Pas d'exclusivité pour l'Iphone !

Par une décision du 17 décembre 2008, le Conseil de la concurrence a suspendu à titre conservatoire l'accord d'exclusivité entre Apple et l'opérateur Orange portant sur la commercialisation de l'Iphone en France. Une décision qui pointe les abus du simlockage et la crainte d'un cloisonnement vertical du marché de la téléphonie mobile

Avec 7 millions d'Iphones 3G vendus dans le monde au troisième trimestre 2008, Apple réussit une entrée éclatante sur le marché des téléphones mobile, devançant ainsi RIM (Blackberry) et Motorola. Selon Canalys Estimates, Apple obtient 17,3 % de part de marché sur le marché des smartphones ce qui le positionne juste derrière le finlandais Nokia, leader avec 38.9 % et serait devenu le portable le plus vendu aux Etats-Unis.
 
En France, la commercialisation de l'Iphone 3G se fait par le biais de l'opérateur Orange en vertu d'un accord d'exclusivité. 300 000 terminaux auraient déjà été vendus et selon Orange, 50% de ces ventes correspondent à de nouveaux abonnés. L'effet Iphone porte donc ses fruits en parvenant à drainer une clientèle nouvelle au profit de l'opérateur détenteur de l'exclusivité.
 
Cette exclusivité est contestée devant le Conseil de la Concurrence par la société Bouygues Télécom : mécontente d'être écarté de la distribution du précieux terminal elle dénonce dans une plainte au fond assortie d'une demande de mesures conservatoires  les pratiques mises en oeuvre par Orange et Apple pour sa commercialisation, faisant d'Orange l'opérateur de réseau et le grossiste exclusif pour l'Iphone en France.
 
 
1.                  Un montage économique "verrouillé"
 
L'accord retenu entre Apple et Orange repose sur quatre contrats qui verrouillent la commercialisation de l'Iphone sur le territoire français uniquement au profit d'Orange, à l'exclusion de tout autre distributeur ou revendeur non agréé ainsi que de tout opérateur :
 
Un contrat de partenariat réseau (« key terms agreement ») faisant d'Orange l'opérateur réseau exclusif de l'Iphone dans plusieurs pays. L'exclusivité portait sur l'Iphone 2G et l'ensemble de ses successeurs, pour une durée de 5 ans  avec une clause de sortie pour Appel au bout de 3 ans. Le simlockage du téléphone au profit exclusif d'Orange était prévu ce qui permet de lier l'utilisateur avec l'opérateur le plus longuement possible, dans le respect toutefois de la réglementation applicable. En contrepartie Orange s'engageait à verser à Apple 30% des sommes facturées à chaque client Iphone Orange et à rembourser 50% des dépenses publicitaires engagées par Apple, avec un plafond de 10 millions d'euros. Ce système de « revenue sharing » a ensuite été abandonné par avenant au profit d'un système de subvention du mobile lors de son acquisition
 
Un accord de distribution désignant Orange comme grossiste exclusif et définissant les critères à respecter par les boutiques Orange pour la distribution de l'Iphone : seuls les distributeurs agréés étaient habilités à passer des commandes d'Iphone auprès d'Orange ; le prix de revente était plafonné au tarif d'orange majoré à 8,5%, Orange s'engageait à valoriser la vente de l'Iphone par rapport aux autres terminaux ; enfin les exportations étaient contrôlées.
 
Les contrats par lesquels Apple agrée d'autres distributeurs de détail : ces distributeurs signent avec Apple un contrat de distribution spécifique à l'Iphone et se fournissent par la suite auprès d'Orange, grossiste exclusif d'Apple en France. Sont visés les distributeurs multimarques comme la FNAC, Darty, The Phone House... Parmi les critères de sélection, le candidat doit démontrer que la vente des produits Apple représente au moins 30% de son chiffre d'affaires.
 
