Cartes de fidélité : qui cible qui, au juste ?

La surenchère d’offres promotionnelles non ciblées sur les cartes de fidélité pose une question nouvelle : ne sommes-nous pas en train d’encourager l’infidélité ?

La dérive a été lente et progressive, mais bien réelle. A mesure que les enseignes jouaient la carte de la fidélité, leurs clients ont été gâtés, avec des offres de réduction plus alléchantes les unes que les autres, annoncées à grand renfort de publicité dans tous les médias... Remises de 50 % par-ci, points multipliés un jour donné, bons d'achats en tous genres... Jusqu'au paroxysme : l'offre "100 % remboursé" ! A se demander comment les consommateurs accepteront de payer demain ce qu'on leur offre aujourd'hui...

Depuis deux ans, nous assistons à une véritable surenchère sur les cartes de fidélité. Officiellement, cette débauche de moyens est déployée au nom des intérêts du consommateur. Pour autant, les consommateurs ont-ils l'impression d'y gagner ? Pas sûr, quand on voit la progression continue du hard-discount... Alors, que se passe-t-il ?

En réalité, la multiplication des offres promotionnelles sur les cartes de fidélité induit deux effets pervers.

Le premier, c'est le manque de lisibilité de la politique de prix des enseignes. A l'heure des polémiques sur le pouvoir d'achat et l'évolution des prix, les consommateurs finissent par soupçonner que tant d'offres mirobolantes cachent des hausses durables par ailleurs. Parfaitement lisible, la politique de prix des hard-discounters s'impose alors comme une alternative pour une frange de plus en plus large de la population.

Le deuxième effet est un paradoxe : la surenchère génère des comportements opportunistes, bien loin de la fidélité tant recherchée. Car enfin, voyons les choses en face : quand les professionnels multiplient les opérations promotionnelles non-ciblées, les consommateurs (désormais multi-cartes) finissent par faire le tri selon leurs besoins du moment... Cela nous amène à cette question simple : qui cible qui ?

Entendons-nous bien : il ne s'agit pas ici de dénigrer la promotion. Bien utilisée, elle est efficace. Ce que nous pouvons déplorer, c'est l'amalgame actuel entre la promotion, nécessaire au commerce, et la fidélisation, indispensable à sa pérennité. La promotion est une étincelle ; la fidélité est un feu. Une succession d'étincelles ne fait pas un feu - de la même manière, on ne saurait construire une relation fidèle à coup de promotions de masse. À terme, nous serons tous perdants : les marques, les distributeurs... et sans doute les consommateurs.

Mais comment sortir de cet engrenage ? La réponse est simple : en revenant à la base. L'occasion nous en est d'ailleurs donnée avec l' entrée en application de la LME, qui entraîne une redistribution des cartes entre promotions et programmes de fidélité. Profitons donc de ce moment charnière pour construire une nouvelle pertinence pour le client, et poser les bases d'une véritable politique de fidélité, basée sur une vraie interaction.

Revenir à la base, c'est bien sûr partir des besoins du consommateur. Or, que demande-t-il, aujourd'hui ? Des prix, bien sûr. Mais aussi de la considération. Il aimerait sentir que son enseigne préférée est réellement à son écoute. Il aimerait voir qu'elle cherche à faire baisser les prix de son panier, au lieu de proposer indifféremment les mêmes avantages à tous les clients. Et il sent bien que cela est possible : en souscrivant à une carte de fidélité, il sait qu'il délivre de l'information au magasin à chaque fois qu'il passe en caisse. Et reproche qu'on ne l'utilise pas plus à son profit !

Le modèle d'aujourd'hui est celui de la relation. Les enseignes ne sont plus de simples distributeurs de produits ; elles ont pour mission de satisfaire une clientèle.
Des premiers pas ont été faits dans ce sens, mais le chemin reste encore long. Car qui dit relation dit aussi individualisation. Longtemps, cela n'a été qu'un doux rêve, car il n'existait pas d'outil assez puissant pour gérer des données individuelles. Mais aujourd'hui, les outils existent pour fidéliser autrement. En proposant à chaque client des avantages basés sur ses habitudes personnelles de consommation, par exemple... Et bien sûr, en lui faisant savoir ! Pour optimiser ces programmes, les enseignes les plus avancées peuvent même construire leur plan de "communication individuelle client" selon la rentabilité de chaque foyer.

Cela, au fond, nous le savons tous. Dans tous les discours, chacun entend "mettre le client au coeur de son action". Mais les pratiques, elles, ne changent pas. Les mois prochains seront décisifs pour corriger le tir et avancer clairement vers ce nouveau modèle. Redonner à la fidélité son vrai sens - celui d'une relation que l'on construit sur la durée. Le feu ne demande qu'à être allumé. Qui osera franchir le pas ?