans doute un défi pour les poids lourds du Web, mais aussi un surcroît d'opportunités, car les bonnes idées peuvent s'adapter d'un marché à l'autre ! Demandez à Fabrice Grinda, entrepreneur en série et fondateur de Aucland et Zingy où il a trouvé son inspiration. Les bonnes idées sont partout, il ne reste qu'à les identifier et à les mettre en application !

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