Les contrats de distribution conclus entre Orange et les distributeurs de détail agréés par Apple : cet accord impose que chaque revendeur s'approvisionne exclusivement auprès d'Orange ou une source approuvée par elle, qu'il les revende exclusivement dans les points de vente autorisés, et qu'il ne commercialisera pas les terminaux avec une offre de téléphonie autre que celle d'Orange
 
 
 
2.                  Un impact économique inédit
 
La haute technicité de l'Iphone bouleverse le marché de la téléphonie mobile alors même qu'Apple n'est qu'un nouvel entrant. Protégé par plus de 200 brevets, l'Iphone offre des fonctionnalités inédites telles qu'une interface tactile « multitouch » sans clavier, une navigation Internet sans équivalent sur téléphone mobile, un baladeur numérique... ce qui en fait un produit fortement attractif pour la clientèle.
 
Pour le Conseil de la concurrence, l'impact de l'Iphone et de son schéma de commercialisation doivent être mesurés sur 4 marchés :
 
- Le marché des services de la téléphonie mobile 
- Le marché des terminaux
- Le marché des baladeurs numériques 
- Le marché du téléchargement payant de musique en ligne
 
Selon le Conseil, Orange n'est pas en position dominante sur le marché de la téléphonie mobile, pas plus que ne l'est Apple sur celui des terminaux où il n'est que nouvel entrant.
 
En revanche, la position dominante d'Apple est retenue pour le marché des baladeurs numériques et celui du téléchargement payant de musique en ligne.
 
Toute la question est de savoir si le montage contractuel verrouillé de l'Iphone « porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt du consommateur ou à l'entreprise plaignante » ce qui justifie que le Conseil prenne des mesures conservatoires (article L 464-1 du code du commerce).
 
 
3.                  Une exclusivité remise en question
 
Par une décision du 17 décembre 2008, le Conseil de la concurrence a prononcé des mesures conservatoires suspendant l'exclusivité d'Orange sur l'Iphone, dans l'attente de sa décision au fond.
 
Plus précisément le Conseil critique le simlockage systématique du terminal prévu dans les accords de distribution sélective qui au final l'empêche d'être vendu nu et d'être utilisé sur un opérateur concurrent d'Orange, sauf le paiement de cent euros pour un « désimlockage ».
Or le simlockage est une mesure préventive contre le vol de terminal, encadrée et limitée à 6 mois maximum. Le Conseil considère que le simlockage tel que prévu par les différents accords de distribution sélective, n'a pour finalité que de préserver l'exclusivité d'Orange en empêchant que celle-ci ne soit contournée par la vente de terminaux nus.
 
Le Conseil soulève également la durée et l'étendue de l'exclusivité accordée à un produit aussi attractif : alors qu'elles sont généralement de 6 mois à un an, la période de 5 ans envisagée apparaît comme excessive et de nature à segmentariser un marché composé principalement de 3 opérateurs réseaux non seulement en fonction des forfaits mais également en fonction des terminaux offerts. Dans le cas d'un produit aussi attractif que l'Iphone, le Conseil considère que l'exclusivité ne peut que renforcer la position déjà dominante de l'opérateur Orange, « de nature à porter une atteinte grave au marché et donc aux consommateurs ».
 
Enfin le Conseil pointe les interdictions contractuelles de ventes croisées et l'exigence pour les revendeurs agréés de vendre au moins 30% de baladeurs numériques, toutes deux susceptibles d'affecter la concurrence
 
Au final, le message lancé par le Conseil s'agissant des accords d'exclusivité opérateurs/constructeurs est le suivant :
 
  • Les accords d'exclusivité ne peuvent porter sur une durée excessivement longue afin de préserver le jeu de la concurrence, surtout s'agissant d'un produit fortement attractif. Ainsi l'exclusivité de première présentation d'un nouvel appareil doit être courte (limitée à trois mois) alors que celle accordée à un opérateur réseau ne pourrait dépasser six mois.
     
  • Les accords d'exclusivité ne peuvent pas entrainer un simlockage abusif du terminal empêchant sa vente à nu en vue d'une utilisation sur un autre opérateur
     
  • Les accords d'exclusivité ne doivent pas aboutir au cloisonnement vertical du marché de la téléphonie mobile : le marché ne doit pas se sectoriser selon des terminaux uniquement disponibles chez certains opérateurs, et pas chez d'autres.
     
    Ce message ne manquera pas d'alerter d'autres opérateurs candidats à l'exclusivité, notamment SFR qui a annoncé la conclusion de partenariats avec Blackberry et HTC.
     
     
    Source : Conseil de la concurrence - Décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre dans la distribution des Iphones