Nicolas Zunz (Publicis France) "De plus en plus de marques se lancent dans la 1st party data pour se libérer des grandes plateformes"

Le vice-président de Publicis France fait le point sur le développement de l'agence data du groupe et prévient des dangers de la plateformisation du Web.

JDN. Le groupe Publicis a lancé Epsilon France il y a maintenant deux ans. Quels enseignements tirez-vous aujourd'hui ?

Nicolas Zunz est vice président de Publicis France. © S. de P. Publicis

Nicolas Zunz. D'abord, c'est qu'il ne pouvait pas y avoir meilleur télescopage entre l'arrivée de notre agence et la vérité de notre époque. Cette vérité, c'est qu'il n'y a aujourd'hui pas un client qui ne se pose pas la question de sa stratégie 1st party data. Pourquoi ? Pour ne plus être dépendant de quiconque, et en particulier des Gafa, quand il s'agit de s'adresser à ses clients. Le coronavirus n'a fait qu'accélérer ce questionnement et a confronté beaucoup de marques à la montée en puissance des plateformes. Qu'elles fassent du social media, comme Facebook, ou du commerce, comme Amazon, ces plateformes cachent une capacité inquiétante à truster une verticale business de A à Z. Je parle en connaissance de cause, Publicis ayant accompagné des groupes comme Accor ou Marriot alors qu'ils se faisaient intermédier par Booking. Et les agences de voyage comme Booking, qui ont longtemps été vues comme des apporteurs de business par les hôteliers, représentent désormais 80% des nuitées dans le monde en confisquant complètement la relation client.

Observez-vous d'autres exemples similaires ?

Bien sûr ! On le voit dans toutes les grandes verticales : banque, textile, restauration… Regardez ce qui se passe aujourd'hui dans la restauration avec le succès des plateformes de livraison de repas. C'est exactement le même phénomène. Prenez Amazon, qui vient de révéler vouloir lancer un téléviseur connecté. Je ne doute pas que l'annonce a été accueillie plutôt froidement par l'un de ses clients, Samsung. Tout cela est très inquiétant pour nos clients qui veulent, bien sûr, profiter du reach et de la capacité de personnalisation de ces plateformes… mais ne veulent pas le faire naïvement. Ajoutez à cela la disparition annoncée des cookies tiers, et vous comprendrez pourquoi les annonceurs font de la data 1st party un enjeu crucial.

Un enjeu sur lequel Epsilon peut les accompagner ?

C'est du moins notre positionnement. On veut être leur master partner dans ces chantiers data. C'est indispensable parce qu'il y a aujourd'hui autant d'acteurs que de thématiques (analytics, médias, supply chain, CRM…) et que pas mal d'annonceurs se retrouvent avec des outils silotés, incapables d'avoir une vision 360 de leur stratégie data. Notre groupe de 700 personnes est légitime pour les aider à mettre en place une colonne vertébrale et s'assurer que personne ne s'en détourne. C'est un travail colossal pour lequel nous avons toute légitimité.

Pourquoi ?

D'abord parce qu'Epsilon aux Etats-Unis, c'est 250 millions de consommateurs en base et que, même si nous n'avons pas ces volumes en France, nous profitons au moins de l'expertise de nos collègues américains sur tous les sujets liés aux algorithmes et la réconciliation de données. Mais aussi parce que nous nous appuyons sur des collaborateurs qui sont capables d'opérer les technologies qu'ils ont conseillées et/ou implémentées. C'est le gros problème des sociétés de conseil traditionnelles, elles conseillent leurs clients sur des outils qu'elles n'opèrent pas au quotidien. Et ce n'est pas sans générer quelques mauvaises surprises au quotidien.

Cela se traduit dans votre croissance ?

Nous allons cette année encore réaliser une très belle croissance. Je ne peux pas vous donner de chiffres précis car Publicis est un groupe coté. Mais la réalité est que nos grands clients historiques, comme Renault, Société générale, Fnac Darty ou LVMH, nous ont confirmé et que de nouveaux clients, comme Pathé Gaumont, France Télévisions ou Nestlé, se sont laissés séduire.

Quels sont les profils de ces nouveaux clients ?

Il y a de tout. Certains sont à la rue, n'ont vraiment rien. D'autres ont un patrimoine data sur lequel ils ne savent pas comment capitaliser, que ce soit pour des insights en interne, voire pour en faire une source de monétisation. Comme avec Pathé Gaumont, qui a le premier programme CRM du marché du cinéma et voulait, comme le font les telcos aujourd'hui, s'ouvrir à d'autres acteurs que ses données pouvaient intéresser.

Comment les marques peuvent-elles naviguer avec succès dans ce monde trouble des plateformes ?

"Les marques doivent s'appuyer sur des écosystèmes digitaux à la hauteur de ce que proposent aujourd'hui les DNVB"

En ayant des marques fortes pour commencer. Ce sera toujours plus compliqué pour les plateformes de réussir à remplacer des marques puissantes. Il faut aussi des écosystèmes digitaux à la hauteur de ce que proposent aujourd'hui les DNVB, avec une expérience utilisateur la plus simple possible et une proposition de valeur différenciante.

Plus facile à dire qu'à faire quand on sait que l'on parle de grands industriels en place depuis des années…

C'est sûr que si on compte sur l'organisation IT qui fait tourner le modèle historique, on ne va pas s'en sortir… Le sujet DtoC finira tout en bas de la pile des priorités s'il est mis en concurrence avec la nécessité de faire tourner le système de caisses d'un retailer. Les enjeux business sont trop inégaux. Il faut apporter de la flexibilité à tout ça, comme nous l'avions fait pour le groupe Carrefour, en mettant à sa disposition un IT délégué durant des mois au siège de Massy. La condition étant que tout soit réversible, pour permettre au client de reprendre la main.

La 1st party, ça peut aussi être un sujet pour les marques de la grande consommation ?

Bien sûr. Regardez le programme "Ma vie en couleurs", lancé par Mondelez, Unilever et Publicis Chemistry. Il réunit aujourd'hui des millions de clients et il a permis aux marques partenaires de trouver un contrepoids aux retailers. Car plus vous êtes forts sur la 1st party, plus vous avez de poids dans les négociations avec vos distributeurs. C'est d'autant plus important de le comprendre qu'il y a une vraie opportunité de communication pour toutes ces marques qui ont un tas de choses à dire sur leurs innovations, leurs tests, leurs recettes…