.FR : conflit entre l’anonymat des particuliers et le droit des marques

En matière de noms de domaine et de droit des marques, la problématique de l'anonymat des particuliers prend une tournure particulière. En effet, 60 % des atteintes aux marques en .fr ont été le fait de personnes physiques en 2007.

L'anonymat des personnes physiques fait-il bon ménage avec l'intérêt des ayants droit ? A l'évidence, la réponse est négative. L'épisode relatif au téléchargement d'oeuvres contrefaites sur l'Internet le démontre substantiellement. Celui-ci s'achève d'ailleurs, en 2007, par cette fameuse autorisation concédée du bout des lèvres par la CNIL à trois sociétés civiles d'ayants droit de la musique, leur permettant de mettre en oeuvre des dispositifs de surveillance des réseaux P2P et, plus récemment aux producteurs indépendants.

Les demandes systématiques d'identification de responsables de sites contrefaisants, formées devant le juge des référés auprès des hébergeurs, sont également un bon indicateur de l'ambivalence de l'anonymat sur l'Internet. Le droit à l'anonymat constitue une gêne pour ceux qui espèrent stopper rapidement une situation préjudiciable mais il a un fondement juridique important : il garantit la protection des données personnelles des particuliers.


Les effets pervers de l'anomymat des particuliers

En matière de noms de domaine et de droit des marques, la problématique de l'anonymat prend une tournure particulière. Depuis le 2 juin 2006, l'AFNIC permet aux personnes physiques d'enregistrer leurs noms de domaine (son service d'enregistrement n'existait jusqu'alors que pour les personnes morales). Comme chacun sait, le nom et les coordonnées (adresse, téléphone, télécopie et courrier électronique) d'un titulaire et de l'administrateur d'un domaine sont accessibles par l'intermédiaire des "whois" (de l'Anglais "Who is ?" = "Qui est-ce ?").

Mais voilà que, suite à discussion avec la CNIL, l'AFNIC permet à toutes les personnes physiques de bénéficier par défaut de l'anonymat lorsqu'elles enregistrent leur nom de domaine en ".fr".

 

Le problème est de taille pour les propriétaires de marques ... problème qui a déjà eu des répercussions devant les tribunaux (voir par ex. l'affaire 3 Suisses [Juriscom.net]). Comme nous l'apprend Nathalie Dreyfus, Conseil Européen en marques et expert du Centre d'Arbitrage et de Médiation de l'OMPI, 60 % des atteintes aux droits de marques dans le cadre de la réservation de noms de domaine en .fr sont le fait de personnes physiques en 2007 (voir entrevue [Juriscom.net]).

 

Or, à défaut de pouvoir signaler rapidement à un particulier qu'il se trouve en situation de contrefaçon ou de concurrence déloyale, le préjudice perdure. Ainsi, ne pouvant être averti par les ayants droit, le particulier qui exploiterait indûment un nom de domaine s'expose au risque de devoir verser d'importantes sommes au titre de dommages-intérêts (ainsi qu'une amende pénale), dans le cas où une action serait intentée contre lui devant les tribunaux, pour l'exploitation indue et prolongée d'une marque.

La protection des données personnelles peut donc entraîner un effet pervers dans laquelle les particuliers, ne pouvant être prévenus à temps qu'ils exploitent une marque protégée, encourent un risque pécuniaire plus important.

 

Cette situation est aujourd'hui tempérée par la possibilité qu'offre l'AFNIC, à travers un formulaire [Afnic.fr], de joindre le contact administratif "par courrier électronique sans que ses coordonnées soient rendues accessibles à ses interlocuteurs" (Charte de nommage en .fr de l'AFNIC, article 28-2 al. 4). Mais, bien sûr, le fait de pouvoir joindre le contact administratif ne provoque pas nécessairement le transfert du nom de domaine à l'ayant droit légitime.

Le cas particulier du particulier ayant une activité commerciale sur le Web

Enfin, une autre question se pose : dans le cas où l'on se trouve face à un particulier qui exerce une véritable activité commerciale à travers un site nommé en .fr, jusqu'à quel point peut-on considérer que ses coordonnées demeurent à "caractère personnelle ?"

 

Quelle solution, finalement, pour résoudre ce problème de l'anonymisation du "whois" ? Selon Nathalie Dreyfus "le bon compromis, c'est de maintenir l'anonymat mais d'offrir aux ayants droit des processus de levée d'anonymat efficace, rapide et peu onéreux ".

 

Sensibilisée à cette question, l'AFNIC a mis en oeuvre, en décembre 2007, une procédure permettant de lever l'anonymat. Pour l'heure, cette initiative est mise à l'épreuve du temps.

 

Pour aller plus loin : entrevue avec Nathalie Dreyfus, sur Juriscom.net (http://www.juriscom.net/actu/visu.php?ID=1010).

Charte de nommage du .fr de l'AFNIC en vigueur au 1er janvier 2008 (http://www.afnic.fr/obtenir/chartes/nommage-fr).