Qui veut tuer l'e-commerce ?

Comment un logiciel menace l’économie du web sous prétexte de libérer nos écrans de la pression publicitaire.

Un logiciel, gratuit, accessible à tous, facile d’utilisation, qui permet de désactiver les publicités sur Internet pour rendre plus fluide la navigation, à première vue c’est un progrès. La promesse a de quoi séduire : surfer sans être pollué par l’intrusion de bannières qui vont, au mieux rendre votre ordinateur plus performant d’un simple clic, au pire vanter les mérites d’une technique permettant de s’enrichir en restant chez soi. Ce logiciel, AdBlock, revendique déjà 150 millions d’utilisateurs. Une belle réussite, mais si on y regarde de plus près, c’est une bombe à retardement.

La publicité, on la déteste parce qu’elle encombre notre quotidien, nos boîtes aux lettres virtuelles ou non, notre regard et nos oreilles, mais tout le monde est d’accord, l’économie en a besoin. Autrement, les sites gratuits risquent bien de ne plus l’être. Car si ces sites ne bénéficient plus des revenus de la publicité, ils sont condamnés à mourir, ou à devenir payants. Si les entrepreneurs du web ne peuvent plus communiquer, s’ils renoncent à développer leurs trafics, s’ils coupent leurs liens avec le public, leurs ventes s’arrêtent, le e-commerce n’existe plus. Un marché disparaît, il représente 50 milliards d’euros et une centaine de milliers d’emplois. Il ne s’agit pas de faire du catastrophisme, juste de raisonner logiquement. Supprimer la publicité sur Internet est un leurre aux conséquences néfastes. Sous prétexte de libérer l’internaute des agressions mercantiles d’annonceurs peu scrupuleux, les AdBlocks mettent en péril des milliers d’entreprises ainsi qu’un énorme potentiel de création d’emplois.

La grande hypocrisie d’un logiciel gratuit qui désactive les publicités sur internet, enfin presque...

La subtilité d’Adblock consiste à supprimer les publicités, mais juste celles qui sont considérés comme nuisibles. Pas les autres. Ce sont les éditeurs de ces programmes qui décident lesquelles le sont et ne le sont pas ! Et les utilisateurs, eux, continuent à recevoir des publicités, sauf qu’elles ont été sélectionnées. Sans leur demander leur avis et surtout sans les informer que ce choix est dicté, non par des critères déterminés par un comité de respectables experts es nuisance internet, mais par de simples questions d’argent. Ceux qui payent le plus passent entre les mailles du filet. Google, Amazon et Microsoft font désormais partie de la White List d’AdBlock Plus (ABP), le logiciel de filtrage des intrusions publicitaires le plus évolué à ce jour. Dans ce système de White List, les poids lourds de l’industrie numérique sont les mieux placés pour conforter leurs positions dominantes. Selon le Financial Times, ils accepteraient de payer 30% des revenus publicitaires générés, soit plusieurs dizaines de millions de dollars de redevance annuelle, pour bénéficier de la mansuétude des filtres d’ABP. Une méthode qualifiée de racket par des éditeurs allemands qui n’ont pas hésité à porter plainte contre de tels agissements. En vain. La justice allemande vient de leur donner tort et autorise le blocage des publicités au nom de la liberté personnelle de chacun. Une décision attentatoire aux libertés qui risque bien de provoquer un bouleversement qui privera les sites gratuits de toutes ressources, et les utilisateurs de leur liberté, sinon de leur droit, de les consulter gratuitement.

L’internet doit rester libre, mais pas sans respecter une charte de la publicité en ligne qui reste néanmoins à écrire.

Qui peut déminer cette situation avant qu’elle n’explose et ne crée des dommages irréparables dans l’économie du web ? En 2013, Fleur Pellerin, alors ministre de l’économie numérique, déclarait : « Le modèle de financement d’internet par la publicité est important pour un certain nombre de sites. D’un point de vue politique, le blocage de la publicité n’est pas compatible avec ma vision d’un internet libre et ouvert où l’internaute reste maître » (L’Expansion 7/01/2013). C’est désormais Axelle Lemaire qui est secrétaire d’Etat chargée du numérique auprès du ministre de l’Economie Emmanuel Macron. Ces politiques - et eux seuls - ont le pouvoir de légiférer pour contrer l’offensive des AdBlocks afin d’éviter la déstabilisation de l’ensemble des acteurs de la publicité en ligne. S’ils ne le font pas, ils seront coupables de complicité d’un assassinat programmé contre les entrepreneurs, les éditeurs du web ou les e-commerçants qui sont le terreau des emplois de demain.