Le droit à l’oubli sur Internet

Internet forme aujourd’hui une gigantesque mémoire capable de ressasser la moindre information, même gênante. Il existe toutefois de manière ponctuelle et limitée la possibilité d’empêcher la révélation de certains faits passés.

Tribune écrite par Arnaud Dimeglio et Martin-Daniel Gleize

L'absence d'un droit général à l'oubli
 
En principe, chacun a droit au respect de sa vie privée (Article 9 du Code civil). Néanmoins, les tribunaux considèrent que le droit à la vie privée doit s'équilibrer avec le droit à la liberté d'expression. Les magistrats estiment que dès lors qu'une information à caractère privée a été licitement divulguée en leur temps, par exemple par des comptes rendus judiciaires, l'intéressé ne peut invoquer un droit à l'oubli pour empêcher qu'il en soit à nouveau fait état (Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 20/11/1990).
 
La divulgation qui "porte sur des faits qui relèvent de l'actualité judiciaire" est admise (TGI de Paris, 27/02/1970) ainsi que celle portant "sur des faits qui appartiennent à l'histoire" (Cour d'appel de Paris, 30/06/1961).
 
Toutefois les magistrats considèrent que "l'auteur de l'ouvrage contenant des révélations manque aux devoirs de prudence et d'objectivité eu égard à la grâce et à la réhabilitation intervenue [par la suite]" (Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 20/11/1990). C'est dire qu'il existe, dans certains cas, un droit à l'oubli.
 
 
L'existence d'un droit spécial à l'oubli
 
Hormis le cas de grâce et de réhabilitation, le droit à l'oubli devrait pouvoir également s'appliquer en cas d'amnistie. En effet, le Code pénal dispose que l'amnistie efface les condamnations prononcées (L 133-9 du Code Pénal), et qu'il "est interdit à toute personne qui, dans l'exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations (...) effacées par l'amnistie, d'en rappeler l'existence sous quelque forme que ce soit ou d'en laisser subsister la mention dans un document quelconque [...]". (L 133-11 du Code Pénal).
 
De même, lorsque l'information révélée porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne intéressée, l'auteur de la divulgation ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant des faits relatifs à la vie privée, qui remontent à plus de dix années, lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision (article 35 alinéa 3 de la loi de 1881).
 
La loi "informatique et liberté" de 1978 prévoit enfin que toute personne dont les données personnelles sont traitées peut exiger du responsable du traitement que soient, selon les cas, (...) mises à jour, ou effacées les données à caractère personnelles la concernant, qui sont (..) périmées (Article 40 de la loi de 1978).
 
On peut donc en déduire qu'au bout d'un certain temps, les données concernant une personne peuvent être considérées comme périmées, et doivent par conséquent être mises à jour ou effacées.
 
De même, la loi de 1978 prévoit que seules certaines personnes habilitées peuvent traiter des  données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté (article 9 de la loi de  1978).
 
Il existe néanmoins deux exceptions à ces droits, et non des moindres : pour les auteurs, dans le cadre de l'exercice de leur expression littéraire et artistique, et pour les journalistes. Mais ces personnes ne sont pas à l'abri de tout droit. En effet, selon une recommandation de la CNIL du 29 novembre 2001, les personnes qui publient sur Internet des décisions juridiques doivent les anonymiser en ce qui concerne les personnes physiques. Ce qui, en soi, consacre une certaine forme de droit à l'oubli.
 
En conclusion, le droit à l'oubli, loin d'être général et établi, demeure très fragmentaire, et ne ressort pour l'instant en filigrane que d'une poignée de cas, et de textes spécifiques.