Droit d’opposition à la prospection commerciale : Internet et téléphone, même combat

La Cnil a récemment rendu publiques deux délibérations, sanctionnant la société de vente en ligne Cdiscount et la société Isotherm, pour non respect du droit d’opposition à la prospection commerciale prévu par la loi "Informatique et Libertés.

L'article 38 de la loi "Informatique et Libertés", qui prévoit que toute personne physique a le droit de s'opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection commerciale, permet à chacun d'affirmer son droit à la tranquillité. En effet, qui n'a jamais été agacé de voir sa boîte aux lettres électronique inondée de publicités de sites dont il s'est déjà désabonné plusieurs fois, ou d'être dérangé par un appel téléphonique de démarchage en fin de journée ou le week-end ?
 
Les personnes lassées de telles pratiques commerciales hésitent de moins en moins à faire valoir leurs droits auprès de la Cnil. C'est ainsi que celle-ci a reçu, début 2008, plusieurs plaintes de particuliers qui ne souhaitaient plus recevoir de courriers électroniques publicitaires de la part de la société Cdiscount, mais ne parvenaient pas à se désabonner des listes de diffusion de cette société. La société Cdiscount a tout d'abord expliqué à la Cnil qu'elle avait rencontré des problèmes dans le traitement de ces demandes en raison d'un dysfonctionnement de son module de désabonnement. Cependant, malgré la résolution de ce dysfonctionnement, la Cnil a continué de recevoir des plaintes. Les personnes concernées avaient, sans succès, tenté d'exercer leur droit d'opposition par différents canaux : clic sur le lien de désinscription figurant en bas de l'e-mail litigieux, envoi d'un courrier postal ou d'un e-mail, ou appel d'un numéro de téléphone surtaxé. En mai 2008, la Cnil a donc adressé à la société Cdiscount une mise en demeure de prendre les mesures de nature à garantir l'effectivité du droit d'opposition.
 
Par la suite, l'enquête effectuée par les agents de la Cnil a permis de constater que la société Cdiscount n'avait pas mis en place "de procédure permettant de prendre en compte, de manière efficace et immédiate, le droit d'opposition des personnes" qui ne souhaitaient plus figurer dans la liste de diffusion de cette société. De plus, le système de désabonnement mis en œuvre par la société de vente en ligne se révélait complexe pour les internautes, dans la mesure où un mot de passe était exigé pour toute désinscription.
 
Lors de l'audience de sanction, la société Cdiscount a expliqué qu'elle avait adopté de nouvelles mesures pour assurer l'effectivité du droit d'opposition et qu'elle avait notamment mis en place un système de secours en cas de dysfonctionnement de son module de désabonnement. La société de vente en ligne a également indiqué qu'elle allait nommer un correspondant informatique et libertés. Ces mesures n'ont toutefois pas été jugées suffisantes par la Cnil, qui, dans sa délibération du 6 novembre 2008, a estimé que la société Cdiscount ne s'était pas pleinement conformée à la mise en demeure qu'elle lui avait adressée et que les mesures prises par cette dernière étaient intervenues tardivement. La Cnil a donc prononcé une sanction de 30 000 euros à l'encontre de Cdiscount, et fait publier la décision sur son site et sur la base Légifrance.
 
A notre connaissance, cette sanction prononcée par la Cnil est une première en matière de droit d'opposition à la réception de courriers électroniques publicitaires. On rappellera que la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 prévoit par ailleurs que la prospection commerciale effectuée au moyen d'un automate d'appel, d'un télécopieur ou d'un courrier électronique n'est en principe autorisée que si les personnes ont préalablement donné leur consentement exprès (opt-in). Le législateur a toutefois prévu une exception à ce principe (opt-out) dans des cas restrictivement définis, et à condition que la personne soit en mesure d'exercer simplement son droit d'opposition à la prospection commerciale, lorsque ses coordonnées sont recueillies et à chaque fois qu'une sollicitation commerciale lui est adressée.
 
Si, par sa délibération du 6 novembre 2008, la Cnil montre qu'elle veille au respect de la loi "Informatique et Libertés" en cas de démarchage publicitaire par Internet, les autres formes de prospection commerciale n'échappent pas non plus à son contrôle. Par le passé, la Cnil a déjà été amenée à prononcer des sanctions à l'encontre de sociétés ne respectant pas le droit d'opposition dans le cadre de démarchages publicitaires par téléphone ou par courrier postal. Peu de temps après la sanction de la société Cdiscount, la Cnil a sanctionné la société Isotherm, notamment pour manquement au droit d'opposition dans le cadre de son service de télémarketing.
 
En l'espèce, de nombreuses personnes avaient demandé à la société Isotherm, en vain, d'être radiées des fichiers de cette société afin de ne plus être démarchées par téléphone. Certaines ont alors émis des plaintes auprès de la Cnil. Les missions de contrôle effectuées par la Cnil ont montré que le système mis en place par la société Isotherm, notamment l'effacement manuel des coordonnées des personnes de la base de données, ne permettait pas une gestion efficace et pérenne du droit d'opposition. En effet, le système ne garantissait pas un bon suivi dans le temps des oppositions effectuées, puisqu'en cas d'utilisation d'une nouvelle base de données, la société Isotherm n'était pas en mesure de savoir quelles personnes avaient précédemment exercé leur droit d'opposition, et pouvait donc encore démarcher ces personnes. La Cnil a par conséquent condamné la société Isotherm, pour divers manquements qu'elle a relevés dans cette affaire dont celui relatif au droit d'opposition, à une sanction de 30 000 euros, et fait publier la décision sur son site et sur la base Légifrance.
 
Ces décisions de la Cnil démontrent qu'en matière de droit d'opposition à la prospection commerciale, les responsables de traitement sont tenus à une véritable obligation de résultat. Celle-ci peut s'avérer lourde : dans l'affaire Isotherm par exemple, la société devra constituer et mettre à jour un nouveau fichier des personnes ayant exercé leur droit d'opposition par le passé.
 
Ces décisions de la Cnil sanctionnant le non-respect du droit d'opposition en matière de prospection commerciale s'inscrivent dans le mouvement actuel de renforcement du rôle de la Cnil au service des citoyens. Celle-ci se félicite en effet, dans son rapport d'activité pour l'année 2008, que la conjonction des actions menées par ses services des plaintes, des contrôles et des sanctions lui permette d'être aujourd'hui plus réactive face aux signalements des citoyens estimant leurs droits non pris en compte.

Tribune rédigée avec Virginie Becht, avocate à la Cour.