Jean-Christophe Bédos (Boucheron) : "L'e-Commerce nous permet de toucher une nouvelle clientèle"

Quel bilan le joaillier tire-t-il de sa première boutique en ligne ? Quels sont ses projets pour le Web ? Où va le secteur du luxe sur Internet ? Le PDG de Boucheron fait le point sur un secteur en plein essor.

 

En prenant la tête de Boucheron en 2004, aviez-vous conscience que le luxe s'ouvrirait un jour à la vente en ligne ?

Nous étions à l'époque les témoins d'une révolution du e-commerce, mais je n'imaginais pas qu'un jour nous pourrions monter dans ce train qui partait déjà à toute vitesse. Le commerce en ligne restait alors l'affaire de quelques pionniers soucieux de proposer des marchandises au meilleur prix. La question du luxe ne se posait donc pas sur un canal de vente qui était synonyme de bonnes affaires. En 2004, le paysage avait radicalement changé et nous avons estimé qu'il était temps de franchir le pas.


Quatre ans plus tard, quels facteurs vous ont poussé à changer d'avis ?

Le système a totalement basculé. D'un point de vue technologique, le commerce en ligne est beaucoup plus sûr qu'il y a quelques années, à la fois en termes de confidentialité des données ou de sécurisation des transactions. D'un point de vue logistique, les cybercommerçants ont également démontré les avantages du Web. Les conditions nécessaires à l'arrivée du secteur du luxe dans la vente en ligne sont donc aujourd'hui réunies. Il y a par ailleurs une évolution sociologique qui a permis l'avènement du commerce de produits de luxe sur Internet.


C'est-à-dire ?

Il y a dix ans, un certain nombre d'entreprises craignaient qu'Internet favorise l'extinction des marques, avec l'émergence de l'idéologie "no logo". En réalité, c'est tout l'inverse qui s'est produit, car Internet a exacerbé l'impact des marques sur les consommateurs, notamment grâce au e-commerce. Aux marques de luxe, le Web a sur ce point offert la possibilité de faire découvrir leur univers, non plus à une cible d'habitués assez restreinte mais à l'ensemble des internautes. Et c'est exactement ce que nous avons fait avec notre site de vente en ligne.


Après bientôt six mois d'existence, quel bilan tirez-vous de cette boutique ?

Pour être honnête, nous ne savions pas réellement ce que ce site pouvait nous apporter. Sur le plan commercial nous nous sommes un peu lancés "à l'aveuglette" car il n'existait pas d'expériences similaires en Europe. Nous nous sommes donc concentrés sur les services que nous voulions rendre en ligne à nos clients. Aujourd'hui, je dois dire que les premiers résultats de notre site e-commerce vont au-delà de ce que nous avions pu imaginer. Notre trafic par exemple a augmenté de 400 % depuis le lancement de ce site, en septembre 2007.


Et pourtant, vous préparez une nouvelle version de ce site. Pourquoi ?

"Un nouveau Boucheron.com pour la mi-mars"

Nous lancerons effectivement un nouveau Boucheron.com pour la mi-mars. Pour ses 150 ans, Boucheron va se doter d'une nouvelle charte graphique. Il était donc nécessaire de l'appliquer également à notre site. Nous en avons profité pour retravailler la navigabilité du site conformément à certaines remarques de nos clients. Nous nous sommes rendus compte que certains éléments méritaient d'être améliorés. Il s'agissait principalement d'erreurs de jeunesse que nous avons corrigé. Nous avons donc repensé leur présentation. Nous avons également accordé plus d'importance à la description de nos services, qui ne semblaient pas toujours perçus de façon claire. En revanche, nous n'avons pas revu l'architecture du site, parce que les choix que nous avions faits se sont avérés judicieux.

La première version de Boucheron.com vous a-t-elle permis de démocratiser le luxe ?

Je n'emploierai pas le terme "démocratiser", qui est assez antinomique avec le concept de luxe. Cependant, nous avons effectivement pu constater une fréquentation et des achats de la part d'internautes qui n'auraient pas nécessairement été des clients de nos boutiques. Inversement, les clients habitués de nos boutiques ont également adopté ce site, sur lequel ils viennent trouver de l'information et des services. Cela nous a conforté dans ce que nous avions intuitivement anticipé lors du développement de notre site : Boucheron.com est un canal de distribution complémentaire de nos magasins, il n'est pas concurrent.


Ce site est-il plutôt une source de revenus ou un apporteur d'affaires ?

