Tribune à l’attention de tous et plus particulièrement de Fréderic Lefebvre

Frédéric Lefèbvre s'attaque aux avis de consommateurs. Chacun s’interroge aujourd’hui sur leur pertinence et leur véracité ! Quelle solution pour s’y retrouver ? Légiférer ?

Au mois de janvier, Frédéric Lefèbvre, Secrétaire d'Etat à la consommation, a demandé à la DGCCRF d'enquêter sur les avis de consommateurs*... aujourd'hui, il s'associe à la plainte déposée par le syndicat de l'hôtellerie à l'encontre des sites du groupe Expedia : Expedia, Hotels.com et Tripadvisor, relançant notamment le débat sur la crédibilité de ces mêmes avis. Sachant que plus de 9 acheteurs en ligne sur 10 se déclarent influencés par les avis de consommateurs**... Le sujet mérite en effet de s'y pencher !

 

Un formidable concept participatif

Dès l'avènement du web en 2000, l'engouement autour des avis et opinions connaît une grande vitalité. De fait, la démocratisation de la parole et l'accès au débat pour tous apparaît comme un formidable espace de liberté où l'expression n'est plus l'apanage de quelques élites, mais désormais une possibilité offerte à tous.


D'abord concentrées sur les thèmes politiques, culturels voire personnels ou liés à l'intime, se sont organisées des communautés d'opinions qui très vite, ont intégré tous les domaines de la vie quotidienne. Le consommateur s'est découvert un nouveau pouvoir de prescription en partageant ses expériences. A l'origine, essentiellement tournées vers les produits informatiques, l'opinion, la notation, et la recommandation se sont rapidement portées vers d'autres domaines du commerce et du e-commerce... le secteur du tourisme en étant une parfaite illustration. 

 

Produit immatériel s'il en est, le voyage, de tous temps, s'est développé autour des conseils de proches, famille ou amis, sur la base du récit et des retours d'expériences. En effet, dans ce domaine, il n'y a pas d'échantillons, pas de possibilité de tester ou de goûter avant le départ, ainsi on ne sait si le produit convient... qu'au moment du retour. Aujourd'hui, le terrain de jeu de la famille et des amis s'est considérablement étendu : grâce au web, ce n'est plus sa seule famille qui donne son avis mais le monde entier !

 

L'immense succès rencontré par ces avis, place désormais le consommateur au rang de prescripteur et  non plus en seul commentateur d'un produit ou d'un service, et cela lui permet, au gré de son ressenti, d'incarner un véritable ambassadeur ou au contraire un détracteur.

 

L'information des internautes, va donc, progressivement passer d'un rôle secondaire à un niveau toujours plus décisif. En effet, aujourd'hui 4 usagers sur 5 suivent le jugement d'un autre pour choisir ses vacances. L'élément annexe, qui apportait un « plus », est  devenu central... à tel point que même le prix, un facteur pourtant essentiel, intervient après l'avis dans les éléments déclencheurs de l'acte d'achat !


La prescription devenant tellement prégnante sur l'acte d'achat, toutes sortes de dérives se sont multipliées, causant des dommages collatéraux : du restaurateur qui poste de mauvais avis sur la fiche d'un concurrent, au service marketing d'un groupe hôtelier disposant d'une équipe dédiée à la rédaction de commentaires flatteurs très « naturels »... Tous les coups sont permis dans la guerre que se livrent ceux qui ont laissé (plus ou moins volontairement) le consommateur prendre le pouvoir de la parole, jusqu'à perdre le contrôle de leur propre image et en subir les conséquences... Ce phénomène a même donné naissance à un nouveau marché : le dépôt de faux avis, créé de toute pièce.

 

Les systèmes se sont peaufinés, avant Jean-Claude1976 déposait 700 fois le même avis, aujourd'hui ce sont 700 Jean-Claude1976 qui déposent un avis similaire. Certaines sociétés s'en sont donc fait une spécialité : basées à Madagascar ou en Inde, elles proposent de fournir et de poster les avis, qui seront facturés entre 2 et 10 euros le faux commentaire, selon le domaine de consommation...

 

Au-delà, existe aussi la tentation de rémunérer les consommateurs directement, à travers des bons d'achat ou encore par le biais de jeux concours. Ces contenus gratuits étant devenus un levier prépondérant en matière de référencement. Mais là encore, attention au débordement : l'avis stimulé n'étant pas forcement des plus authentiques et sincères.

 

Au coeur de ces deux problématiques, on retrouve le développement des « avatars », les doubles virtuels de personnes bien réelles. Ces derniers, pour sympathiques et drôles dans l'esprit de chacun, sont devenus de véritables tares et sont porteurs de leur propre implosion, qui les poussent parfois jusqu'à troller les sites. En se dissimulant et se désinhibant,  l'internaute limite son auto-contrôle et aiguise les excès en tous genres. Ainsi, cet avatar issu du monde virtuel, crée des conséquences bien réelles.

 

Ces pratiques de faux avis quant à elles, bien que marginales et clairement identifiées, n'en demeurent pas moins préjudiciables pour le bon fonctionnement du concept. Même si elles sont punies par la loi, elles desservent tous ceux qui vivent du tourisme ou de l'hôtellerie et d'une manière générale le commerce en ligne des biens et des services. La méfiance s'installe dans chaque esprit : selon une étude Testntrust, 74% des internautes sont conscients que certains avis sont faux. On nage dans la suspicion, et cette dernière peut rester présente lors d'un achat ultérieur en boutique, avec les avis  (vrais ou faux) restés en mémoire... Alors, si le doute s'installe, c'est l'ensemble du mode de fonctionnement qui doit être remis en question.

