Pauline Laigneau (Gemmyo) "Les deux forces de Gemmyo sont l'intégration verticale et la personnalisation"

Le nouveau site marchand de joaillerie a la particularité de fabriquer lui-même ses bijoux à partir des combinaisons demandées par les internautes. Explications de sa cofondatrice.

JDN. Quelle est la particularité du modèle économique de Gemmyo ?

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Pauline Laigneau, cofondatrice de Gemmyo © S. de P. Gemmyo

Pauline Laigneau. Contrairement à la joaillerie classique, nous produisons à la commande. Nous permettons aux internautes de créer leur bijou à partir de nombreuses combinaisons possibles de formes, de métaux et de pierres, puis nous lançons la fabrication. Nous avons commencé par ouvrir le site sous forme de prototype en septembre 2011, pour valider le marché mais aussi pour affiner notre chaîne de production et trouver des partenaires artisans joailliers capables de travailler de cette façon. Le lancement officiel de Gemmyo.com s'est fait en mai 2012. Ensuite, nous avons concentré nos efforts sur le marketing pour expliquer et faire connaître notre concept.

Qu'est-ce qui distingue votre approche ?

Gemmyo a pour vocation de rendre la joaillerie accessible. En termes de prix d'abord, puisque nous bénéficions des structures de coûts du Web et que nous produisons nous-mêmes les bijoux. Mais nous voulons également rendre accessible mentalement ce milieu intimidant. Même dans les petites bijouteries de quartier, les prix ne sont pas affichés et un langage de connaisseur est employé. Pour démocratiser ce secteur, nous adoptons une relation client à la Zappos : le retour est offert, nous le prenons à notre charge tout problème éventuel, nous expliquons aux clients chacune des étapes de fabrication de leur bijou... Nous voulons qu'ils soient entièrement satisfaits de leur expérience d'achat et n'hésitent pas à commander à nouveau et à parler de Gemmyo à leur entourage.

Qu'est-ce que la personnalisation de vos bijoux change à votre métier ?

Tous les visuels affichés sur Gemmyo.com sont des images de synthèse, produites par le logiciel 3D que nous utilisons pour concevoir les prototypes de bijoux. A partir de l'image 3D du bijou, nos imprimantes 3D superposent de fines couches de résine qui s'agrègent pour former la réplique physique exacte de l'image de synthèse, au dixième de millimètre près. A partir de ce modèle, nous fabriquons le moule qui servira à produire le bijou final. Il sera donc exactement identique à celui présenté en ligne. Et sur le site, nous pouvons afficher des images pour tous les bijoux, avec un niveau de zoom bien plus précis qu'une photo. En outre, ce procédé de fabrication nous permet d'avoir un stock très réduit.

Qui sont vos concurrents ?

Dans le retail, nous ne sommes pas du tout sur le même créneau que la place Vendôme, où l'on se rend davantage pour une marque : le produit n'est pas personnalisé, les marges sont bien supérieures et la clientèle n'est pas la même. Nous sommes plus en concurrence avec des chaînes comme Maty. Ou avec les petits bijoutiers de quartier, qui font eux-aussi du sur-mesure mais sont contraints de répercuter sur leurs prix les coûts de leur stock. Nos prix vont de 95 euros à plus de 100 000 euros, pour un cœur de cible situé entre 400 et 2000 euros.

Sur Internet, le secteur de la joaillerie, qui n'avait pas encore été dépoussiéré, est depuis peu en ébullition. Le premier acteur français est Adamence, site spécialisé dans le diamant et la bague de fiançailles inspiré de l'Américain Blue Nile. Un autre acteur important est Ocarat. Le principal facteur nous différenciant des autres distributeurs en ligne est que nous sommes également fabricants.

Quel est votre marché adressable ?

