Rémy Sansaloni (TNS Sofres) : "Internet pousse les annonceurs à plus d'éthique"

Internet catalyse-t-il la défiance aux marques ? A l'occasion de la sortie de l'édition 2008 du "Marketing Book", son auteur revient sur l'impact d'Internet sur le marketing et la perception des marques.

 

JDN. Pour la première fois depuis son existence, le "Marketing Book" s'intéresse au phénomène de la convergence. Pourquoi ?
Rémy Sansaloni. L'année dernière, TNS Media Intelligence, qui édite le Marketing Book, a été intégré au groupe TNS Sofres. Nous en avons profité pour relooker le Marketing Book en essayant de l'ouvrir à d'autres univers que celui de la grande consommation, notamment grâce aux données relevées par l'ensemble du groupe. Cette année, nous avons choisi de nous focaliser sur la convergence, qui fait l'objet du tome 1 du Marketing Book, car ses conséquences sont nombreuses sur le marketing.

La convergence n'est plus un phénomène nouveau. En quoi va-t-elle marquer l'année 2008 ?
Effectivement, ce phénomène a déjà démarré en 2007, mais il prend encore de l'ampleur en 2008. Nous observons une stratégie tous azimuts des grands opérateurs médias et télécoms. Ils ne font en fait que suivre les usages des consommateurs, notamment avec le développement du téléphone mobile et surtout de son usage non traditionnel. Pendant longtemps, on a cru que le téléphone serait un petit joujou égotiste. En fait il devient un outil de reliance, de partage d'informations et de données, au-delà de sa fonction principale. Comme ce comportement a bougé, les opérateurs suivent en développant les outils de la convergence, comme l'Internet mobile.

Selon vous, il existe trois types de convergence. Lesquels ?
Il y a d'abord la convergence numérique classique, que tout le monde connaît, qui consiste par exemple à faire transiter de l'information d'un outil à l'autre. Il s'agit en quelque sorte d'une "convergence de tuyaux". Elle qui a permet l'émergence d'une convergence des contenus, que nous appelons la "convergence média" : à partir du moment où les outils ont permit de faire converger des données, les médias se sont approprié ces usages. Ces deux types de convergence ont aujourd'hui tendance à se confondre, au point qu'on peut difficilement les dissocier. Il existe enfin une convergence NBIC, qui émerge déjà. Il s'agit de la possibilité de faire circuler de l'information entre les nanotechnologies, les biotechnologies, et l'informatique, dont Internet et des sciences Cognitives.

"la convergence NBIC peut être utile en matière de fidélisation"

Quel peut être l'intérêt de cette convergence NBIC pour le marketing ?

Le même que celui d'Internet. Contrairement à ce que l'on pense souvent, la convergence NBIC peut avoir énormément d'usages, notamment en matière de fidélisation. L'aéroport de Nice a par exemple mis en œuvre un programme de fidélité destiné à ses voyageurs réguliers, reposant sur la biométrie. Une carte de fidélité sur laquelle est stockée l'empreinte du propriétaire lui permet notamment l'accès à des zones de stationnement réservées, l'envoi par SMS d'informations sur les vols. La technologie RFID relève également de la convergence NBIC. Il y a toute une ouverture de cette convergence vers l'univers marketing et publicitaire. Avec le risque de capter des individus ou des données personnelles indépendamment de leur volonté. 


Cette question du respect de la vie privée inquiète-t-elle ?
Difficile à dire. Il suffit d'aller sur des réseaux sociaux pour se rendre compte que certains internautes ne font plus vraiment de distinction entre les sphères privée et publique. Ils n'ont pas vraiment conscience des possibilités d'usages des données qu'ils transmettent. Cela concerne les jeunes en particulier, mais pas uniquement. Les adultes se sont mis également au networking social pour suivre la tendance. C'est un phénomène qu'un chercheur de chez Nokia, Jan Chipchase, appelle "Little sister", en opposition à "Big brother" : il existe, selon lui, une injonction sociale à s'inscrire sur les réseaux sociaux, parfois malgré soi, au risque d'aliéner sa liberté individuelle au sens rousseauiste du terme.

"Internet crée des individus extrêmement changeants"

Quelles difficultés engendrent ces évolutions pour le marketing ?
En fait, la situation devient très compliquée pour les hommes de marketing : ils se trouvent face à une évolution à double tranchant. D'un côté Internet et la convergence ouvrent un champ énorme d'individualisation des médias, qui fait que l'individu peut s'approprier l'information ou la créer. Pour l'homme de marketing, il suffit alors d'observer les comportements de ces individus sur Internet pour les comprendre et déterminer des segments de population. Mais d'un autre côté, cet univers crée des individus qui sont fluents, extrêmement changeants.

Internet a créé des consommateurs schizophrènes ?
En quelque sorte, même si le terme est un peu fort. Mais il est vrai que le consommateur est dans une double attitude : d'un côté l'individualisation extrême, de l'autre la socialisation extrême. Pour le marketing, jouer avec cette réalité peut s'apparenter à jouer avec le feu. Notamment parce que les internautes ont une grande défiance vis-à-vis des marques. Unilever, par exemple, en a fait les frais. En s'adressant aux femmes, ce groupe prône d'un côté l'estime de soi avec sa marque Dove. Mais de l'autre, il renvoie une image formatée de la condition féminine avec sa marque Axe. Fin 2007, une vidéo a commencé à circuler sur Internet pour dénoncer le double langage du groupe, en utilisant les propres films publicitaires réalisés pour les deux marques. Le slogan de cette vidéo était "parlez à votre fille avant qu'Unilever ne le fasse". C'est pour le moins embarrassant.

A quoi est due cette défiance des internautes vis-à-vis des marques ?
Je pense que pendant de trop nombreuses années, l'industrie a fait preuve de maladresse en se focalisant trop sur la marque et en oubliant les produits qu'il y a derrière. Beaucoup d'études démontrent pourtant le retour à l'expérience produit des consommateurs, qui prennent donc plus de distance avec la marque. Ce phénomène de défiance existait déjà avant Internet mais les hommes de marketing n'ont jamais voulu y croire. Or avec l'arrivée du Web 2.0, les consommateurs ont enfin pris la parole. Ce qu'ils disent en substance est clair : revenons à l'essentiel qu'est le produit.

"Internet pousse au développement de marques citoyennes"

Internet peut-il contribuer à faire évoluer le marketing ?
Oui. Le Web rend possible l'expression du consommateur, qui auparavant, ne manifestait son mécontentement qu'en arrêtant d'acheter telle ou telle marque. Ce phénomène était rarement visible par les professionnels du marketing et Internet l'a catalysé. D'où la perception d'Internet comme un média parfois assassin vis-à-vis des marques.

Internet pousse donc davantage le marketing vers une voie plus éthique ?
Je le pense. Jusqu'à présent les marques ont toujours montré le blanc en cachant le noir. Internet permet aujourd'hui de le voir, ou au moins de voir le gris. Les marques doivent donc engager un réel travail de remise en cause. Internet pousse au développement de marques citoyennes qui font ce qu'elles disent et disent ce qu'elles font.

Pour l'instant, quel est l'état d'esprit des professionnels du marketing  vis-à-vis d'Internet ?
Ils tâtonnent. Ils font un peu de buzz, un peu de publicité, un peu de sites de marques, un peu de blogs. Mais globalement, ils sont perdus. Nous sommes encore dans une phase expérimentale du marketing sur le Web social. D'un autre côté, le consommateur lui-même est encore dans une phase expérimentale du Web, qui reste un outil nouveau. Tout le monde se cherche.