Jean-Philippe Marazzani (Darty) "L'ultra-rentabilité de Darty.com découle de sa mutualisation poussée avec les magasins"

Acquérir une connaissance précise du client, bâtir un parcours client fluide, digitaliser les magasins... Le directeur marketing et e-commerce de Darty analyse les enjeux de l'enseigne.

JDN. Quels sont vos grands chantiers actuels ?

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Jean-Philippe Marazzani, DG marketing et digital de Darty © S. de P. Darty

Jean-Philippe Marazzani. Les grands sujets de réflexion actuels de Darty et de Darty.com tournent autour du parcours client, de notre prise en compte des opportunités que le numérique met à disposition des consommateurs, et enfin de la meilleure façon de connecter les différents points de contact que nous avons avec eux. Ceci implique avant toute autre chose de bien comprendre ce que font les clients. Par exemple, nous avons mesuré que 70% des acheteurs en magasin se sont auparavant rendus sur notre site.

L'idéal serait de mesurer l'audience et la conversion de tous les canaux de vente, donc y compris en magasin ou en web-to-store. Et de les analyser par région, par moment de la semaine, par levier d'acquisition... La généralisation du paiement mobile en magasin serait pour cela fabuleuse. Plus largement, le besoin qu'ont les enseignes telles que Darty d'obtenir une connaissance précise du parcours client représente un très bon terrain d'innovation pour les start-up. Obtenir, analyser et utiliser une information claire immédiatement constitue un challenge énorme.

En aval de cette connaissance client, quels dispositifs imaginez-vous ?

La première étape pour connecter les points de contact est de réaliser l'unicité des prix. C'est fait. Mais il faut également que tous les éléments de la chaîne assimilent les informations apportées par le client. Afin par exemple que lorsque le client téléphone au centre d'appel, nous sachions ce qu'il a vu ou acheté. Et ceci avec une solution fluide, allégée, facile pour lui.

L'étape suivante réside dans la digitalisation du point de vente. Ce sera la prochaine étape pour Darty. Notez qu'elle est déjà entamée : nos livreurs et réparateurs sont équipés d'une tablette qui envoie immédiatement par email le devis ou la facture et permet de recommander au client des accessoires correspondant à ses équipements.

Comment conciliez-vous sur le même site vente en ligne et incitation à se rendre en magasin ?

Ce qui compte est que le client convertisse, que ce soit en magasin ou en ligne. Le site présente d'ailleurs un avantage notable : au moins, l'achat est immédiat. Mais certains clients n'achètent qu'en magasin, après avoir recherché sur Internet. Nous considérons toutes ces possibilités comme le même parcours et intégrons complètement au site la préparation de l'achat en magasin. Par exemple par un lien vers le stock du magasin placé juste sous le prix qu'indique la fiche produit. Les points de vente sont également présents comme filtres en colonne de gauche des listings. Cela permet de lier le physique et le virtuel.

"Le chiffre d'affaires généré par le site s'est élevé en 2012 à 350 millions d'euros"

Vendre en ligne le stock de vos magasins nécessite de disposer d'une information très à jour. Comment vous y prenez-vous ?

Chacun des magasins remonte son stock en quasi temps réel, c'est-à-dire tous les quarts d'heure, afin que le site soit le plus précis possible. Cette fréquence est donc déjà élevée, mais nous travaillons sur une vraie vision en temps réel, qui entrera en fonction dans les prochaines semaines.

Avant l'été Darty annonçait que 12% de son chiffre d'affaires était généré par son site. Quelle est votre politique d'attribution des ventes ?

Peu importe où se fait la conversion, la vente est attribuée au magasin. Nos points de vente commercialisent environ 4 000 références et notre site 16 000. Même lorsque la commande en ligne concerne une référence se trouvant uniquement dans le stock central, elle est affectée au magasin le plus proche du client.

Au total, le chiffre d'affaires généré par le site, qu'il repose sur le stock central ou sur ceux des magasins, s'est élevé en 2012 à 350 millions d'euros. La croissance reste très significative cette année, même si elle varie selon les segments.

