LOPPSI 2 – une loi censurée, sauf pour les atteintes au net

Analyse de la décision du Conseil Constitutionnel du 10 Mars 2011 sur la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, mieux connue comme LOPPSI 2.

La loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, mieux connue comme LOPPSI 2, a été promulguée mardi 14 mars 2011. 

Le Conseil Constitutionnel avait été saisi quelques semaines auparavant par 60 députés et 60 sénateurs demandant la censure de certains articles du projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite LOPPSI 2). Au final, ce n'est pas moins de 13 articles qui passent aux ciseaux des sages. Toutefois, cela ne suffira pas à consoler les internautes, qui ont vu le Conseil valider le principe d'un filtrage du net sans juge, et se désintéresser des autres dispositions relatives au numérique, notamment celle consacrant un délit d'usurpation d'identité en ligne.

La validation d'un dispositif de filtrage sans intervention judiciaire
Les juges de la constitutionnalité n'ont pas censuré l'article 4 de la proposition de loi relatif au filtrage des sites web considérés comme pédopornographiques. Dans le dispositif prévu, ce filtrage est décidé sans intervention de l'autorité judiciaire et opéré via les fournisseurs d'accès à Internet sur arrêté du ministère de l'Intérieur. Les parlementaires avaient dès lors dénoncé un recours à des « moyens manifestement inappropriés » en dépit d'un « but recherché légitime ».

D'une part, le système de blocage était considéré comme onéreux pour les finances publiques et les fournisseurs d'accès à Internet. Toutefois, le Conseil constitutionnel estime que le législateur « n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation », ni « méconnu l'exigence constitutionnelle du bon usage des deniers publics » car il a prévu un système de compensation des surcoûts résultant du filtrage engagés par les opérateurs.

D'autre part, après consultation de divers acteurs de l'Internet, les opposants au texte considéraient que les dispositifs de filtrage de sites pédopornographiques sont totalement inefficaces car le blocage est aisément contournable. A ces arguments, le Conseil constitutionnel rétorque qu'il « n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ». Dès lors, il « ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé ».

Et enfin, les plus vives critiques ont porté sur le choix de l'intervention d'une autorité administrative en lieu et place d'un juge indépendant. Or, le Conseil constitutionnel valide le dispositif qui, selon ses termes, « assure entre la sauvegarde de l'ordre public et la liberté de communication une conciliation qui n'est pas disproportionnée ». Les sages considèrent comme des garanties suffisantes la possibilité de contester la décision de l'autorité administrative (le cas échéant en référé) et le fait que ce pouvoir de filtrage soit limité à la poursuite d'un objectif bien défini (restreindre l'accès à des services de communication au public en ligne dans la mesure où ils diffusent des contenus pédopornographiques).

La position du Conseil est surprenante, notamment en ce qu'elle contredit sa propre jurisprudence dite Hadopi qui avait consacré la place centrale de l'autorité judiciaire lorsqu'est en jeu le contrôle de la liberté de communication sur Internet. Ici, les contenus bloqués sont unanimement considérés comme répréhensibles, toutefois le risque est de voir cette possibilité de filtrage étendue à d'autres secteurs. C'est ce que dénonce le collectif militant « La Quadrature du Net » qui a déjà fait savoir qu'en rendant cette décision, le Conseil constitutionnel a validé la « censure administrative du Net » au prétexte de la lutte contre la pédopornographie.

La validation du délit d'usurpation d'identité en ligne
Le Conseil constitutionnel n'a pas examiné l'article 2 de la LOPPSI qui crée un délit d'usurpation d'identité en ligne. Or, son adoption peut susciter des difficultés.

Actuellement, le délit d'usurpation d'identité est prévu par l'article L. 434-23 du Code pénal qui dispose : « Le fait de prendre le nom d'un tiers, dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende ». Or, cette incrimination est peu adaptée à la criminalité informatique, c'est pourquoi la consécration d'un délit d'usurpation d'identité sur Internet a été plusieurs fois proposée au Parlement. C'est désormais chose faite. L'article 2 de la proposition de loi dispose : « Le fait d'utiliser, de manière réitérée, sur un réseau de communication électronique l'identité d'un tiers ou des données qui lui sont personnelles, en vue de troubler la tranquillité de cette personne ou d'autrui, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. Est puni de la même peine le fait d'utiliser, sur un réseau de communication électronique, l'identité d'un tiers ou des données qui lui sont personnelles, en vue de porter atteinte à son honneur ou à sa considération » (nouvel article 226-4-1 du Code pénal). La difficulté réside dans le fait que ce délit d'usurpation d'identité en ligne ne réprime pas seulement l'usurpation d'identité mais de manière plus vaste, l'usage frauduleux de toute donnée à caractère personnel d'un tiers d'une manière qui trouble sa tranquillité ou porte atteinte à son honneur et à sa considération. Or, il s'agit de pratiques courantes sur Internet.

En effet, le fait de publier la photo d'une personne dans un article qui relate une rumeur fausse pourrait dès lors tomber sous le coup de ce texte qui prévoit une peine d'un an d'emprisonnement, plus lourde qu'en matière de diffamation. Ou encore, par exemple, le fait de créer sur un réseau social un compte satirique au nom d'une célébrité pourrait aussi justifier une telle condamnation, ainsi que le simple fait de poster la vidéo non élogieuse d'une personne. Les incertitudes quant aux hypothèses visées par cet article sont nombreuses et il peut être regrettable que le Conseil constitutionnel ne se soit pas prononcé sur ce point. En effet, n'ayant pas été saisi par les députés et sénateurs de cet article 2, et n'ayant pas décidé de s'en saisir lui-même, le Conseil autorise par abstention la promulgation de ce nouveau délit. 

Enfin, il est toutefois important de souligner que le Conseil a censuré l'article 53 du projet de loi par lequel le législateur voulait interdire, et sanctionner, la revente de billet, avec bénéfice, sur Internet sans accord de l'organisateur de l'événement. Cette mesure serait « fondée sur un critère manifestement inapproprié à l'objectif poursuivi d'éviter la présence de certains supporters lors de compétitions sportives. Dès lors elle méconnaissait le principe de nécessité des délits et des peines» tranche le Conseil constitutionnel. Bien que leur réaction était attendue ailleurs, il semblerait que les Sages n'ont pas totalement fait l'impasse sur les droits des internautes.