Un marché unique européen de l’e-commerce est-il né ce 13 juin 2014 ?

Ce vendredi 13 juin 2014 était la date limite d’entrée en vigueur dans tous les États membres de la législation harmonisée sur les règles de protection du consommateur en cas d’achat à distance. Est-ce dès lors le début d’un marché unique de l’e-commerce au niveau européen ? Voici quelques éléments d'analyse.

Harmonisation des droits des e-consommateurs : un net progrès

Le consommateur européen est mieux protégé lors de ces achats en ligne depuis ce 13 juin 2014, date d’entrée en vigueur sur le terrain de la directive européen 2011/83/UErelative aux droits des consommateurs. Il est du moins mieux protégé dans la majorité des pays, puisque, comme dans presque toute décision d’harmonisation prise par l’Europe, un compromis a été établi entre les législations nationales les plus protectionnistes et celles les plus laxistes. La grande différence par rapport au premier essai d’harmonisation européenne en la matière en 1999, c’est que cette fois-ci les Etats membres n’avaient plus de latitude lors de la transcription de la directive de 2011 dans leur droit national.

Résultat : dorénavant les mêmes garanties et les mêmes obligations de communication pour les achats en ligne s’appliquent dans tous les pays. Restent évidemment des particularités nationales non directement liées à l’e-commerce, qui ne sont pas harmonisées, comme par exemple en matière d’information lors de ventes de produits alimentaires (ex, en France, l’avertissement sur la nécessité de manger équilibré).

Une plus grande confiance du consommateur en l’e-commerce

Les retombées attendues de cette harmonisation devrait être une plus grande confiance du consommateur en l’e-commerce, et surtout, moins de réticences à acheter sur un site de commerce électronique situé dans un autre état membre. L’acheteur pourra se dire que les droits qu’il connait au niveau de son pays sont les mêmes ailleurs. Il saura que pour tel type d’achat de biens ou de services, il pourra (ou non) bénéficier d’un droit de rétractation et sera rassuré quant à la possibilité aisé de l’exercer puisqu’un formulaire type de rétractation doit dorénavant être disponible sur tous les e-shops. Les délais ont aussi été harmonisés. Le consommateur bénéficiera également d’une plus grande transparence sur l’identité du vendeur et ne risque plus d’être engagé à payer sans en être explicitement averti.

Une opportunité à saisir pour l'e-commerçant

Pour l’e-commerçant, cette harmonisation est perçue comme une nouvelle contrainte, car il faut significativement adapter son site Internet ainsi que son service à la clientèle. Il y a par exemple une bonne demi-douzaine d’adaptations à effectuer pour l'e-commercant belge par rapport aux dispositions en vigueur précédemment. Idem en France.

Mais, une fois passée cette obligation déplaisante, l’e-commerçant peut au contraire se dire qu’il peut profiter de cette harmonisation pour maintenant développer à l’international son activité en ligne.

D’une part, la demande au niveau de l‘e-commerce transfrontalier devrait sensiblement s’accroître, et, d’autre part, le vendeur en ligne ne risque maintenant plus de se retrouver confronté à une législation nationale du consommateur différente de la sienne, avec les risques de poursuite en justice pour non-respect de celle-ci. Ainsi, jusqu’au 13 juin dernier, si un site d’e-commerce était dirigé vers le consommateur allemand, celui-ci pouvait faire valoir sa législation et ainsi par exemple pouvoir exercer son droit de rétractation en obtenant le remboursement aussi des frais d’expédition retour, s’il avait payé lors de la commande et que celle-ci s’élevait à au moins 40 euros. Dorénavant, ce genre de mauvaise surprise n’existe plus.

Nous pouvons donc considérer que l’e-commerce international devrait prendre un nouveau départ. Et il est probablement recommandé de saisir la balle au bond et ne pas se laisser distancer. Le plus cocasse dans cette histoire d’harmonisation, c’est que les e-commerçants situés dans le pays qui protégeait le mieux le consommateur s’appuient maintenant sur leur expérience pour conquérir l’Europe. Ils déclarent que même si la législation ne les contrait maintenant plus à prendre en charge les frais de retour de la marchandise, ils le feront néanmoins à titre de politique commerciale, en Allemagne, mais aussi dans les autres pays européens, en se disant que c’est une bonne manière de se différencier de la concurrence locale, pas habituée à ce genre de disposition, et donc forcément non rodée au niveau de la logistique retour en termes tant de service que de gestion des coûts. Au point de se demander si ces politiques commerciales avantageuses ne vont pas se généraliser comme standard sur le marché. Mais probablement qu’à long terme, il ne sera pas tenable de prendre en charge un service qui a un coût parfois non négligeable.

Si une étape significative est franchie avec cette harmonisation réglementaire, il n’en reste pas moins que d’autres réglementations liées à la consommation, mais non directement liées à la vente en ligne, restent différentes selon les pays européens. Il ne faut pas oublier également les grandes disparités qui persistent au niveau fiscal. Ainsi, les taux de TVA standard varient de 15 à 25%. Et la situation au niveau de la TVA intra-communautaire devient kafkaïenne quand on examine les taux réduits de TVA et leurs modalités d’application. Un même produit peut obtenir des taux de TVA radicalement différents. Pour certains produis alimentaires, le taux peut être de 0 à 25% !

Le marché unique de l’e-commerce n’est donc qu’en partie une réalité depuis ce 13 juin 2014. Et surtout, les différences culturelles restent évidemment d’actualité selon les pays, imposant à l’e-commerçant d’adapter son marketing, mais également souvent le produit lui-même, en fonction des pays. L’autre obstacle reste bien entendu la multitude de langues, au sein parfois d’un même pays, ce qui nécessite des sites complexes pour gérer le contenu, et des politiques adaptées pour par exemple la sélection des bons mots clés sponsorisés sur lesquels il est pertinent de se positionner.

Vendre en ligne à l’international reste une aventure

Enfin, l’e-commerçant qui souhaite se développer à l’international se trouve confronté à la multitude de prestataires et de solutions purement nationales, au niveau notamment de la livraison et des paiements.

Les réseaux de points relais diffèrent selon les pays. Une expédition de Strasbourg à Karlsruhe peut coûter 3 fois plus que de Cologne à Munich. Envoyer un paquet de Belgique vers la France est pour l’instant plus élevé que dans l’autre sens.

Tel moyen de paiement domine dans un pays, mais uniquement dans celui-ci, tel iDeal au Pays Bas. Le français aime pouvoir payer par chèque. En Belgique, ceux-ci n’existent plus. Par contre le belge aime pouvoir faire un virement bancaire offline. L’allemand apprécie le paiement à la facture via une domiciliation bancaire. En Italie, le paiement à la livraison est courant,…

Bref développer l’e-commerce reste encore une aventure. Mais rester cantonner sur son marché national devient maintenant de plus en plus risqué pour la pérennité de son e-shop. C’est probablement le bon moment pour accomplir les efforts nécessaires en vue de positionner sa niche commerciale en ligne à l’échelle européenne.