TRIBUNE 
PAR FRANCOISE COLLIN
Presse et moteurs de recherche : que dit le droit français ?
En septembre, Google.be était condamné pour violation des droits d'auteur des éditeurs de la presse belge francophone. Désormais, c'est MSN qui est sur la sellette. Des décisions analogues pourraient-elles être prises en France ? Le point avec Françoise Collin.   (16/10/2006)
 
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Google a été condamnée en Belgique pour son service "Google news" et l'utilisation du "cache" Google au motif que seraient ainsi violées les lois belges relatives aux droits d'auteur et aux droits voisins d'une part et aux bases de données d'autre part. Confrontée à une même demande le juge français aboutirait-il à la même conclusion ? A n'en pas douter la réponse serait positive sur les deux fondements retenus par le Tribunal belge.

Concernant les droits d'auteur
La reproduction d'une œuvre de l'esprit remplissant les conditions de la protection accordée par le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), effectuée sans autorisation du titulaire des droits d'auteurs y afférents constitue une contrefaçon (article L.335-3 CPI). Certaines exceptions au droit exclusif de l'auteur sont cependant prévues par l'article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, au nombre desquelles on peut relever les suivantes qui pourraient être applicable en ce domaine :

- celle relative à la "revue de presse". Elle n'est pas définie dans cet article, et c'est donc la jurisprudence qui a procédé à cette définition. Elle doit donc s'entendre comme une "présentation conjointe et par voie comparative de divers commentaires émanant de journalistes différents et concernant un même thème ou un même événement". (Cour de cassation, Chambre criminelle, 30 janvier 1978)

A l'évidence ni Google News, ni le cache Google ne peuvent entrer dans ce cadre dès lors qu'aucun apport journalistique ou d'effort comparatif n'est mis en œuvre.

- celle relative aux "analyses et courtes citations". Cet article légitimerait qu'il soit procédé à une revue purement signalétique et analytique des articles parus, se limitant à signaler les titres de presse et les articles considérés comme intéressants (le cas échéant avec une citation de courts extraits de certains d'entre eux). Cette exception suppose cependant la réunion de plusieurs conditions posées en particulier par la Cour de Cassation dans l'affaire MICROFOR (Cour de cassation, Assemblée plénière, 30 octobre 1987)

- "L'auteur et la source doivent être clairement cités,
- La citation de l'œuvre doit être suffisamment courte, et l'analyse ne pas dispenser le lecteur de recourir au texte évoqué,
- Ces citations et analyses devraient être intégrées dans une oeuvre, représentant un apport intellectuel.

Le Service Google News ne parait pas remplir l'intégralité de ces conditions.

Concernant le droit sur les bases de données
L'article L. 112-3 du CPI définit une base de données comme "un recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles".

La presse sur Internet répond aux conditions posées par cet article directement issu d'une directive communautaire.

Le producteur de la base (c'est-à-dire "la personne physique ou morale qui a pris l'initiative et le risque des investissements correspondants" - article L. 341-1 du CPI) - bénéficie de la protection instituée par la loi. A ce titre, il a notamment le droit d'interdire l'extraction ou la réutilisation d'une partie "quantitativement substantielle", ou "qualitativement substantielle" ou encore à "l'extraction ou la réutilisation répétée et systématique" des contenus de sa base. La violation des droits du producteur d'une base de données est sanctionnée tant au plan civil que pénal.

En France, le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI Paris, 3ème ch., 5 septembre 2001) statuant au fond dans l'affaire SA Cadremploi c/ SA Keljob a déjà eu l'occasion de retenir "que la société Keljob extrait et réutilise quotidiennement une partie qualitativement substantielle de la base de données de la société Cadremploi, sans l'autorisation de cette dernière ; ….. que la société Keljob, en agissant ainsi, porte atteinte aux droits de la société Cadremploi sur sa base de données, et tire profit des investissements considérables effectués par cette dernière pour la constituer et la mettre à jour".

Le forum des droits sur l'internet a d'ores et déjà pour sa part souligné que "L'application de la législation sur les bases de données est donc véritablement problématique pour le fonctionnement des moteurs de recherche" . Il a ainsi été conduit à tirer, notamment, les recommandations suivantes :

- à l'intention des personnes établissant des hyperliens : "Lorsqu'une interdiction d'extraction ou de réutilisation des données est formulée par le producteur de la base :

1) d'éviter de reproduire, pour accompagner ou illustrer le pointeur d'un ou plusieurs hyperliens vers les ressources d'un même site, une partie significative du contenu de ces ressources ou plusieurs de leurs titres;

2) de veiller à ne pas multiplier les liens profonds vers les pages ou ressources d'un même site".

- à l'intention des titulaires de sites :

"d'afficher clairement la politique qu'ils entendent mener à l'égard des hyperliens, c'est-à-dire à désigner les types de liens et modes de présentation souhaités ou non. Cette politique doit tenir compte du fait que seuls les liens susceptibles de porter atteinte à un droit peuvent être interdits..."

Cette recommandation semble suivie par de nombreux professionnels. Par exemple "Le Monde" indique clairement sa politique en ce domaine : la création d'un lien vers le site est autorisée sous certaines conditions, et en particulier sous la suivante :

"Il est précisé que la libre autorisation de faire un lien vers un site n'inclut pas le droit à la reproduction d'une partie du contenu pour fabriquer ce lien."

Le précédent judiciaire de nos voisins belges peut amener à des décisions analogues en France. Avis donc aux titres de presse en ligne : une bonne protection du patrimoine intellectuel passe aussi par une gestion rigoureuse de leurs conditions d'utilisation du contenu de leur site Internet, en particulier en matière d'hyperliens.

 
 

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