Très haut débit : les opérateurs coopèrent pour mieux se concurrencer

A ce jour, seuls 40.000 abonnés sont raccordés en fibre optique alors qu’il y a plus de 16 millions de clients ADSL. Comment sortir de cette impasse ? Et si la mutualisation des infrastructures entre offreurs de services était la solution.

Plusieurs raisons expliquent ce constat sans appel sur le faible nombre d'abonnés au THD (Très Haut Débit). D'abord, il s'agit d'une technologie encore jeune, pas totalement maitrisée dans son déploiement mais aussi dans le modèle économique qu'elle impose aux offres qui en découlent.  Ensuite, contrairement à l'ADSL et au cuivre, il n'y a pas un acteur dominant qui impose ses choix (et la concurrence ne s'en trouve que plus vive !).

Enfin, de manière très pragmatique,  un "opérateur THD"  ne peut servir un client que s'il a déployé entièrement l'immeuble concerné en fibre optique avec un investissement de départ très important : de l'ordre de 300 euros par foyer raccordable pour  Paris et sa région jusqu'à  plus de 1000 euros en zone rurale (et seulement une partie des occupants des foyers raccordables souscrivent à une offre fibre optique). N'oublions pas non plus que ce marché n'est pas encore tiré par de nouveaux usages.

En effet, les offres de services actuelles, associées aux infrastructures THD sont semblables aux offres ADSL et se distinguent uniquement par le débit proposé : actuellement, aucun fournisseur d'accès ne propose de services fonctionnant uniquement en très haut débit et même la TV haute définition, qui est le service le plus gourmand en bande passante, fonctionne en ADSL. Pourtant, avec l'augmentation du nombre d'ordinateurs et d'équipements connectés à Internet par foyer,  la technologie ADSL ne sera bientôt plus suffisante pour couvrir les besoins des ménages.

Des expérimentations concrètes sur la base d'un droit d'accès négocié

Pour sortir de cette impasse, les acteurs du domaine ont accepté de mener des discussions multilatérales, encadrées par l'ARCEP,  afin de réaliser des expérimentations en mutualisant leur infrastructure et de fait leurs investissements.  Les opérateurs abordent ainsi sur un pied d'égalité les problématiques techniques et économiques.

Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ? Sur la base d'un partage d'information sur leurs infrastructures déployées (ou en cours), les opérateurs peuvent négocier un droit d'accès. Emergent alors les rôles d'opérateur d'immeuble et d'opérateur tiers ou opérateur commercial d'immeuble.  Voyons plus en détails l'articulation de ces deux modèles ...

Dans le cas où l'immeuble a un syndic, l'opérateur d'immeuble négocie avec le syndic  afin d'obtenir son accord pour déployer la fibre optique. L'accord signé en syndic des copropriétaires,  l'opérateur  dispose de 6 mois pour déployer la fibre optique dans l'immeuble. S'il ne respecte pas ce délai, l'accord peut être remis en cause. Le principe de mutualisation est initié très en amont puisque l'opérateur d'immeuble  communique sur les informations d'avancement du déploiement de l'immeuble vers tous les opérateurs commerciaux. Ces derniers pourront à terme venir se connecter sur un point de mutualisation ; l'opérateur d'immeuble se chargeant  du précablage des parties communes de l'immeuble et de la pose de boitiers intermédiaires en gardant néanmoins la responsabilité de la relation avec le syndic et la propriété de la fibre déployée dans l'immeuble.

A noter que pour des raisons économiques à très court terme, le raccordement des logements n'est pas effectué lors du déploiement de l'immeuble mais unitairement suite à la souscription des clients.

Quel est alors le rôle et le positionnement d'un opérateur commercial ? Il analyse la pertinence des immeubles disponibles en fonction de critères de coût et de potentiel de conquête. Il sélectionne des bâtiments pour lesquels il participera aux frais de déploiement de l'opérateur d'immeuble (suivant une grille tarifaire établie au préalable). Avant de commercialiser son offre envers les consommateurs finaux, il raccorde son réseau jusqu'au point de mutualisation de l'immeuble. Il gère la relation commerciale avec le client et lui facture l'abonnement. Il est responsable du service fourni au client. Les opérateurs commerciaux se différencient par leur offre en termes d'abonnements et de services.

Où en sommes-nous actuellement ?

Deux expérimentations de mutualisation sont en cours correspondant à deux approches différentes. Dans l'expérimentation dite monofibre, demandée par Orange, un installateur pose une fibre chez le client lors du premier raccordement. Quand le client change d'opérateur commercial, un installateur  intervient sur site. Dans le second cas de figure appelé expérimentation multifibre poussée par Free, le client a un boîtier multiple et une fibre par opérateur commercial.

Ce modèle rend le premier raccordement d'un logement plus complexe mais n'implique pas d'intervention quand le client change d'opérateur commercial. Numéricâble et SFR sont restés quant à eux plus en retrait. Les opérateurs ont joué le jeu et expérimenté les différents modèles mais chacun est resté sur sa position et il n'est pas ressorti de consensus.

Et l'usage dans tout ca ?

Que conclure de toutes ces expérimentations ? A force de se concentrer sur les problèmes techniques, n'avons-nous pas oublié le plus important à savoir les clients et leur besoin ? A force de travailler sur le « comment », le marché n'est-il pas en train de passer à côté du "pourquoi" et du "quoi" ? Cette situation peut être comparée à celle de l'ADSL. Souvenons-nous : alors que plusieurs opérateurs proposaient déjà  une offre ADSL en 2002, le nombre de clients ADSL a réellement explosé quand Free a lancé une offre à un prix compétitif  accompagnée de nouveaux services comme la téléphonie en illimité et la télévision sur internet.

Les opérateurs auraient donc peut être tout intérêt à se rapprocher des fournisseurs de contenu ou bien des collectivités et autres Délégations de Service Public, incitées financièrement à investir dans ce domaine grâce au Plan de relance actuel du Gouvernement,  pour proposer de nouveaux usages tirant profit de ce débit, sans bien sûr, ralentir les projets en cours. Et si la pompe devait être amorcée, comptons également sur les opérateurs pour convertir quelques clients ADSL vers leurs offres THD.

La problématique n'est pas simple, certes, surtout en termes d'investissements mais un rééquilibrage vers moins de considérations techniques mais davantage de prise en compte de l'utilisation de ses nouveaux "tuyaux" permettrait, semble-t-il, d'enrichir le débat et les discussions pour, enfin, et rapidement identifier une vraie finalité, et donc un vrai retour sur investissement !