 

Il est donc urgent d'organiser, de structurer ce domaine, afin d'en finir avec ce phénomène. Mais il ne faut en aucun cas revenir en arrière dans une logique d'obscurantisme bénéficiant aux hôtels médiocres, mal gérés, au détriment des bons établissements... En bref, il ne faut pas jeter le bébé, il faut juste changer l'eau du bain... En d'autres mots,  le commentaire consommateur est bon en soit, mais par accident, il a été corrompu à outrance dans sa fonctionnalité, remettant en cause l'ensemble du système, et en créant un climat de méfiance générale dans les consciences. Il faut donc revoir la méthode pour reconquérir le terrain de la transparence !


Traiter la cause de la maladie et non les épiphénomènes

Pour cela, il faut passer à une approche plus radicale : traiter le problème fondamental, et non simplement les problèmes conséquents. Revenons à jean_claude1976 : Quel est le problème ? Le fait qu'il ait soi-disant « visité » 700 hôtels en est un ? Mais c'est un problème conséquent à un autre, antécédent. Le problème de fond, et qui engendre tous les autres est tout simplement l'anonymat !  En effet, jean_claude1976 n'existe pas !

 

Et même s'il est vrai que le web s'est construit sur ces bases, la démocratie, à l'image de la société, doit s'organiser même sur le Web : sans règles, sans structures, sans organisation, c'est l'anarchie et l'injustice qui s'installent nécessairement. Il faut donc  réinsuffler de la réalité dans la virtualité ! Prenons le parti de réinventer le commentaire-consommateur, ou bien restons à nous battre et débattre en vain dans ce noeud gordien.

 

La quantité a tué la qualité, acceptons de tuer la quantité pour faire revivre la qualité.

Construire une machine (la loi) permettant de couper les mauvaises herbes, c'est bien mais les arracher directement c'est mieux. Au lieu de choisir une solution purement légale, prenons le problème à la racine et choisissons la seule approche viable : celle de la rupture, celle de la fin de l'anonymat.

 

Elle est possible, à condition d'être stimulée raisonnablement. C'est le parti que nous avons pris sur la rubrique opinions d'Easyvoyage. Depuis quelques mois, le processus « commentaire » a changé radicalement en imposant l'identification de tous les contributeurs. En partant du constat que l'important n'est pas tant ce qui est exprimé dans les avis, mais avant tout la connaissance de QUI le dit... En général, ce qui crée la colère, ce n'est pas la critique mais c'est de ne pas savoir de qui elle vient !

 

Créer une communauté qui dispose de droits mais aussi... de devoirs

Les avis, pour nous, ne constituent plus une sentence définitive, mais au contraire une formidable opportunité, si tant est que l'on se donne la peine de créer les conditions pour ouvrir le débat : dans ce cadre, un hôtelier va pouvoir répondre non plus à jean_claude1976, mais à un client réel, auquel il pourra expliquer les raisons d'un désagrément ou d'une incompréhension ; il pourra même, les cas échéants, informer le site que tel client qui poste tel commentaire n'était pas dans son hôtel ce soir-là.

 

Seulement, pour y arriver,  des investissements en termes technologiques sont indispensables mais pas suffisants. Le plus important est d'avoir des modérateurs professionnels connaissant parfaitement les produits et les destinations afin de pouvoir modérer avec raison et à discrétion. C'est ce que nous faisons depuis le début avec nos 25 journalistes.

 

 Il ne s'agit donc pas de réinventer le modèle mais de lui donner un degré de confiance

Il est urgent de briser les mauvaises habitudes du web, pour favoriser ce qu'on peut y trouver de meilleur, et y réinsuffler la confiance, via des règles justes et acceptées par les parties. C'est un système à repenser et non à réinventer, et spécialement au niveau de son mode de procéder, l'anonymat, gangrène qui cause la dégénérescence du plus bel outil d'information et d'échange créé par l'homme. Assurons la justice et la transparence, pour le consommateur autant que pour le fournisseur de services ! Adoptons une démarche collective et responsable et au final, clients et marchands, en sortirons gagnants, à l'instar de ce que nous avons fait avec la FEVAD, lors de la création de la charte des comparateurs.

 

Je crois à l'efficacité du web non-anonyme, et à la possibilité de mettre en place une charte qui engage chacun des acteurs autour d'un « gentleman agreement » qui consisterait à :

 

- Refuser l'anonymat des commentateurs,

- Prendre les moyens pour permettre de réaliser cette volonté de justice et de transparence,

- Ne pas financer les avis,

- Supprimer tous les anciens commentaires qui ne seraient pas passés par un processus rigoureux éliminant tout risque de fraude.

 

Plus les avis seront crédibles, plus les internautes seront fidèles, et c'est bien là le nerf de cette guerre économique : la fidélisation des clients... car rien ne coûte plus cher que leur acquisition.


 

 *Le 21 janvier 2011, Frédéric Lefèvre, Secrétaire d'Etat chargé du tourisme annonce le passage à la vitesse supérieure dans la lutte contre les avis consommateurs frauduleux sur le web, partie clé du « Plan d'action pour une croissance équilibrée du commerce en ligne et respectueuse du consommateur et des professionnels. » Une enquête diligentée par la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est en cours.

 
**source : jcwg.com