Le livre numérique : Quels enjeux, quels bénéfices ?

L’émergence du numérique dans le monde de la musique a révolutionné les modèles économiques et influencé les acteurs de l’industrie. Le marché de l’édition est-il voué au même avenir que l’industrie de la musique ?

Il existe certes un certain nombre de similitudes et le modèle Amazon (librairie/Kindle) peut aisément être comparé à celui d'Apple (itunes/ipod). Si le livre numérique est la copie du livre papier, alors la question du prix de vente se pose immédiatement : 9,99dollars imposé par Amazon ou un prix indexé sur celui du livre papier comme préconisé par de nombreux éditeurs ? De même, quel taux de TVA appliquer ?

Ces questions sont fondamentales pour les éditeurs car elles peuvent remettre en question la viabilité de leur modèle économique. Pourtant, elles nous empêchent de prendre du recul et de nous poser les vraies questions : Que doit être le livre numérique ? Quelle valeur ajoutée peut il apporter au lecteur et au consommateur final ? 



Du livre aux contenus
Il existe aujourd'hui de nombreux  supports de diffusion pour accéder à un contenu numérique. Les terminaux mobiles sont plébiscités par les jeunes. Les lecteurs ebook avec leur encre électronique offre un rapport au livre proche de celui du papier. Les consoles de jeu rentrent dans les foyers et proposent des contenus de plus en plus éducatifs. L'ensemble de ces supports ont un rôle à jouer et répondent à un usage spécifique.

L'enjeu est de proposer un contenu adapté à chaque support. Il s'agit de créer un univers (ou un eco-système) ou le "lecteur" consomme une information enrichie pour le support sur lequel elle est censée être consommée. A titre d'exemple, le livre électronique sur un lecteur ebook pourrait fournir des informations complémentaires sur l'auteur ou son oeuvre (interview, séquence video etc), sur le contexte dans lequel l'histoire se déroule (séquence historique, informations géographiques etc). D'autres contenus seront destinés à être consommés à la carte (article de jounaux ou de magazine, guides touristiques...). Il s'agit d'enrichir le contenu et de créer de nouveaux produits complémentaires des ouvrages papier pour être présent sur tous les supports.

Le livre numérique : plus social ?  
C'est une question qui peut surprendre. En quoi le livre numérique, par définition plus impersonnel et dématérialisé pourrait il être plus social ?

Tout d'abord, le modèle du web contributif (à l'image de Wikipedia) s'invite progressivement dans le monde de l'édition. De nombreuses initiatives ont déjà vu le jour dans la presse ou le magazine. Time Magazine, Le Monde ou Sud Ouest impliquent déjà des internautes identifiés pour leurs compétences ou connaissances et leur offrent des tribunes plus ou moins directes dans les éditions web ou papier. Cette tendance impactera également le monde du livre et les contributeurs du web seront amenés à jouer un rôle de plus en plus important dans le contenu éditorial ou dans les choix marketing des éditeurs.

Le numérique est également un moyen d'ouvrir le monde du livre aux personnes souffrantes d'un handicap. Certaines fonctionnalités, qui pourraient paraître comme anecdotiques, comme la possibilité d'augmenter la taille des polices sur le web ou sur un lecteur ebook, facilitent la lecture des personnes mal voyantes. L'intégration dans les chaînes de production d'ouvrages de caractères spécifiques qui visent à accentuer certains sons ou syllabes (par des couleurs différentes par exemple) est une fonctionnalité qui pourrait s'avérer importante pour faciliter la lecture aux dyslexiques.

De plus l'utilisation de l'audio en support du texte (par des technologies text 2 speech par exemple) ou l'ajout de séquences video ou audio sont également très utiles. La technologie le permet. Il suffirait d'intégrer les professionnels du handicap dans les étapes de conception du contenu pour concevoir des ouvrages adaptés.

Dans le domaine éducatif, le numérique offre de nombreuses possibilités. Il est possible d'intégrer dans les manuels éducatifs, des séquences video, des quizz, des exercices guidés... Travailler sur la complémentarité des supports (web, blogs, consoles, terminaux mobiles etc) permet de créer des environnements de découverte ou de travail qui ouvrent des nouvelles perspectives d'apprentissage. Dans un domaine connexe, le succès de la société Ankama qui capitalise sur son expérience du jeu en ligne pour se lancer dans l'édition de bandes dessinées et de contenus ludo-éducatif est particulièrement intéressant.

