La justice française a reconnu la licence libre GNU-GPL

Un prestataire ayant livré un logiciel sans se conformer à la licence GNU GPL s'appliquant à une partie de ses composants a été condamné pour défaut de délivrance conforme. Il s'agit là d'une première réception de la licence libre GNU au niveau d'une Cour d'appel française.

La progression des logiciels libres au sein du marché des produits et services informatiques se poursuit. Loin des grandes controverses qui ont initialement accompagné l'éclosion de ce phénomène technico-juridique, les prestataires informatiques comme leurs clients ont reconnu les avantages du logiciel libre. L'Open Source et plus généralement les licences libres constituent aujourd'hui une figure économique parfaitement viable, vers laquelle se tournent de nombreux éditeurs.

 

Bien des juristes français ont argué de l'inadaptabilité des licences libres, et en particulier des plus connues et des plus « radicales » d'entre elles, les licences GNU de la Free Software Foundation. Certains invoquaient le droit moral du Code de la propriété intellectuelle ou encore la garantie d'éviction, d'autres craignaient que ces licences ne soient tout simplement pas localisables en droit français.

 

Outre les initiatives de création de licences libres rédigées en droit français, comme la licence CeCILL, ou les tentatives de simplification opérationnelle, comme les licences Creative Commons, la question se posait de la réception en droit français des licences libres d'ores et déjà utilisées par les équipes techniques (ainsi que par les juristes anglo-saxons).

 

Un premier jugement, rendu par le TGI de Paris le 28 mars 2007 avait inauguré cette saisie des licences libres par le juge français. Il s'agissait d'une affaire opposant plusieurs universités à la société Educaffix, qui leur avait acheté un logiciel de formation à distance (développé par des chercheurs) baptisé « Baghera ».

 

Le logiciel embarquait un module JATlite développé par l'université de Stanford et placé sous licence GNU, qui empêchait le développement par Educaffix d'une version dérivée. Educaffix avait alors assigné les universités cédantes en nullité de la cession : le silence gardé sur les droits de l'université de Stanford et sur l'obligation d'obtenir l'autorisation de celle-ci pour modifier le logiciel constituait selon elle une réticence dolosive.

 

Subsidiairement, Educaffix demandait également la résolution du contrat et des dommages et intérêts, le silence du cédant ayant exposé Educaffix à une exploitation contrefaisante du logiciel.

 

Les défendeurs répondirent qu'Educaffix était parfaitement informée des limitations de garantie et notamment du fait que les contrats organisant la cession comportaient précisément une clause d'exclusion de garantie : « la présente cession est faite sans autre garantie que celle de l'existence matérielle de Baghera ».

 

Le TGI avait estimé qu'il n'y avait pas eu dol, les échanges entre les parties montrant que la présence du module JATlite avait bien été évoquée entre les parties. La société Educaffix, qualifiée de « professionnelle de l'informatique », n'avait donc pu ignorer la présence du module litigieux.

 

En outre, les contrats organisant la cession précisaient bien que certaines parties du logiciel n'avaient pas été développées par les chercheurs et qu'elles ne faisaient pas partie du périmètre de cession. La transmission de l'ensemble des codes sources ne signifiait pas ipso facto le transfert de tous les droits de propriété (puisque la licence GNU oblige au transfert des sources sans pour autant entraîner de transfert de propriété, les droits (copyrights) s'incrémentant au fur et à mesure des contributions).

 

Il n'y avait donc eu aucun dol, le module litigieux n'ayant pas été « vendu » à Educaffix.

 

Mais Educaffix avait également demandé, en subsidiaire, la résolution du contrat, puisque le logiciel ne pouvait fonctionner sans le module JATlite. Selon la licence GNU, tout développement auquel le module est intégré doit lui-même être placé sous la même licence GNU (il s'agit de son caractère « copyleft »). Le fonctionnement de JATlite se doublait donc d'une exigence juridique : le respect de ses conditions de propagation.

 

Le TGI a là aussi estimé que cette interdépendance du logiciel Baghera et de son module JATlite étaient connus des deux parties ab initio. Il appartenait donc à Educaffix d'obtenir une licence de la part de l'université de Stanford, ou d'accepter la proposition des chercheurs de remplacer le module JATlite par un autre, compatible avec les projets d'Educaffix.

 

Le TGI a donc estimé que la bonne exécution du contrat de cession dépendait clairement, dans l'esprit des deux parties, de ce remplacement. Le TGI a alors prononcé la résolution du contrat aux torts partagés des deux parties.

 

Si cette décision n'a pas pleinement confirmé l'application de la licence libre GNU en droit français, du moins a-t-elle reconnu qu'il était nécessaire de régulariser l'utilisation de JATlite auprès de l'université de Stanford. Indirectement, cela constituait la reconnaissance de la validité des clauses de la licence libre.

