La réponse graduée du rapport Olivennes perd son grade

Rendu public en novembre 2007, le rapport Olivennes préconisait des mesures pour lutter contre la contrefaçon numérique et pour développer une offre numérisée attractive. Objet de nombreuses critiques ce rapport vient d’être jugé par les eurodéputés….sans appel.

En septembre 2007, la ministre de la Culture, Christine Albanel, confiait à M. Olivennes une "mission de réflexion et de concertation destinée à favoriser la conclusion d'un accord entre professionnels, permettant le développement d'offres légales attractives d'oeuvres en ligne et dissuadant le téléchargement illégale de masse." [1]

 

Conforme à la volonté exprimée par le Président de la République d'éviter qu'Internet ne devienne un lieu de non-droit, le rapport Olivennes vise principalement à lutter contre le téléchargement illégal.

 

Rendu public en novembre 2007, on retenait de ce rapport plusieurs éléments : la mise en place d'une riposte graduée consistant dans l'envoi de plusieurs mails d'avertissement à l'attention du pirate avant que ce dernier ne voit son abonnement Internet suspendu voir même résilié ; l'abandon des DRM (Digital Rights Management) ; l'alignement de la VOD sur le DVD en autorisant la diffusion des oeuvres en VOD dès six mois après leur diffusion initiale.

 

Ces propositions devaient faire l'objet d'un débat devant le Parlement dans le but ultime de voir ce que l'on appelle déjà la loi DADVSI 2 adoptée.

 

Alors même que l'auteur du rapport concédait lui-même que juridiquement les solutions proposées n'étaient pas évidentes, de nombreuses voix se sont élevées principalement contre l'adoption d'une riposte graduée. On ressentait en effet la difficile conjugaison entre les libertés individuelles et la volonté de réprimer le téléchargement illégal.

 

L'envoi d'avertissements aux internautes pratiquant le téléchargement illégal apparaît difficilement réalisable sans que le droit au respect à la vie privée ne soit malmené. En effet, afin d'être en mesure d'envoyer des avertissements aux internautes, les fournisseurs d'accès Internet devront préalablement collecter les données personnelles de leurs abonnés (noms, adresse e-mail et adresse IP). On peut craindre qu'une telle mesure n'érige les fournisseurs d'accès Internet en véritable police de l'internet.

 

M. Olivennes a alors tenté de rassurer ses détracteurs en appelant à la création d'une autorité administrative indépendante. C'était semble-t-il oublier la décision du Conseil constitutionnel qui rappelait le rôle primordial des autorités judiciaires pour toute remise en cause des droits individuels. C'était également faire fi de la position de la Cour européenne des Droits de l'Homme selon laquelle toute atteinte aux Droits de l'Homme ne peut intervenir qu'après un procès équitable.

 

La volonté de créer un marché européen de la culture sur Internet a poussé Bruxelles à créer une Commission présidée par Viviane Redig ayant pour mission de proposer des solutions permettant de développer une industrie culturelle sur Internet forte, sous-entendu capable de lutter contre le piratage en ligne.

Dans le cadre de cette Commission, le député socialiste Guy Bono a publié un rapport fustigeant le principe de 'riposte graduée' telle que préconisé par le rapport Olivennes en France. Selon le député Bono la riposte graduée entre "en contradiction avec les libertés civiques ainsi qu'avec les principes de proportionnalité, d'efficacité et de dissuasion. La coupure de l'accès Internet est une sanction aux effets puissants qui pourrait avoir des répercussions graves dans une société où l'accès à Internet est un droit impératif pour l'inclusion sociale".

 

Le jeudi 10 avril 2008, les eurodéputés adoptaient le rapport Bono.

 

La satisfaction des opposants aux propositions du rapport Olivennes n'a pas tardé à retentir comme une victoire sur ce qu'ils considéraient comme un frein au développement de l'Internet.


Ainsi dans un communiqué daté du 10 avril, l'initiative citoyenne 'La quadrature du Net' considère sur son site Internet que le vote des eurodéputés "démontre que le dispositif de riposte graduée [...] est considéré comme contraire aux droits fondamentaux".  Pour la Quadrature du Net il s'agit ici d'un message fort adressé à François Fillon et appelle ce dernier à "prendre acte de ce vote, et par conséquent à ne pas déposer devant le Parlement français le projet Olivennes" [2].


De son côté l'UFC-Que-Choisir qui dénonçait la "surenchère répressive" considère que "le gouvernement doit répondre à l'appel des eurodéputés et renoncer à un projet de loi à contresens de l'histoire numérique".

 

Pourtant, au lendemain de l'adoption du rapport Bono, le cabinet de la ministre de la Culture assurait que le projet de loi basé sur le rapport Olivennes serait bien présenté au Parlement français, refusant ainsi de voir dans le vote des parlementaires européens une sanction contre le dispositif de riposte graduée. [3]

 

On gardera donc un oeil attentif à l'ordre du jour du Parlement français et ce tout particulièrement alors que la France s'apprête à prendre la présidence de l'Union européenne.

 


[1] Lettre de mission de la Ministre de la Culture, Christine Albanel à Denis Olivennes, 26 juillet 2007, http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/index-olivennes231107.htm

[2] http://www.laquadrature.net/fr

[3] Source : http://www.numerama.com/magazine/9288-EXCLUSIF-Albanel-maintient-son-projet-de-loi-en-depit-de-l-Europe.html