Second Life : attention, tout n'est pas permis

Les interactions entre monde physique et Second Life se sont multipliées, donnant lieu à des contentieux subséquents. Mais quelles sont les règles du jeu ? Quelques précautions à prendre.

Peu de semaines s'écoulent sans que Second Life, l'univers virtuel (ou "métavers") édité par Linden Lab en 2003, ne fasse parler de lui dans la presse. Notamment parce qu'en apportant des stratégies commerciales inédites, il fait naître de nouvelles questions juridiques.

Second Life (SL) n'est pas un jeu online, mais ce que l'on appelle un "univers persistant", permettant aux internautes de se constituer un personnage virtuel ("avatar"), et d'interagir avec les 3,3 millions d'autres inscrits. Synthétisé par ses habitants eux-mêmes, Second Life permet des échanges en tous genres : créations virtuelles ou propos politiques, sur lesquels les inscrits détiennent les droits et dont ils assument la responsabilité.

Bien des échanges se font via la monnaie virtuelle du site, le Linden Dollar, mais les créations virtuelles de ce métavers peuvent également faire l'objet de transactions réelles, grande nouveauté du genre. Les interactions entre monde physique et SL se sont ainsi multipliées, donnant lieu à des stratégies commerciales nouvelles, et à des contentieux subséquents.

En matière de créations graphiques (vêtements, objets, architectures, design), Linden a mis en place un système technique de réservation permettant aux joueurs de conserver leurs droits de propriété intellectuelle. L'inscrit peut ainsi en interdire la copie, la transmission, la décompilation et la modification. Les questions de contrefaçons sont donc régies à l'instar de celles qui se posent sur Internet, notamment en ce qui concerne l'usage non autorisé de morceaux musicaux ou d'images protégées.

Les créations virtuelles peuvent toutefois être commercialisées dans la réalité, par conversion des Linden Dollars en devises réelles. Cette propriété virtuelle ne va pas sans poser de problème : un avocat américain a ainsi attaqué l'éditeur pour l'avoir exproprié d'un terrain virtuel, acquis pour 8.000 dollars US parfaitement réels. L'éditeur prétendait, lui, que l'avocat avait fraudé la vente aux enchères virtuelles, ce qui avait justifié son expropriation. Premier exemple de l'interaction entre lois réelles et normes virtuelles.

Si la liberté d'expression des habitants de SL doit naturellement être protégée, il semble cohérent de réprimer l'atteinte à la vie privée, la diffamation ou plus généralement l'atteinte à l'ordre public. Si les législations classiques restent adaptées, la principale difficulté réside dans l'identification technique des contrevenants.

En France, une action en référé engagée par l'association Familles de France visait à empêcher l'accès des mineurs à des éléments illicites en libre accès dans certaines régions du jeu (pornographie, drogues, casinos). Les FAI arguaient de l'infaisabilité d'un filtrage efficace, de ce que Linden a mis en place des compartiments réservés aux mineurs, et renvoyaient  surtout à la responsabilité des parents la surveillance des activités de leurs enfants sur SL.

Le juge des référés (TGI de Paris) a considéré, après avoir écarté le constat d'huissier, que les faits allégués n'étaient pas suffisamment sérieux pour justifier des mesures immédiates. Toutefois, cela ne préjuge en rien du résultat d'une action similaire au fond, la question principale n'ayant d'ailleurs pas été traitée : Linden a-t-il une responsabilité d'hébergeur et/ou d'éditeur ?

Les grandes marques ont rapidement commencé à exploiter les potentialités marketing et commerciales de SL. Dell ou IBM y ont ouvert des boutiques virtuelles permettant de commander leurs produits, l'Oréal diffuse des défilés d'avatars, et plusieurs grandes entreprises organisent le recrutement de leurs futurs collaborateurs - réels quant à eux. Inévitablement, les conflits juridiques suivront. Quel que soit son fondement, une action intentée contre un avatar implique d'agir également contre Linden afin d'obtenir l'identité et les coordonnées de l'inscrit concerné. Il s'agit d'une application particulière de la législation, notamment française, qui permet d'obtenir les références d'un pseudonyme sur Internet.

En toute hypothèse, SL est un formidable espace d'expérimentation juridique, puisque les normes relatives au commerce électronique, à la liberté d'expression, au droit d'auteur, à la protection des marques ou des données personnelles, donneront rapidement lieu à des contentieux parfaitement réels, non pas entre avatars, mais entre parents d'avatars, qu'ils soient personnes physiques ou morales.

Article écrit par Sylvain Staub et Thomas Beaugrand, Avocats au Barreau de Paris, Staub Bénichou & Associés