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People, politique et Internet en Asie
Benjamin Joffe, consultant Internet et mobile en Asie, fondateur de la société Plus8Star, livre régulièrement aux lecteurs du JDN ses analyses sur les dernières tendances IT asiatiques. Ce mois-ci, comment les nouvelles technologies bouleversent le rapport aux politiques et aux people en Asie. Dans le sens de la démocratie ?
(29/06/2006)
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Fondateur de Plus8Star,
consultant Internet et mobile en Asie |
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On peut lire ici ou là des chiffres forts sur
l'Asie : "70 % de pénétration du
haut débit en Corée du Sud" ou "400 millions de
mobiles et un milliard de SMS par jour en Chine".
Mais souvent, ces valeurs gardent un aspect un peu
éthéré car il est difficile d'imaginer l'impact
que peut avoir la diffusion des moyens de communication
dans un contexte économique et politique différent
du nôtre. Les illustrations suivantes ont pour but
de mettre en avant les côtés "people" et, à l'approche
des élections présidentielles, leur influence en
politique.
Sexe, mensonge et vidéo
Difficile de parler de Chine et d'Internet sans
entendre les mots "filtrage", "censure" et autres
"affaire Yahoo". Sans prendre la chose à la légère,
les choses sont loin d'être si sombres
mais
elles ne sont pas simples non plus.
Si les hébergeurs chinois doivent empêcher la publication
de pages comportant un certain nombre de mots-clés
sensibles et si certains sites ne sont pas accessibles
de Chine (par une combinaison de filtrage au niveau
des adresses IP ou des URLs, des ISPs, de maquillage
de pages d'erreur, etc.) une grande majorité des
sites l'est sans problème
y compris l'onglet
"images" de Google montrant une photo d'étudiant
devant un tank pour une recherche sur "tiananmen".
Un excellent dossier étant disponible gratuitement
sur Internet sur ce sujet, passons à des aspects
plus positifs de l'Internet chinois.
Tout d'abord, le nombre de blogueurs chinois pourrait
atteindre 60 millions à la fin 2006 selon une étude
de l'Université Tsinghua (le M.I.T. chinois). Parmi
eux, quatre sont déjà presque plus célèbres en Chine
que Jean Reno :
- Les "Backdorm Boys" : deux étudiants en art
devenus célèbres grâce à une vidéo de leur playback
comique d'une chanson des Backstreet Boys tournée
à la webcam dans leur résidence universitaire. Ils
ont ensuite été embauchés pour une campagne de Motorola
et seraient en discussion avec Pepsi pour devenir
ambassadeurs de la marque.
- "Mu Zimei", une blogueuse qui se présente ainsi :
"j'ai un travail qui m'occupe, mais sur mon temps
libre j'ai un passe-temps très humain : faire
l'amour". Pas vraiment l'image qu'on se ferait d'un
blogueur chinois
Mi-2003, le blog de Mu Zimei
avait reçu plus de 160.000 visites et les interviews
pleuvaient, son blog aurait maintenant dépassé les
10 millions de pages vues par jour. Une interview
récente et sous-titrée est disponible sur l'excellent
blog "Danwei".
- Grande Sur Hibiscus (fleur décorative de
la famille des malvacées et accessoirement nom chinois).
Par une combinaison savante de poses sensuelles
et d'absolue confiance en elle en dépit des quolibets,
Grande Sur Hibiscus a atteint le statut de célébrité
mais semble avoir échoué pour la monétisation de
ce statut. Andy Warhol n'avait pas précisé si les
15 minutes de célébrité seraient rémunérées
Ces trois exemples ne sont qu'une goutte dans l'océan numérique mais peuvent aussi être vus comme un symbole du changement et de l'émergence d'une liberté d'expression sans précédent en Chine. C'est évidemment très bien pour l'individu, mais cela a aussi son importance pour les entreprises, à tel point qu'une société locale s'est même spécialisée dans la mesure du buzz sur les blogs et forums chinois et le "below the line". Google aurait été bien inspiré de suivre cela de près lors du lancement de son nom chinois "Guge" (chanson de la vallée - cherchant une légitimité dans la culture chinoise comme son concurrent Baidu, au nom tiré d'un ancien poème).
"Scandale" à Séoul
Certains auront peut-être vu le remake éponyme des Liaisons Dangereuses dans la Corée de la dynastie Joseon. Peu auront entendu parler du sulfureux "X-file" qui a secoué l'Internet coréen l'an dernier et a failli donner lieu au plus grand procès du monde du showbiz, impliquant 59 célébrités contre un publicitaire.
Pour protéger ses clients du risque lié a l'association
de leur marque à des célébrités à la vie privée
ou publique houleuse, cette société avait entrepris
d'interviewer dix journalistes "people" et de constituer
un dossier sur les 125 célébrités du showbiz coréen
les plus en vue (coût de l'opération : environ 200
euros). Le petit trésor de 113 pages sous Powerpoint
aurait été envoyé par un employé à l'un de ses amis
sachant que la Corée a 70 % de pénétration
du haut débit, que presque tous utilisent MSN ou
Nate Messenger (coût de l'opération : 0 euro)
En
quelques jours, tout le pays avait reçu le fameux
dossier.