Il est bien sûr un générateur de revenus, mais il est encore trop tôt pour considérer que le chiffre d'affaires qu'il génère est suffisant. Boucheron.com est surtout une source de trafic dans nos magasins, autant qu'il est générateur de services pour nos clients. Par sa disponibilité au-delà des horaires d'ouvertures de nos boutiques, mais également parce qu'il permet de décomplexer certaines personnes qui pouvaient se sentir gênées de franchir la porte d'un de nos magasins.


Cela arrive-t-il souvent ?

"Le Web permet de rassurer certains clients"

Plus souvent qu'on ne peut le penser. Pour toutes les marques de luxe, il existe ce que l'on appelle la "phobie du pas de porte", contre laquelle il est difficile de lutter. En fait, le meilleur remède à ce mal est certainement Internet lui-même. Sans Internet, nous n'aurions probablement jamais touché certaines personnes que notre site a contribué à rassurer. Ce qui est assez étonnant, c'est qu'il ne suffit pas d'avoir un site institutionnel pour désinhiber les consommateurs. Il faut un site de vente en ligne clair, qui affiche notamment le prix des produits.


Afficher un prix est pourtant délicat, lorsque l'on vend des bijoux à plusieurs milliers d'euros?

Peut-être, mais c'est une des convictions que nous avons toujours eu : dès lors que nous considérons notre site de vente en ligne comme un magasin à part entière, nous devons afficher le prix de chaque produit. D'une manière générale, nous voulions nous poser en opposition des quelques marques qui ont tenté un pas timide vers le e-commerce, en proposant une petite partie de leur collection, généralement la plus abordable financièrement. Nous pensions au contraire qu'il fallait proposer l'ensemble de notre collection sans avoir à cacher son prix. C'est toujours notre conviction aujourd'hui.


Comment concilier la modernité du Web et l'histoire qui caractérise une marque comme Boucheron ?

Notre marque est évidemment chargée d'histoire. Cet héritage fait partie de notre ADN, et nous le faisons vivre sur le Web en y proposant les mêmes services et la même qualité que dans nos boutiques. Sur Internet comme ailleurs, notre histoire nous condamne à incarner l'excellence. Nous devons donc constamment améliorer nos services.


Quels sont vos projets Web pour l'année 2008 ?

"Nous travaillons au lancement d'une e-boutique pour les Etats-Unis"

Nous allons nous concentrer sur l'ouverture de la vente en ligne en dehors de l'Europe. Nous travaillons pour la mi-2008 à l'ouverture d'un site e-commerce pour les Etats-Unis. Nous sommes actuellement en train de travailler sur l'aspect logistique, qui est un point important vue l'étendue du territoire américain. Nous envisageons également d'autres marchés sur lesquels la demande est forte, comme le Japon. Cependant, nous voulons prendre notre temps car nous ne pouvons pas nous permettre de faire les choses à moitié. Une boutique e-commerce japonaise n'est donc pas prévue pour cette année.


Et pour votre boutique européenne ?

Nous travaillons actuellement à la production de contenus éditoriaux qui viendront agrémenter le site. Sur ce point, nous allons beaucoup miser sur la vidéo. Je crois beaucoup à la puissance du clip sur Internet. Notre site américain devrait également profiter de ces contenus.


Internet est-il encore un canal de vente tabou pour le luxe en Europe ?

Je pense que ce n'est plus le cas en Europe, principalement parce que les mentalités évoluent. La réalité nous pousse d'ailleurs à miser sur le e-commerce : nos clients sont déjà présents sur le Web et achètent déjà par ce biais. Il est donc normal d'y être présent, pas seulement via une simple carte de visite. J'espère d'ailleurs que l'histoire retiendra que Boucheron a été un pionnier en la matière !


Boucheron.com pourra-t-il un jour rivaliser avec vos magasins en termes de chiffre d'affaires ?

Cela va dans le sens de l'histoire. La vraie question est de savoir à quel terme. Malheureusement je n'en sais rien. Mais cela pourrait intervenir plus tôt qu'on ne le pense, pourquoi pas d'ici cinq ans.

 PARCOURS
Titulaire d'un MBA de la London Business School ainsi que d'une maîtrise en Droit International des Affaires, Jean-Christophe Bédos a débuté sa carrière chez Cartier, en tant que chef de produit montres en 1988, avant de devenir chef de projet pour Cartier International en 1991, puis directeur marketing en 1993 pour Cartier UK, et directeur marketing et achats pour Cartier France en 1997. En 2000 il est nommé directeur général de Cartier France, puis exécutive manager auprès du président de Richemont International de 2002 à 2004. Jean-Christophe Bédos est président-directeur général de Boucheron (groupe PPR), depuis mai 2004, et président de Bédat & Co, depuis juin 2006.