Sunshine : les conséquences inattendues du décret du 6 février 2007

Le 16 janvier 2008, la cour d'appel de Paris a privé le titulaire d’un nom de domaine du bénéfice de ce nom au motif qu’il ne serait pas titulaire d’une marque. Une décision dommageable.

Tribune écrite par Isabelle Renard et Nicolas Herzog, avocats chez Vaughan Avocats. Dans un arrêt du 16 janvier 2008 ,la cour d'appel de Paris a ordonné le transfert du nom de domaine www.sunshine.fr à la société titulaire de la marque SUNSHINE.

C'est la première application judiciaire de l'article R.20-44-45 du code des postes et télécommunications électroniques, tel qu'il résulte du décret n°2007-162 du 6 février 2007.

Les faits sont fort simples : en juillet 2001, la société SUNSHINE avait déposé la marque SUNSHINE pour la classe 25 (vêtements, y compris les bottes, les souliers et les pantoufles). En avril 2005 Monsieur D. déposait le nom de domaine www.sunshine.fr pour l'exploitation de son activité de réalisation de photographies. Aucun rapport donc entre les deux activités.

Mais la société SUNSHINE ne l'entend pas de cette oreille et engage une procédure en référé à l'encontre de Monsieur D. afin d'obtenir le transfert du nom de domaine sunshine.fr à son bénéfice. Déboutée en référé, la société SUNSHINE interjette appel le 31 juillet 2007 sur le fondement du nouvel article R.20-44-45 du code des postes et télécommunications électroniques qui dispose  : "Un nom identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle par les règles nationales ou communautaires ou par le présent code ne peut être choisi pour nom de domaine, sauf si le demandeur a un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi."

La décision rendue par la cour d'appel de Paris le 16 janvier 2008 ordonne le transfert du nom de domaine www.sunshine.fr au profit de la société SUNSHINE en considérant que : "Monsieur D. ne justifie donc d'aucun droit ni d'un intérêt légitime - au sens de l'article R.20-44-45 du code des postes et télécommunications électroniques tel qu'il résulte du décret 2007-162 du 6 février 2007, applicable au jour où la cour statue - à choisir le nom de domaine qui est la marque -justifiée - de la SNC".

Rappelons qu'avant la publication du décret du 6 février 2007, la demande de transfert d'un nom de domaine à son profit par le titulaire d'une marque se fondait sur la contrefaçon de marque. Or, en matière de contrefaçon de marque, la cour de cassation avait posé le principe, dans son arrêt du 13 décembre 2005, selon lequel le transfert d'un nom de domaine n'est octroyé que si les produits et services offerts sur le site internet litigieux sont identiques ou similaires à ceux visés dans l'enregistrement de la marque et est de nature à entraîner une confusion dans l'esprit du public.

Cette position, cohérente avec la logique de fonctionnement du signe privatif qu'est la marque, doit selon nous être approuvée.

L'interprétation qui a été faite de l'article R.20-44-45 du code des postes et télécommunications électroniques par la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 16 janvier 2008 conduit en effet à priver le titulaire d'un nom de domaine du bénéfice de ce nom au motif qu'il ne serait pas titulaire d'une marque alors même qu'il n'existait pas, en l'espèce, de risque de confusion entre les produits et services visés par la classe 25 et une activité de photographie.

Il est vrai que cette condition n'est pas mentionnée par le texte du décret , qui impose le transfert au titulaire de la marque dès lors que le nom est "identique ou susceptible d'être confondu", sans aucune référence au risque de confusion.

Il est permis de penser que c'est dommage.

Rappelons en effet que le champ d'application du décret du 6 février 2007 se limite aux noms de domaine en .fr.

Imaginons l'exemple suivant : la marque TOTO est déposée dans trois classes différentes, par les entreprises A, B et C. Une entreprise D, qui exerce dans le même domaine d'activité que B, est titulaire de TOTO.fr et TOTO.Com.

A assigne D pour récupérer ses noms de domaine, sur le fondement du décret précité. A récupère donc TOTO.fr, mais pas TOTO.com. L'entreprise B, se réveillant, assigne sur le fondement de la contrefaçon de marque et récupère TOTO.com mais pas TOTO.fr, qui a été attribué au premier arrivé alors même qu'il n'existait aucun risque de confusion entre les produits et services de A et ceux de D.

Cela nous paraît manquer de cohérence, encourager un contentieux pathogène et, surtout, rendre fort hasardeux le choix d'un .fr dès lors que l'on a pas la marque : était-ce le résultat souhaité ?