Le droit de réponse devient plus difficile à gérer
dans un tel contexte, d'autant plus que le dossier
n'était constitué que de rumeurs et d'informations
publiques ! Les poursuites (coût de l'opération :
variable) ont finalement été abandonnées en avril
2005 à la faveur d'un règlement à l'amiable (on
parle de 300.000 euros de dédommagement par tête
pour certains, ainsi que des messages d'information
à diffuser gratuitement par le publicitaire).
La Chine vote
Li Yuchun a été élue par 3.528.308 votes contre 3.270.840 pour Zhou Bichang. Et la Chine n'avait jamais autant voté.
Ce n'était pas pour le poste de maire de Pékin mais pour l'équivalent chinois de notre "Star Academy". La grande Li Yuchun au look androgyne ne chante pas aussi bien que Christophe, mais a su s'attirer les sympathies du public par son côté naturel et non-conformiste.
L'émission "Supergirl" a ainsi été le grand succès de 2005, avec près de 400 millions de téléspectateurs, un record pour la chaîne régionale Hunan TV qui n'a pas manqué d'agacer la chaîne nationale CCTV (toutes deux étant des chaînes publiques).
Marquant l'entrée des émissions interactives en Chine, Supergirl en a aussi montré le potentiel commercial : pour la sélection de dix participantes, plus de 120.000 candidates se sont présentées aux auditions et plus de 20 millions de votes ont été envoyés par SMS (pour environ 3 millions d'euros) au cours des émissions, sans parler des recettes publicitaires, des contrats exclusifs, etc.
Évidemment, l'approche est résolument populiste et on est très loin d'un vote démocratique - une même personne peut voter plusieurs fois, un système de repêchage pour un candidat est prévu (offrant une nouvelle occasion de voter) ce qui fait que le système privilégie les votants riches - mais peut être une voie pour approcher d'autres types de votes...
Et la Corée vote aussi !
Et pour de bon. Près de deux ans en arrière, en
décembre 2002, M. Noh Moo-Hyeon l'emportait sur
le favori Lee Hoe-chang et devenait "Président Roh"
(il a été jugé que "Président Noh" n'aurait pas
bien sonné a l'étranger). De nombreux commentateurs
ont attribué sa victoire à sa forte popularité auprès
des jeunes, et à leur exceptionnelle mobilisation.
Par le biais de SMS, de MSN (chacun ayant aisément
100 camarades en "friends list") et de forums en
ligne, les ondes étaient emplies de messages incitant
à aller voter. Ce résultat, plutôt original pour
un pays qui était une dictature militaire jusqu'en
1993, démontre certainement que les nouvelles technologies
peuvent permettre d'encourager la conscience citoyenne.
Avec près de 11,7 millions d'inscrits non-votants
au premier tour en 2002, il y a certainement de
quoi faire en France.
Pour conclure sur une tentative plus récente, en mai 2006, M. Jin Dae-Jae, ancien ministre des Télécommunications et ex-cadre dirigeant chez Samsung se présentait aux élections régionales en utilisant le système de "hot code advertising" de l'opérateur KTF. Il fit ainsi figurer sur sa carte de visite, ses posters de campagne et sur une énorme banderole posée sur la façade d'un immeuble, le code-barres bi-dimensionnel permettant d'accéder à son site mobile de campagne.
Et le Japon ?
Bizarrement, et malgré les recherches effectuées, il n'a pas été possible de trouver de bon exemple japonais
Pour tenter d'expliquer cet état de fait, on peut considérer l'absence de SMS (les Japonais utilisent depuis 1999 l'e-mail mobile, beaucoup moins cher et compatible avec l'e-mail du PC, mais qui a empêché l'apparition de SMS+ et donc de télévision interactive) et une vision désabusée sur la classe politique (le même parti est au pouvoir presque sans interruption depuis près de 50 ans et les Japonais n'élisent pas directement leur premier ministre).
Paradoxalement, une des figures emblématiques de l'Internet japonais, l'entrepreneur Joichi Ito, est aussi l'un des fervents promoteurs d'une "démocratie émergente" poussée par les moyens de communication. Le Japon semble montrer qu'il ne suffit pas d'avoir ces dits moyens, il faut aussi une volonté
Et le match ?
Il était difficile de ne pas parler de football ce mois-ci
mais mis à part un spot de l'opérateur mobile KTF en Corée du Sud qui met en scène une famille et reprend la voix d'un commentateur nord-coréen (dans une tentative humoristique de rapprochement), les lancements commerciaux de la télévision sur mobile en Corée et au Japon et l'entrée du site communautaire made-in-Italy Goal.com dans le paysage asiatique, un sujet "football" aurait été plutôt maigre. Résultats mis à parts, Zinédine Zidane reste un excellent ambassadeur de la France en Asie !
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