Adi Tatarko "Houzz rencontre en France un succès qui dépasse nos espérances"

Houzz connecte l'industrie très fragmentée des professionnels de la maison avec les propriétaires. Dans un entretien exclusif, sa patronne explique au JDN comment le triptyque contenu, communauté et commerce a fait le succès de sa licorne, valorisée 2,3 milliards de dollars.

JDN. Houzz fête son premier anniversaire en France. Quel bilan tirez-vous de cette première année ?

Adi Tatarko, cofondatrice et DG de Houzz © S. de P. Houzz

Adi Tatarko. Cette année a été phénoménale pour l'adoption de Houzz en France, aussi bien du côté des corps de métier que des propriétaires de maisons et d'appartements. Lorsque nous localisons notre plateforme dans un nouveau pays, nous nous assurons de parler des tendances locales et de trouver les professionnels pertinents. En France, cela a payé au-delà de nos espérances. Nos différents indicateurs dans l'Hexagone sont excellents et l'engagement de la communauté est extraordinaire. Nous avons passé le cap du million de visiteurs uniques, dix fois plus qu'avant de nous localiser, et nous indexons déjà plus de 25 000 professionnels dans 60 catégories, contre 3000 pros au lancement.

Les connexions sont fantastiques aussi avec le reste du monde. Autrement dit, la France nous aide à faire de Houzz une expérience sans frontière. Par exemple, un architecte designer français, très actif sur Houzz.fr, en a retiré beaucoup de leads et a travaillé avec un couple américain qui souhaitait refaire son appartement parisien. Nous avons présenté le résultat dans un contenu éditorial, qui a tapé dans l'œil de deux Australiens qui ont décidé de faire la même chose à Sydney ! Tout ceci est possible parce que l'engagement des professionnels en France est fabuleux.

 

Dites-vous cela de tous les pays que vous lancez ?

Dès que nous localisons la plateforme dans un pays, les communautés locales sont plus engagées, c'est vrai. Mais autant les autres pays progressent tout à fait bien, autant l'engagement en France est vraiment exceptionnel.

C'est aussi dû au fait que le monde entier est curieux du design et des intérieurs français, au point de vouloir les répliquer. Cela alimente aussi l'activité de la plateforme en France et engendre un véritable cercle vertueux.

 

Quel était votre objectif, lorsque vous avez créé Houzz en 2009 ?

Mon mari et moi cherchions à refaire notre maison. Nous avons consacré beaucoup de temps et d'énergie à faire des recherches mais le marché était très fragmenté et il n'existait pas vraiment de source d'inspiration et d'information. Pour répondre à cette frustration que partagent beaucoup de consommateurs, nous avons eu l'idée d'une plateforme qui rassemblerait tout le monde – propriétaires cherchant des idées, propriétaires partageant leurs solutions, professionnels de la maison – de façon à améliorer tous les process. Nous avons commencé à San Francsico en référençant des architectes et des designers. Peu à peu, d'autres corps de métiers se sont rajoutés et avec le bouche-à-oreille, la plateforme a rapidement été utilisée dans tous les Etats-Unis. Ce qui nous a poussés, en 2010, à nous y consacrer à plein temps, à lever des fonds, à embaucher et à faire de Houzz une entreprise.

"Nos sources de revenus sont nées de demandes des utilisateurs"

Aujourd'hui, Houzz emploie 650 personnes dont 25 en France, attire chaque mois 35 millions de visiteurs uniques dans le monde – dont 90% de propriétaires – et compte plus d'un million de professionnels de la maison actifs. Nous avons mené une vaste étude sur les projets de réaménagement des propriétaires, ils ont été étonnamment nombreux à participer. Car nous redonnons le pouvoir aux gens, tout comme la joie de collaborer et de s'occuper de leur intérieur, qu'ils aient un gros projet ou une idée toute simple.

 

Comment s'articule votre modèle économique ?

Houzz s'appuie sur trois piliers : le contenu et la communauté, avec lesquels nous commençons toujours dans chaque pays, puis le commerce, que nous ajoutons plus tard, lorsque nous recevons les bons signaux des utilisateurs. Le contenu et la communauté nous servent à proposer la meilleure expérience possible, de façon à ce que les internautes aiment le produit, que nous n'avons pas cherché à monétiser. Après quelques années, suite aux demandes issues de la communauté, nous avons mis en place plusieurs dispositifs qui sont devenus nos trois sources de revenus.

 

Quelles sont-elles ?

La première est la publicité. Nous avons débuté avec Ikea, qui souhaitait être présent sur notre plateforme de façon très intégrée. Par ailleurs, nous fournissons toujours aux professionnels une exposition gratuite et illimitée sur notre plateforme. Mais à partir de 2012, certains ont voulu être aussi visibles localement. Nous avons donc mis en place un modèle freemium d'abonnement annuel, qui se superpose à l'exposition organique mondiale. Les professionnels peuvent ainsi interagir avec les utilisateurs de leur pays et y bâtir leur marque. Nous venons de lancer ce service au Royaume-Uni et en Australie, que nous avions attaqués avant la France. Mais nous progressons si vite dans l'Hexagone que nous y enregistrons déjà des demandes des professionnels en ce sens. Ce sera donc pour 2016.

