Bertrand Jelensperger (LaFourchette) "LaFourchette devient le pôle restauration mondial de TripAdvisor"

Maintenant adossé au leader mondial des avis touristiques, le service français de réservation de restaurants a toutes les cartes en main pour multiplier les projets, explique son fondateur.

JDN. Pourquoi avoir vendu LaFourchette ?

jelensperger 275
Bertrand Jelensperger, cofondateur et PDG de LaFourchette © S. de P. LaFourchette

Bertrand Jelensperger. LaFourchette référence 13 000 restaurants en France, en Espagne et en Suisse francophone. Nous avons atteint un rythme de 700 000 couverts réservés par mois, nous sommes rentables depuis l'automne 2013 et nous maintenons une croissance de 30 à 40% par an. Début 2014, nous avons commencé à nous demander comment passer à l'étape suivante, qui s'articule en deux objectifs.
Le premier consiste en nous transformer en guide communautaire. Nous comptons plus de 2 millions d'avis et plus de 30% des réservations sont suivies d'un commentaire, mais tout cela reste assez vertical. Nous voulons que les internautes se parlent entre eux et donc développer notre communauté et accroître son rôle. Deuxièmement, nous souhaitons développer LaFourchette dans d'autres pays. Notre activité est par nature très locale : nous pourrions être très bons à Paris et très mauvais à Lyon. L'expansion géographique d'un business comme le nôtre nécessite donc des moyens humains et financiers significatifs. Etant rentables, nous aurions pu continuer tranquillement. Mais nous avons préféré nous financer afin d'aller plus vite.

Pourquoi avez-vous choisi TripAdvisor ?

Nous avons discuté avec eux dès le début d'année. D'abord, nous avons eu un très bon "fit" personnel et culturel. Leur patron Steve Kaufer est le fondateur, c'est un entrepreneur comme nous, dont nous partageons en outre le souci permanent du produit et de l'expérience client.

De plus, leur chiffre d'affaires d'un milliard de dollars et leur trafic de 200 millions de pages vues qu'enregistre chaque mois leur rubrique restauration vont nous apporter une vraie solidité, tandis que l'intégration de notre service, notre techno et nos contenus va leur fournir une source de monétisation très intéressante.

Enfin, un service ultra-local comme le nôtre et un service pour voyageurs comme le leur - que les internautes utilisent essentiellement hors de leur pays - se complètent particulièrement bien. Par exemple, les restaurateurs présents sur LaFourchette vont profiter à la fois de notre flux local et du flux des internautes touristes apporté par TripAdvisor.

"L'opération s'est faite en quelques semaines"

L'intégration de LaFourchette dans TripAdvisor a-t-elle débuté ?

A une vitesse incroyable ! Comme tout ce que nous faisons avec eux, d'ailleurs : l'opération elle-même s'était déjà faite en quelques semaines. Ils ont dédié une équipe en interne à LaFourchette et, en une semaine, notre moteur était intégré à TripAdvisor Restaurant pour les établissements français et espagnols.

TripAdvisor compte-il continuer à développer MyFourchette, votre logiciel de réservation pour les restaurants ?

Absolument, d'autant que MyFourchette et le portail BtoC LaFourchette sont véritablement les deux faces de la même pièce : on ne peut pas proposer une offre à des clients finaux sans l'infrastructure derrière. Par conséquent, nos projets d'expansion internationale éviteront a priori l'Amérique du Nord et le Royaume-Uni, où notre concurrent OpenTable a déjà pris le marché. Car même en étant TripAdvisor, rattraper ce retard serait très difficile...

A quel rythme prévoyez-vous cette expansion ?

Nous voudrions ouvrir entre 2 et 6 pays européens dans les 12 mois qui viennent. De même qu'à Bruxelles actuellement, cela signifie d'abord confier à une équipe sur place le soin de recruter les restaurateurs, avant de pouvoir ouvrir le service au public. Pour ce faire, nous allons embaucher une cinquantaine de commerciaux dans les 6 prochains mois. C'est aussi l'un des grands avantages d'appartenir à TripAdvisor : nous y gagnons une certaine sécurité financière qui minimise les risques habituellement très significatifs des start-up ouvrant un nouveau pays.

Dans un deuxième temps, nous viserons probablement l'Asie, où nous voyons depuis longtemps un vrai potentiel, ainsi que l'Amérique du Sud. Il nous faudra examiner les villes une par une, mais nous observons déjà de nombreux marchés très dynamiques localement. Et nous pourrons nous appuyer sur les équipes commerciales de TripAdvisor, qui est par exemple très présent en Asie puisqu'il emploie 400 collaborateurs à Singapour.