Le pouvoir d'achat se dégrade, les marges s'effritent... les e-commerçants high-tech et électroménager souffrent. Et les ventes à surface égale de Darty reculent. Comment réagissez-vous ?

Le contexte économique pousse le consommateur à s'informer encore davantage pour être sûr d'obtenir le bon prix. Le bon prix ne signifie d'ailleurs pas nécessairement le moins cher : cela peut être un prix comprenant certains services. C'est notre proposition. Nous sommes extrêmement transparents à la fois sur le prix et sur ce qu'achète le client. Le prix affiché est le prix final, rien n'est ajouté lors d'étapes ultérieures.

Quant aux e-commerçants qui souffrent, l'équation se fait certes sur l'offre mais aussi sur l'exécution. Chez Darty, tout est mutualisé entre le site et les magasins. Ceci nous confère compétitivité et ultra-rentabilité. D'autant que le site bénéficie beaucoup de la puissance de la marque : c'est Darty lui-même qui vous livre, qui répare, etc. Et la mutualisation est aussi bénéfique aux points de vente, puisque l'outil de vente des vendeurs en magasin, c'est le site.

"Avant, les pure players voulaient tout vendre. Maintenant, ils se recentrent."

Outre la connaissance du client, quels sont les grands enjeux de Darty aujourd'hui ?

Comme tous les distributeurs, d'abord développer l'audience - déjà considérable chez Darty - puis s'assurer que le site la renvoie bien en magasin. Car dans 20 ans, 80% du commerce mondial se fera encore dans le monde physique. Cela passe par la visibilité des magasins sur le site, par la mise en place d'une relation personnalisée des magasins avec les internautes via des espaces dédiés, et bien sûr par ce qui se gère en magasin : offre, merchandising, parcours client...

Nous travaillons sur un grand nombre de projets. Je ne suis pas inquiet quant à notre capacité à proposer quelque chose d'innovant. Ce qui nous manque, c'est le temps. On a la puissance de l'héritage de Darty, mais on doit être capable d'aller plus vite, pour continuer à enchanter la visite en magasin.

Comment voyez-vous évoluer l'e-commerce à l'avenir ?

Les difficultés que rencontrent plusieurs pure players nous renforcent dans notre conviction que la relation avec le client passe beaucoup par le physique. Il semble également que les acteurs spécialistes de leur métier, y compris multispécialistes, sont plus solides que les autres. En particulier sur les produits difficiles à entreposer et livrer. Il y a deux ou trois ans, les pure players voulaient tout vendre. Maintenant, ils se recentrent ou changent d'activité. Restent beaucoup d'acteurs qui exécutent très bien, pure players ou multicanaux. Mais pour survivre en tant que pure player, l'offre et l'exécution doivent être sans faille.

Pensez-vous que Pixmania a eu raison d'ouvrir des magasins, même s'ils ont depuis été fermés ?

Pixmania est un site extraordinaire qui a fait beaucoup de ventes. Et je pense effectivement que sur l'électroménager et la high-tech, mieux vaut pouvoir s'appuyer sur un réseau de magasins. Ce déploiement me paraissait donc une bonne idée, par rapport à ce qu'ils voulaient faire. Certes c'était pour eux un nouveau métier, mais l'idée était tout sauf incongrue.

Jean-Philippe Marazzani est DG marketing et digital de Darty. Diplômé de l'IEP de Paris, il débute sa carrière en 1991 chez L'Oréal en tant que responsable du contrôle de gestion des marques D'Anglas et La Roche Posay. En 1995 il rejoint SC Johnson en tant que directeur commercial du département des produits dermo-cosmétiques. En 1998 il est nommé directeur marketing et commercial d'Omyacolor (groupe Fila). Il intègre le groupe Kesa Electricals en 2001 et devient directeur des ventes de Dacem puis directeur des achats accessoires et technologie portable. En 2008 il est nommé directeur général de Darty.com, puis, en 2013, directeur général de Darty en charge du marketing, de la communication et du digital.