Marie Ekeland (Elaia Partners ) "Il faut réorienter l'épargne des Français pour accompagner les start-up"

Un an après la création de France Digitale, Marie Ekeland expose l'acte II des projets de la structure.

Elaia Partners s'est repositionné exclusivement en amorçage en créant le fonds Elaia Alpha. Pourquoi ?

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Marie Ekeland est la cofondatrice du lobby France Digitale. © Pascal Guittet

Marie Ekeland. L'amorçage offre indéniablement de meilleures performances que tout autre type d'investissement. Nous sommes par exemple rentrés tôt dans Criteo et le prix d'émission des titres de la société lors de l'entrée des actionnaires japonais l'an dernier était 20 fois supérieur à notre prix d'entrée alors qu'on tablait sur un multiple entre 5 et 10. C'est sur ce type d'opération que la valeur ajoutée est la plus forte car la confiance s'instaure plus facilement avec l'entrepreneur. En revanche la prise de risque en amorçage est plus forte, mais comme le marché français est plus mature qu'il y a cinq ans, le dealflow est de fait plus important. L'offre est donc plus qualitative.

Pour répondre aux lacunes en capital-développement en France, comment pensez-vous qu'il soit possible de financer la croissance des PME françaises ?

En France, 91% du financement des entreprises non cotées est réalisé via de la dette. Aux Etats-Unis, la tendance s'inverse puisque 80% de ces financements est réalisé en capital. Ce même taux est de 24% en Allemagne et on arrive à 50% au Royaume-Uni.  Or la France a besoin de capitaux pour créer des champions internationaux. Et le capital-risque devrait être financé par ceux qui ont intérêt à ce que l'emploi progresse, comme les mutuelles, assurances et fonds de pension. Aujourd'hui nous avons perdu les assureurs et nous n'avons pas de fonds de pension en France. Notre unique levier est de pouvoir réorienter l'assurance vie dans ce type d'investissements. Il faut également créer des possibilités de croissance sur les sociétés plus matures et aujourd'hui, les PEA et Livrets A vont à l'inverse de ces besoins. La naissance d'un PEA-PME est donc primordiale. Il faut réorienter l'épargne des français pour accompagner les start-up.

Il y a un an les capitaux-risqueurs tiraient la sonnette d'alarme et s'inquiétaient de leur survie. Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Il faut s'attaquer frontalement à tout ce qui constitue un frein à la croissance de nos entreprises"

Le renforcement de la règlementation européenne en matière d'investissement fut en effet un mauvais signal. Mais si les fonds survivent, c'est parce qu'il y a une tendance à une présence des financements publics accrue. Dans les années 2006-2007, les chiffres de L'European Private Equity and Venture Capital Association (EVCA) indiquaient que les fonds européens étaient à 35% souscrits par de l'argent public. Ce chiffre est monté à 65% aujourd'hui ce qui traduit la disparition d'acteurs privés comme les assureurs. Par ailleurs l'effet de la bulle est encore ressenti et les performances des fonds ne sont pas bonnes. L'Europe n'a pas encore créé de géants du Web. Le point positif, c'est que des sociétés comme King, Spotify, Soundcloud et Criteo ont aujourd'hui ce potentiel.

Après le succès des Assises de l'Entrepreneuriat, quelle est la feuille de route de France Digitale pour les douze prochains mois ?

Il faut fixer des priorités et s'attaquer frontalement à tout ce qui constitue un frein à la croissance de nos entreprises. Il faudra accompagner cette transition économique majeure qu'est celle du numérique et mettre fin à toute cette obsolescence juridique qui freine le développement de nos sociétés. Il faut donc instaurer et maintenir le dialogue entre les écosystèmes. Nous travaillons pour cela à la création d'une plateforme communautaire pour aider ces écosystèmes à échanger. Par ailleurs nous nous sommes rapprochés des universités pour les inciter à renforcer leurs liens avec les entreprises mais ce projet sera principalement tiré par les doctorants. Nous annoncerons nos mesures à l'occasion du France Digitale Day qui se tiendra le 2 juillet prochain.

Quel message adresseriez-vous aujourd'hui à Fleur Pellerin ? Que vous a inspiré le couac gouvernemental de l'affaire Dailymotion ?

Les Assises de l'Entrepreneuriat ont été un formidable exemple de social-démocratie mais il faut aller jusqu'au bout, c'est-à-dire transposer les propositions formulées en réformes concrètes et les projets de lois appliqués.

En ce qui concerne Dailymotion, il est regrettable que la question de l'assimilation de deux notions que sont le capital et l'activité n'ait pas été soulevée. Aujourd'hui près de la moitié des sociétés du CAC 40 sont détenues par des capitaux étrangers, ce qui est propre à une économie mondialisée. Le vrai débat aurait été de savoir si Yahoo était capable de poursuivre le développement de l'activité locale de Dailymotion. Nous n'avons pas eu le temps d'entendre Yahoo sur ce point.

Associée chez Elaia Partners, Marie Ekeland débute sa carrière en 1997 chez JP Morgan comme informaticienne, à New York puis Paris. Elle rentre chez CPR Private Equity puis chez Crédit Agricole Private Equity avant d'intégrer Elaia Partners. Elle est titulaire d'un diplôme d'ingénieur en mathématiques et en informatique de l'Université Paris IX Dauphine ainsi que d'un master d'Analyse et Politique Economique à l'Ecole d'Economie de Paris.