Une étude contredit la théorie de la longue traîne


La théorie de la longue traîne vient d'être contredite par une étude qui fait état de 10 millions de titres musicaux invendus. Les marchés de niche sont sur le grill.

La longue traîne ("long tail" en anglais) désigne l'ensemble des produits des fonds de catalogue qui se vendent en proportion réduite mais dont la somme des ventes pourrait collectivement dépasser la vente des produits les plus vendus. Corollaire : Internet, qui peut effectivement donner accès aux produits les plus variés, les plus obscurs et les plus introuvables, fait figure de boulevard pour les marchés de niche. Mais une étude portant sur les ventes de musique en ligne vient de porter un sérieux coup de canif à cette théorie, sur laquelle certains e-commerçants ont pourtant fondé tout leur business model. En effet, l'année dernière, plus de 10 des 13 millions de titres de musique en vente sur le Web n'ont pas trouvé acquéreur.

Pour la première fois énoncée en 2003, puis théorisée en 2006 par Chris Anderson dans son ouvrage "The Long Tail", l'idée que les marchés de niche constituent le principal axe de développement de l'Internet marchand était décrite comme le modèle économique le plus important du 21ème siècle. A l'époque, pour étayer sa théorie, le rédacteur en chef du magazine "Wired" s'était appuyé sur les ventes d'Amazon qui, notamment grâce au mécanisme du cross-selling, bénéficie de ventes constantes sur tout son catalogue et pas uniquement sur les best-sellers du moment. Il avait enfin prédit que l'économie du Web passerait d'un nombre réduit de "hits" occupant la plus grosse partie de la courbe de la demande à une quantité importante de niches dans la longue traîne.

Toutefois, une nouvelle étude menée par Will Page, économiste à la MCPS-PRS Alliance (organisation de collecte de droits d'auteurs à but non lucratif), suggère que les marchés de niche ne sont pas les mines d'or inexploitées que l'on croyait. Selon lui, le succès repose encore, pour les ventes en ligne, sur quelques best-sellers. Sur le marché en ligne des singles, 80 % du chiffre d'affaires est généré par environ 52 000 titres. Pour ce qui concerne la vente d'albums, les chiffres sont encore plus implacables : sur les 1,23 million d'albums disponibles, seuls 173 000 ont été achetés. 85 % n'ont donc pas vendu une seule copie de toute l'année.

Pour Chris Anderson, Will Page a simplement trouvé un jeu de données où le principe de la longue traîne ne s'applique pas. Pas de quoi remettre en question les certitudes d'Andrew Bud, patron de mBlox et co-auteur de l'étude de Will Page : "Je crois que les gens ont cru dans une longue traîne grasse et fertile parce qu'ils voulaient que ce soit vrai. Les théories statistiques utilisées pour justifier cette théorie étaient intelligentes et plausibles. Mais elles se sont révélées fausses. Les données racontent une toute autre histoire. Et pour la première fois, on sait vraiment de quoi est faite la demande pour la musique en ligne."

Will Page est celui qui avait conçu le modèle économique de l'album "In Rainbows" de Radiohead, sorti gratuitement sur Internet puis disponible au prix décidé par chaque acheteur.