La grande distribution alimentaire reste à la peine sur Internet

La grande distribution multiplie les sites de commandes/ventes (drive, picking, livraison à domicile) avec des URL distinctes. Le consommateur a le choix mais s'il change son mode de livraison, il doit changer de site. Pourquoi ne pas opter pour un modèle réellement multimodal ?

Alors que l’on est abreuvé de chiffres des plus enthousiasmants sur le e-commerce, la vente de produits alimentaires en ligne reste un parent pauvre.

Le e-commerce devrait représenter en 2011 un peu plus de 7% du commerce français total. Une étude du CREDOC nous a révélé que les professionnels du commerce français, ceux-là mêmes qui détiennent des boutiques « mortars », tablent sur une part du e-commerce qui monterait jusqu’à 24% du commerce total !
Même si ce chiffre semble exagéré (certains parlent même de 30%), il montre la puissance des nouveaux media dans la mutation qu’est en train de vivre le commerce de détail.
Coté alimentaire, les chiffres restent peu brillants. On parle de 1 voire 2% du commerce alimentaire réalisé online.
Et pourtant, les enseignes font preuve d’énergie et de créativité. Nous assistons ainsi à une course en avant au profit du Drive: Auchan (auchandrive, chronodrive), Leclerc, Système U (plus de 400 drive sur un objectif de 600 d’ici 5 ans) mais aussi Carrefour et Casino.

Cette formule de vente en ligne semble idéale, car elle permet à la fois:

* de ne pas pénaliser l’activité des magasins en leur demandant d’inventer un nouveau service dans un contexte déjà tendu : dédier des employés au picking dans les linéaires, prévoir un espace d’accueil pour servir au mieux cette nouvelle clientèle, gérer les ruptures de stock et la problématique de substitution (fiabilité des informations stock entre la commande en ligne faite par l’internaute et son traitement par le magasin).
* de s’implanter dans des zones d’activité où l’enseigne n’est pas présente et gêner de fait ses concurrents.
* et surtout répondre à un insight consommateur qui prend de l’ampleur : je n’ai pas le temps d’attendre (je veux mes achats maintenant surtout si j’achète du frais) et je ne veux pas dépendre d’un horaire (de contraintes) de livraison.

Pour autant, les enseignes de la grande distribution ne désarment pas et continuent d’investir sur des sites de vente en ligne avec livraison à domicile.
Une sorte de serpent de mer qui a fait ses premiers pas sur la toile dès les premières années de l’internet (rappelez-vous de Cmescourses lancé dès 1998).
C’est ainsi que Système U vient de racheter Télémarket. Dans une interview parue dans Marketing Magazine d’octobre 2011, Serge Papin explique la stratégie du groupe en matière d'accessibilité croissante de son offre au travers d'internet et explique aussi comment l'acquisition de Télémarket permet à la fois de se renforcer sur Paris-Région Parisienne et accélérer la maîtrise des nouvelles technologies de vente en ligne. Carrefour de son côté a signé un accord avec Pixmania pour se donner plus de puissance. Pourtant le modèle de vente de produits alimentaires avec livraison à domicile avoue sa difficulté à atteindre la rentabilité.
Bien sûr, c’est de la faute du consommateur… s’il ne se sert de ces sites que pour se fournir en packs d’eau et autres produits encombrants aux prix très concurrentiels sur lesquels l’enseigne fait peu de marge alors les frais logistiques et la prise en charge d’une partie des frais de livraison par l’enseigne rendent l’équation insoluble.

Quant au picking, certaines enseignes ont testé le modèle puis l’ont abandonné au profit du Drive, d’autres comme Leclerc n’ont pas souhaité le tester. D’autres enseignes en font leur cheval de bataille mais on s’aperçoit vite de la limite de ce système : soit le CA généré par le site internet est trop faible vs la taille du magasin et le service se dégrade, le magasin préférant se concentrer sur ses propres clients, soit le CA augmente trop vite et le magasin se trouve alors débordé avec des créneaux de retraits pris d’assaut et d’autres délaissés rendant la gestion de la satisfaction client de plus en plus complexe.

Alors vous direz, mais pourquoi ne pas faire un seul site et laisser le choix au client entre picking dans son magasin habituel, drive sur son trajet travail/domicile ou livraison à domicile ? Pourquoi les enseignes multiplient-elles les sites donc les budgets, donc les promesses ? Après tout, le consommateur n’est pas unidimensionnel. En fonction du moment, de sa liste de courses, de ses contraintes personnelles, il va nécessairement circuler entre l’une et l’autre option. Il n’est pas juste de vouloir le parquer dans un comportement d’achat versus un autre. Et c’est là que les grandes théories telles que « le client au centre », « le client est roi » sont remises en cause.
Comment lui expliquer les écarts de coûts entre les différentes options ? Pour lui c’est une enseigne, une offre homogène et des prix les plus compétitifs possibles ; il ne veut pas entendre parler des contingences internes à l’enseigne. CoursesU ou Courses.Monoprix ont fait un premier pas dans ce sens en proposant picking ou livraison à domicile. Dans ce cas, côté client, la limite du service tient dans la largeur de l’offre limitée à l’offre (et au stock) réellement présente dans son magasin référent.

La question reste donc ouverte : que faut-il privilégier ? Un seul front et des systèmes de mises à dispositions multiples, selon les desiderata des clients ou des systèmes de vente clairement distincts (cf. Système U qui, comme les autres, multiplie les sites CoursesU, U-Telemarket et probablement U-drive)? A l’air de la convergence autrement appelée commerce ubiquitaire, commerce connecté ou commerce omnicanal … on préférerait que le client puisse naviguer librement dans les différents modèles de vente.
Il faut inventer une galaxie autour du client dans laquelle il puisse naviguer sans effort (un seul compte client, un seul interlocuteur, un seul système de promotions, un seul espace de discussion et de co-création) et une équation claire entre prix et service rendu.
L’enseigne ne vend plus seulement un produit au meilleur prix mais un couple produit/service
. Il faut réinventer le business model.