"Nos restaurants vont tirer des flux supplémentaires venus de TripAdvisor"

Quels sont les grands chantiers de LaFourchette ?

En dehors bien sûr de l'intégration avec TripAdvisor, un premier chantier réside dans la personnalisation de notre service BtoC. Vous avez vu apparaître en home un onglet "Choisis pour vous" à côté de l'onglet "Les plus réservés". Il est alimenté sur le principe suivant : "Les visiteurs qui ont consulté le même restaurant que vous ont aussi consulté ceux-ci". Les premiers résultats sont très bons, aussi bien qualitativement que quantitativement. Le savoir-faire en la matière de TripAdvisor, qui pousse cette logique bien plus loin que nous et peut tester ce type d'innovation auprès d'un trafic fabuleux, va nous aider à progresser encore davantage.

Nous travaillons par ailleurs sur un grand projet CRM et lancerons bientôt un programme de fidélité qui permettra aux internautes de cumuler des points à chaque réservation pour obtenir encore une réduction supplémentaire. Comme LaFourchette ne prend pas de transaction, nous n'avons pas de monnaie d'échange : nous ne pouvons pas créditer un client, offrir de bons d'achat, etc. Ces points vont donc nous permettre toute une série d'actions marketing. Par exemple du parrainage, ou encore des opérations de réactivation d'utilisateurs endormis, à qui nous pourrions promettre 500 points s'ils reviennent.

Quels sont vos projets en matière de mobile ?

Notre nouvelle application iOS est sortie fin avril et nous sommes en train de mettre à jour l'appli Android. Outre un nouveau design, elles se caractérisent par l'arrivée de la personnalisation, puisque la page d'accueil affiche désormais les trois restaurants les plus adaptés à l'utilisateur en fonction de sa localisation. Dans notre future application mobile, nous rajouterons une fonctionnalité permettant de prendre en photo les plats et de les lier, ou non, à un avis. Ce qui rejoindra notre chantier communautaire, puisqu'en demandant aux utilisateurs de renseigner les noms des plats, nous pourrons ensuite proposer une recherche par plat sur le site comme sur les applis.

"Il est très positif qu'une entreprise française se fasse racheter par un leader mondial !"

Qu'allez-vous faire pour développer votre communauté ?

Nous observons déjà qu'elle comporte des experts, qui postent davantage d'avis que les autres. Nous voulons qu'il soit possible de les suivre, comme sur Twitter ou Pinterest. Pour encourager la dépose d'avis, nous n'excluons pas non plus d'utiliser notre système de points en guise de rémunération. Enfin, nous allons bénéficier du gigantesque savoir-faire de TripAdvisor, dont 100% des contenus sont communautaires. Par exemple, ils pourront nous aider à obtenir que nos utilisateurs qualifient plus finement les restaurants.

Etes-vous déçu de la façon dont a été perçu votre rachat, du fait que votre acquéreur est américain ?

Effectivement, l'opération a été beaucoup moins bien reçue en France qu'en Espagne, par exemple. Je ne partage évidemment pas cette vision. D'abord parce que l'écosystème a besoin de sorties et que les cofondateurs aussi ont besoin de réaliser l'énergie qu'ils ont dépensée pendant des années. Ensuite parce qu'il est au contraire très positif qu'une entreprise française se fasse racheter par un leader mondial ! Qui plus est pour devenir sa business unit restauration dans le monde ! En plus, LaFourchette est une marque grand public, pas une technologie que personne ne connaît.

Vendre à un acteur français ne nous aurait bien sûr posé aucun problème, mais lequel ? Après tout, un actionnaire est un actionnaire. Ce qui nous importe est qu'il sache prendre des décisions rapidement et que notre marque comme notre activité demeurent.

Patrick Dalsace et vous-même restez-vous aux commandes de LaFourchette et pour combien de temps ?

Patrick quitte la société, quant à moi je resterai à sa tête tant qu'il y aura une envie partagée. Il n'y a pas d'earn-out et la durée de ma présence n'est pas cadrée.

Bertrand Jelensperger est le PDG de LaFourchette. Diplômé d'HEC et de l'Université de Caroline du Nord, il débute sa carrière en 1999 chez Havas où il gère les budgets Canal+ et Peugeot. En 2000 il cofonde Boursipoly, site de casual gaming qu'il dirige pendant trois ans. En 2013 il entre chez JTech pour prendre la tête de la branche française du fabricant de bipeurs. En 2006 il cofonde LaFourchette.com avec Patrick Dalsace et Denis Fayolle.