 

Mais tout récemment, un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 septembre 2009 a admis cette application de façon bien plus nette.

 

Dans cette espèce, l'Association nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA) avait commandé à une société EDU 4 l'installation sur plusieurs établissements pilotes d'une solution matérielle et logicielle de formation, avant de procéder à son déploiement, dans le cadre d'un marché public à bons de commande.

 

Malgré des retards dans la validation de l'aptitude au bon fonctionnement (VABF) de la solution, celle-ci fut acquise sur les sites pilotes, entraînant une mise en exploitation avant déploiement. L'AFPA précisait, lors du prononcé de la recette, qu'elle comptait néanmoins demander des informations supplémentaires sur les logiciels embarqués dans la solution.

 

Quelques semaines plus tard, l'AFPA a interrompu la procédure de vérification en service régulier (VSR), en arguant du fait qu'un module installé, le logiciel Référence, n'était pas la propriété de la société EDU 4. En réalité, l'AFPA venait de comprendre que son prestataire avait intégré à la solution une version modifiée du logiciel libre VNC.

 

EDU 4 ayant refusé de transmettre le code source et la licence GNU relatifs au logiciel VNC, l'AFPA a alors refusé la VSR et prononcé la résiliation du marché. EDU 4 a aussitôt attaqué l'AFPA en paiement de la phase de test sur les sites pilotes et en paiement d'indemnités pour résiliation abusive, demandes auxquelles avait accédé le TGI de Bobigny en 2004.

 

Devant la Cour d'appel, l'AFPA reprochait en substance à EDU 4 de lui avoir proposé une solution informatique en passant sous silence la présence du logiciel libre VNC, modifié et intégré en secret à la solution, d'avoir occulté la licence GPL s'y appliquant, d'avoir prétendu être propriétaire de ce logiciel modifié, et même d'avoir modifié le verrou logique de ce logiciel en s'assurant la maîtrise technique de la solution installée sur les sites de l'AFPA.

 

EDU 4 répondait qu'elle n'avait jamais dissimulé la présence du logiciel libre au sein de sa solution, et qu'elle n'avait pas même prétendu être l'auteur du logiciel libre ou le propriétaire de la solution. Selon EDU 4, la version litigieuse n'était qu'une version de développement, les droits d'utilisation devant être régularisés au moment de la recette définitive.

 

Au vu des pièces produites, la Cour a estimé que l'AFPA ne pouvait pourtant pas ignorer la présence d'un logiciel libre dans la solution qui lui avait été livrée pour test, au point qu'elle avait précisément informé EDU 4 qu'il lui fallait des informations supplémentaires sur ceux-ci.

 

En revanche, l'AFPA avait bien conditionné le prononcé de la recette définitive aux éclaircissements qui devaient lui être apportés sur le logiciel libre et la licence s'y appliquant. En outre, l'expert avait montré que les livraisons d'EDU 4 ne mentionnaient pas la présence du logiciel VNC ni ne comportaient la licence GNU normalement applicable au logiciel et à ses éventuelles évolutions. Enfin, EDU 4 n'avait pas remis à l'AFPA les codes sources du logiciel VNC modifié, ce qu'elle s'était engagée à faire par courrier.

 

La Cour en a déduit que la société EDU 4 n'avait finalement pas répondu à son obligation de délivrance, notamment parce qu'elle n'avait pas respecté les exigences de la licence GNU GPL en faisant disparaître les copyrights d'origine du logiciel VNC et en supprimant la notice de licence elle-même.

 

Sur le fondement de l'article 1184, la Cour a donc confirmé la résolution du marché aux torts d'EDU 4 et débouté celle-ci de sa demande de paiement de la phase de test, puisque la recette définitive n'avait pas pu être prononcée.

 

Il n'a donc nullement été question d'une éventuelle « contrefaçon » des droits des auteurs du logiciel VNC, mais seulement d'une non-conformité de la solution livrée, invoquée par l'utilisateur final, et imputable au développeur de la solution qui n'avait pas respecté les termes de la licence GNU GPL.

 

On peut difficilement concevoir une admission plus claire de cette licence en droit français : le non-respect de ses termes a entraîné des non-conformités, plus seulement techniques mais juridiques, puisque le prestataire EDU 4 ne s'était pas conformé aux conditions juridiques de la circulation du logiciel libre VNC.

 

La Free Software Foundation France s'est réjouie, en bonne logique, de cette décision. Nul doute qu'elle saura la faire valoir dans son conflit avec Free (accusée d'embarquer des modules libres dans sa freebox sans concéder aux utilisateurs les prérogatives permises par les licences libres s'y appliquant).