Ces start-up qui dérangent les acteurs traditionnels DemanderJustice, victime de "harcèlement judiciaire"

La guerre menée par des avocats au tout jeune site Demanderjustice pourrait bientôt marquer un précédent dans la lutte entre petits nouveaux de l'Internet et professions réglementées. Le 6 février, ses co-fondateurs se défendront devant le tribunal correctionnel de Paris d'une accusation d'exercice illégal du droit. Le site permet, pour des litiges portant sur des sommes allant jusqu'à 10 000 euros, de compléter un dossier pour saisir soi-même le tribunal, sans faire appel à un avocat.

Pour 39,90 euros, le dossier est rédigé à partir de modèles préexistants puis envoyé en recommandé à l'adversaire pour encourager un règlement à l'amiable.

Dans 40% des cas, cela suffit à régler le différend. Mais si cela ne donne rien, 15 jours plus tard, l'internaute peut faire envoyer le dossier au tribunal pour 69,90 euros de plus. 100% des dossiers sont rédigés correctement, et toutes les affaires sont instruites au tribunal. Le client y sera convoqué et devra s'y défendre seul, comme la loi le permet -au-delà de 10 000 euros de litige, la représentation par un avocat est obligatoire.

jérémy oinino, co-fondateur de demanderjustice.
Jérémy Oinino, co-fondateur de Demanderjustice. © Alain Guizard

Demanderjustice, puis sa filiale Saisirprudhommes, destinée aux litiges entre salariés et employeurs, ont été élaborés avec des développeurs, mais aussi des juristes et des associations de consommateurs. "Demanderjustice traite d'affaires simples, commente Jérémy Oinino. Un opérateur téléphonique qui n'a pas pris en compte la lettre de résiliation, une société qui n'a pas livré un objet... Ce sont principalement des affaires de consommation pour lesquelles les gens sont capables de se défendre eux-mêmes. Ils connaissent très bien le dossier." Dans 80% des cas, le tribunal leur donne d'ailleurs raison. 

Mais les critiques des avocats n'ont pas tardé à pleuvoir. "Le site a été lancé en novembre 2011, et dès avril 2012, nous avons commencé à recevoir des lettres d'avocats affirmant qu'on ne respecte pas la réglementation sur l'exercice du droit. Ils nous accusent de faire du conseil et de la représentation et nous mettent sur le même plan que des pratiques illégales, comme des avocats radiés qui font du conseil sur Internet, déplore Jérémy Oinino. Nous leur avons répondu pour tenter de déconstruire les fantasmes : nous ne faisons pas de conseil juridique personnalisé, mais de la création de logiciels, et pas de représentation, puisque nous n'allons pas au tribunal." Mais, pour les avocats, "la justice leur appartient, le justiciable doit passer par eux et ne peut pas se débrouiller tout seul.... Une vision plutôt infantilisante !"

Accusés de pratiquer le conseil juridique illégal

Pour Léonard Sellem, l'autre cofondateur, les réels arguments sous-tendus sont économiques. "Les avocats ont peur qu'à terme, si le service se développe, on leur pique des clients. Ils pensent aussi que Demanderjustice va habituer les justiciables à des prix bas, et qu'ils ne voudront plus payer les honoraires d'avocats." Pourtant, assure-t-il, "on attaque un marché qui n'est absolument pas satisfait. Huit fois sur dix, pour ce genre de litiges, les clients abandonnent les procédures. Nous permettons au contraire de lever les barrières à l'accès au droit pour tous et de saisir le tribunal par Internet sans assistance et connaissances particulières." Pour le cofondateur, les avocats "se soucient peu de l'intérêt du public, mais de la perte que ça pourrait représenter pour eux à terme". Plus de 70 000 dossiers ont été déposés sur le site depuis novembre 2011, et "pas une seule plainte de client". Par ailleurs, ajoute Léonard Sellem, "ces cas qui ne seraient jamais portés au tribunal en temps normal donnent du travail aux avocats... De la partie adverse !"

Procédures innombrables

"Nous avons été victimes d'une forme de harcèlement judiciaire, raconte Jérémy Oinino. Une arme que les avocats maitrisent à la perfection." Enquêtes, tribunaux et organes de contrôle saisis -dont la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes... "De nombreuses procédures", se contente de résumer Jérémy Oinino. "On a toujours fait valoir le respect de la réglementation. Plusieurs rapports d'enquêtes ne constatent aucune infraction." A l'aune de l'audience du 6 février au tribunal correctionnel de Paris, les cofondateurs se disent "confiants".

Pour eux, "le signal international donné par ce type de conflits aux entreprises innovantes est très mauvais. Notre seul tort est de vouloir moderniser la justice. Nous faisons l'objet d'une défiance généralisée parce qu'on attaque un nouveau secteur et qu'on menace une profession établie." La start-up se targue par ailleurs d'être créatrice d'emplois: elle compte vingt employés depuis octobre, et devrait en embaucher entre 15 et 20 de plus en 2014.