Non, le numérique ne détruit pas les relations sociales

Une vision catastrophique nous promet une dégradation des relations sociales à l’aune du développement du tout-numérique. Pourtant, l’avènement massif de nouvelles pratiques solidaires et collaboratives en ligne montre le contraire.

Là où les plus pessimistes déplorent une annihilation des relations sociales par Internet, il conviendrait bien au contraire de considérer le numérique comme un vecteur de solidarité. Le premier constat est qu’il est totalement impossible de mettre un terme à la connectivité croissante des populations, en France et dans le monde. En 2017, 51% de la population avait accès à Internet dans le monde. En 2019, 3,2 milliards de personnes utilisaient les réseaux sociaux, soit 42 % de la population mondiale. Facebook domine très logiquement ce segment. Ces deux chiffres sont, très logiquement, en hausse constante. Cette double acculturation, à Internet et ses outils, témoigne d’une tendance de fond qu’aucun facteur ne semblerait pouvoir contrer.

Pour ce qui est de l’impact d’Internet sur la qualité des relations sociales, les études montrent que, sauf dans de très rares cas qui nécessitent un suivi et un accompagnement tout particulier, aucun lien de corrélation n’existe entre désintégration sociale et accès à Internet. Les difficultés sociales ne sont pas liées à une surconnectivité à Internet mais à la conséquence d’une incapacité à interagir avec les autres dans le monde réel. Dans ces rares cas, Internet devient un moyen alternatif, parfois néfaste, de resocialisation. La notion même de réseau social a précédé l’apparition d’Internet. Une autre étude, publiée aux Etats-Unis et datée de 2009, montrait qu’aucune évolution notable de l’isolement social n’était à déplorer entre 1985 et 2009, malgré la diffusion massive de la connectivité à Internet parmi les populations. Globalement, contre toute attente, aucune tendance ne semble indiquer une corrélation notable entre Internet et dégradation -ou amélioration- des liens sociaux. Si l’optimisme numérique est de mise, il faut donc le chercher ailleurs. Dans la formidable capacité d’Internet à viraliser des pratiques positives et porteuses de sens.

Accélérateur de pratiques positives

Le vecteur numérique a permis une augmentation exponentielle des pratiques collaboratives et solidaires. Les pratiques positives ont été marquées, via Internet, par un changement d’échelle majeur. Les échanges collaboratifs ont ainsi connu une croissance très soutenue avec l’arrivée d’Internet. Le développement de l’économie collaborative en est l’exemple le plus frappant. Là où elle ne se limitait auparavant qu’à quelques échanges interpersonnels, elle devrait d’ici 2025 générer un chiffre d’affaires de 305 milliards d’euros selon une étude du Ministère de l’Economie. Cette réussite est très largement la conséquence d’une connectivité croissante des populations et de la structuration économique grandissante des acteurs de l’économie collaborative, qui ont vu leurs revenus grimper avec le vecteur numérique. Des progrès techniques successifs ont aussi amélioré les systèmes de géolocalisation, l’intuitivité des marketplaces et les facilités de paiement. Aujourd’hui, 9 000 startups, très largement centrées sur le modèle de la marketplace numérique, nourrissent le développement de l’économie collaborative au sein de l’espace digital.

Récemment, Le Pot Commun, plateforme de cagnottes collaboratives, a passé le cap des 100 millions d’euros collectés. Si une large partie de ces gains est liée à des évènements privés (anniversaires, mariages…), beaucoup de cagnottes sont mises en ligne à des fins solidaires, comme le financement des soins pour des personnes malades, le soutien aux personnes en grande précarité ou la création de projets humanitaires. Une spécialiste du secteur évoque même des "places de marché de la philanthropie", capable de créer des réflexes solidaires. Elle note aussi une progression constante des multidonateurs sur les différentes plateformes, signe d’une acculturation croissante aux réflexes solidaires. Certes, le carnet de chèque reste le principal vecteur de don des Français. Mais la part de la carte bancaire, via le paiement en ligne, est en hausse constante et est passé de 12 % en 2017 à 15 % aujourd’hui.

Optimisme numérique

La capacité de viralisation offerte par les vecteurs numériques réveille des solidarités très profondément ancrées. La création des réseaux d’entraide, comme Wanted, a structuré des liens de solidarité interpersonnels entre des dizaines de milliers de personnes au sein d’une ville, d’un quartier ou d’un département. Facebook a d’ailleurs très bien identifié la capacité de son réseau social à générer des réflexes solidaires en accordant un million de dollars aux trois créateurs du groupe  Wanted Community.

La démarche solidaire numérique est tout particulièrement ancrée chez les jeunes générations. La communauté numérique porte la solidarité. 31 % des donateurs de moins de 35 ans ont été sensibilisés à une cause via les réseaux sociaux. L’optimisme numérique est donc de mise. La capacité de viralisation offerte au sein de l’espace digital contribue à réveiller des réflexes très solidement ancrés au sein des individus.