"La marketplace de produits arrivera bientôt en France"

Notre troisième source de revenus est également née de la volonté de la communauté, des propriétaires cette-fois, qui désiraient pouvoir acheter directement sur Houzz les produits figurant sur les photos. Nous leur apposions déjà des étiquettes, mais elles se bornaient à indiquer où l'on pouvait acheter les articles, sans aucun modèle de rémunération pour nous. Depuis fin 2014, nous avons aux Etats-Unis une marketplace en beta qui a rendu "achetables" sur le site des millions de produits commercialisés par des milliers de vendeurs. Et là encore, des demandes émanent déjà de France. Nous allons donc fournir aussi cette opportunité aux marchands français de vendre en France et en Europe. Et cela sans attendre quatre ans comme aux Etats-Unis…

 

A quel stade en est votre expansion internationale ?

En 2014 nous avons lancé le Royaume-Uni, l'Australie, la France et l'Allemagne. En 2015 nous avons rajouté la Russie, le Japon, l'Espagne, l'Italie, le Danemark et la Suède. Aujourd'hui, l'audience provient déjà à 40% de l'international, qui fournit aussi 45% des nouveaux utilisateurs de Houzz, proportion qui ne cesse de s'élever. Même si pour l'instant, notre chiffre d'affaires est purement américain. Car vous l'avez compris, nous prenons vraiment le temps de construire le bon produit dans chaque pays.

En France, les gens adorent rénover et redécorer leur intérieur. Notre grande étude mondiale menée plus tôt cette année a montré que dans votre pays, 64% des propriétaires avaient rénové leur maison en 2014 ou projetaient de le faire en 2015, que 80% l'avaient redécorée en 2014 ou prévoyaient de le faire en 2015 et que 74% avaient recouru à un professionnel de la maison en 2014 ou le feraient sans doute en 2015. Les Français adorent leur maison et adoptent donc très vite notre plateforme.

 

De quel œil voyez-vous les nouvelles plateformes collaboratives qui permettent d'engager des professionnels indépendants pour divers petits travaux ? Présentent-ils une menace pour Houzz ?

Pas du tout. Bien sûr, tout le monde veut une part du gâteau. Mais notre service est bien distinct du leur. Lorsque nous avons lancé Houzz, nous avons apporté quelque chose de très nouveau. Notre plateforme est très démocratique. Nous ne poussons pas les professionnels dans les bras des propriétaires, nous leur laissons choisir celui qui est le plus adapté à leur projet en fonction de son book ou de sa façon d'aborder les travaux à accomplir. Nous avons donc introduit un modèle très différent. Nous ne faisons que proposer et c'est aux gens qu'il appartient de décider. En outre, tout est sur le même toit, qu'il s'agisse de trouver de l'inspiration, de partager des idées, de s'informer sur les travaux eux-mêmes, de trouver des professionnels ou d'acheter des produits ou matériaux, tout ceci avec le soutien de la communauté. Houzz est le seul à proposer tout cela.

 

"Un marché de 1 200 milliards de dollars, sans compter l'Asie"

De quelle taille est ce gâteau ?

Aux Etats-Unis, le marché de la rénovation d'intérieur s'élève à 300 milliards de dollars, tout comme celui de l'ameublement et de la décoration. En Europe, ils ont à peu près la même taille. Soit, au total, 1 200 milliards de dollars sans compter l'Asie. Quant à la France, la rénovation d'intérieur y pesait 40 milliards d'euros en 2013.

 

Selon diverses sources, Houzz serait valorisé 2,3 milliards de dollars. Que voulez-vous en faire maintenant ?

Nous conservons le même objectif : développer des technologies pour lever les obstacles qui persistent entre les propriétaires et les meilleures architectures et décorations d'intérieur. Et faire en sortie qu'un Australien qui désire un intérieur français et un jardin japonais puisse se rendre directement à la source ! Nous l'avons déjà réalisé de multiples façons, pourtant nous avons à peine effleuré la surface. Il reste encore beaucoup à faire.

Il est fantastique de constater combien travailler sur sa propre maison devient amusant, alors qu'avant Houzz, c'était plutôt une corvée. Donner ce pouvoir aux gens est extrêmement gratifiant ! Nous voyons arriver des propriétaires avec un petit projet, qui trouvent sur Houzz tellement d'idées et d'énergie qu'ils lui donnent plus d'ampleur. Et ils en retirent beaucoup de joie ! Nous allons continuer dans cette direction, en construisant les technologies adéquates pour connecter cette industrie très fragmentée avec tous les propriétaires.

 

Adi Tatarko est la cofondatrice et directrice générale de Houzz. Née en Israël, Adi Tatarko est diplômée en relations internationales de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Suite à un voyage durant lequel elle rencontre Alon Cohen, tous deux fondent une société de services logiciels, PROmis Software.En 1998 ils se marient, s'installent à New York puis, en 2001, dans la Silicon Valley. Alon Cohen travaille chez eBay et Adi Tatarko éduque leurs deux enfants, tout en travaillant à mi-temps pour Commonwealth Financial. Après une lutte de trois ans pour réaménager leur maison, ils commencent à développer, depuis leur cuisine, ce qui deviendra Houzz. Fin 2009, la plateforme nécessite déjà 20 serveurs. Alon Cohen quitte eBay et Adi Tatarko et lui commencent à travailler à plein temps sur Houzz, levant des fonds et embauchant pour développer l'activité.