Le marché de la joaillerie, online et offline, s'élevait en 2011 à 5 milliards d'euros en France selon Xerfi et à plus de 30 milliards en Europe. Les bijoutiers-horlogers de quartier, sans enseigne, représentent encore 80% du parc français des 9 000 points de vente de distribution de bijoux moyen et haut de gamme et pèsent près de 50% de la distribution de bijouterie-horlogerie en valeur. La vente à distance, qui regroupe Internet, les catalogues et la vente directe, représente 18% du marché en valeur selon Xerfi. Et l'e-commerce de bijou progresse de 20% par an. Or notre marché adressable est encore bien supérieur au marché de la bijouterie classique, car nous ciblons aussi les consommateurs qui d'habitude n'achètent pas de bijoux. Nous nous adressons aux internautes qui cherchent à faire un beau cadeau et réalisent que rien ne vaut un bijou.

La joaillerie est très propice au Web, d'autant que rapportés au panier moyen, les frais d'expédition sont minimes, même en tenant compte de l'assurance sur le transport. En témoignent le succès spectaculaire de Blue Nile, dont les revenus atteindront 350 millions de dollars cette année, mais aussi celui de Gemvara, dont s'inspire plus directement Gemmyo et qui devrait réaliser 30 millions de dollars de ventes pour sa troisième année d'existence.

Après une première levée de 340 000 euros fin 2011, vous avez bouclé un second tour de table de 600 000 euros en septembre 2012 (lire l'article Gemmyo lève 600 000 euros, du 13/09/2012). Quels sont vos chantiers actuels ?

Notre premier objectif était d'avoir le plus beau site de joaillerie d'Europe pour capitaliser sur la dimension de rêve du bijou. Notre deuxième objectif était de valider le marché. Avec ce nouveau tour de table, notre troisième objectif consiste à gérer notre forte croissance et la pression afférente sur notre chaîne de production.

Concrètement, nous affutons le merchandising et l'ergonomie du site, nous étoffons notre équipe et nous travaillons sur l'élargissement et la diversification du catalogue. Ce dernier chantier est complexe, car il implique de produire les images de toutes les références. Nous avons lancé Gemmyo avec 100 références, pendant longtemps nous en commercialisions 2000 et nous sommes actuellement à 4000. Or le développement rapide de l'offre se poursuit. Avoir sécurisé nos joailliers avec des partenariats stratégiques nous permet aujourd'hui d'accélérer encore, en ajoutant chaque mois 800 références.

Quelles sont vos ambitions de chiffre d'affaires ?

Notre premier exercice, de mai à décembre 2012, devrait tourner autour de 300 000 euros de ventes, mais nous changeons nos prévisions régulièrement. Pour notre troisième exercice, en 2014, nous visons un chiffre d'affaires de 3 millions d'euros. Pour l'instant nous tenons voire dépassons nos objectifs, arrivant en fin d'année à plusieurs dizaines de milliers d'euros par mois.

Notre intégration verticale nous permettra de devenir profitables, mais nous attendrons de passer un seuil critique en France et peut-être à l'international. Notre business plan prévoit néanmoins l'équilibre pour 2014.

Allez-vous lever à nouveau des fonds pour financer votre expansion à l'étranger ?

Le deuxième tour de table était plutôt une levée-bridge pour assurer la haute saison de la joaillerie, de septembre à décembre. Nous attendons donc de passer Noël. Mais nous envisageons effectivement de réaliser bientôt un troisième tour. A la différence des deux premiers, menés auprès d'entrepreneurs, nous nous tournerons cette fois-ci vers des fonds, notamment étrangers, de façon à assurer un développement international plus massif.

Pauline Laigneau est la cofondatrice et la directrice marketing de Gemmyo. Agrégée d'anglais de l'Ecole Normale Supérieure de Lettres puis diplômée d'HEC Paris (majeure Entrepreneurs), elle est pendant 10 mois le bras droit du fondateur de la pâtisserie Hugo&Victor, avant de fonder Gemmyo en août 2011. Désormais, elle est en charge du marketing et des relations clients du site.