Les éditeurs face à de nombreux enjeux...
Garder le contrôle du lecteur final

L'enjeu pour les éditeurs est le contrôle de la relation avec le lecteur final. Le numérique permet de penser à de nouveaux modèles économiques liés à la publicité ou à la vente de contenus en mode push mais pour cela il faut contrôler le lecteur final et être capable de différencier son offre de celle des acteurs de l'Internet comme Google, Amazon ou Apple (ou demain Orange ou SFR). A ce jour, la plupart des transactions en ligne sont contrôlées par ces intermédiaires et peu d'informations sur le profil des acheteurs sont remontées auprès des éditeurs. Dans ce contexte, la présence de magasins physiques peut être un avantage si elle s'intègre dans une volonté de continuité de service vis-à-vis du client (disposer d'une présence sur le web, les mobiles, les lecteurs ebook etc).
 
Le numérique révolutionne non seulement la chaîne de valeur mais modifie également en profondeur le mode de fonctionnement des éditeurs. 

"Les editeurs doivent devenir des marketers et des architectes du contenu, non des metteurs en page" David Young CEO Hachette US

Mettre en place une stratégie éditoriale numérique nécessite de réfléchir aux contenus nécessaires pour être présents sur l'ensemble des supports. Cela change fortement l'approche des éditeurs car il s'agit de se focaliser sur le contenu et non plus sur le design.  C'est un changement complet d'état d'esprit et il faut évoluer du "print centric" vers le "content centric". Il ne s'agit plus uniquement de penser au contenu du livre papier mais également aux versions qui seront disponibles sur les nouveaux medias. Ainsi par exemple, il faudra penser aux séquences videos ou audio qui accompagneront le texte, sur les versions ebook, mobile ou interactives. Il faut alors gérer le processus de création de ces composants en parallèle des autres étapes éditoriales plus classiques.

Dans le même temps, la gestion des méta données sera de plus en plus critique pour les éditeurs. Un premier exemple concerne la gestion des droits numériques sur les différents contenus. L'un des freins au passage au numérique (et au lancement de programmes ebook)  est la non prise en compte de cet usage dans la négociation initiale des droits. Outre les autres meta données importantes dans la gestion du processus de ventes (territoires, dates de mise en vente par canal de distribution etc) il s'agit maintenant de créer des méta données sémantiques pour améliorer la diffusion des différents objets éditoriaux sur les multiples supports.

Le numérique apporte de nombreux avantages en terme de processus de production de contenu. L'apparition de versions électroniques de plus en plus tôt dans le processus éditorial permet de réduire les temps de cycle, d'améliorer les phases de relecture, d'intégrer des contributeurs extérieurs... mais surtout cela donne des outils marketings d'aide à la vente. Un exemple concret concerne la gestion des placards (galleys) utilisés par les commerciaux pour promouvoir des oeuvres auprès des libraires. Le remplacement des versions papier par une version ebook a apporté des réductions de coûts significatifs (impression, affranchissement), sans mentionner l'impact écologique positif indéniable. 

S'ils ne se réinventent pas, les éditeurs et les libraires risquent de perdre une partie de leur influence. Le lecteur lui sera le véritable gagnant...

L'apparition du numérique et la multiplication des supports de diffusion numériques peuvent être perçus comme une menace pour  l'ensemble des intermédiaires de la chaine de l'édition. Les Majors de la musique  ont initialement focalisé leurs efforts sur les verrous technologiques à appliquer au téléchargement légal plutôt que de chercher à développer de nouveaux produits à valeur ajoutée et de nouveaux modèles économiques. Les éditeurs devront réfléchir aux nouveaux contenus à créer et à la manière de contrôler leur distribution sur les nouveaux supports. Les acteurs du web ou de la téléphonie sont en embuscade...

A l'autre bout de la chaîne, le lecteur découvre de plus en plus d'ouvrages disponibles sur le web, leur téléphone ou sur leur lecteur ebook. Chacun peut déjà consommer le contenu de la manière qu'il souhaite. Différents modèles économiques existent déjà. Le financement par la publicité risque de modifier encore le paysage. Il y aura des offres pour tous les gouts, pour toutes les bourses. Reste à savoir les modèles et les supports que les lecteurs plébisciteront...