Au village global, sans prétention, j’ai mauvaise e-réputation

Le temps de la justice n’étant pas celui de l’internet, l’action judiciaire peut s’avérer inefficace, voire contre-productive. Elle ne peut remplacer une communication bien ciblée.

Il en est de l'e-réputation comme de la réputation : il faut des années pour en bâtir une bonne et quelques secondes pour s'en faire une mauvaise. Du village de Brassens au village global, quelques paramètres ont changé : le nombre d'habitants concernés, la vitesse de propagation de la rumeur et la persistance de celle-ci dans les mémoires des serveurs ! C'est pour ces raisons que la mauvaise e-réputation semble plus à craindre que sa devancière. Comment, dès lors, pour une entreprise, agir ou réagir face à une atteinte à son e-réputation ?

Occuper le terrain et le surveiller
Pour éviter de voir sa réputation mise à mal sur la toile, la meilleure des précautions à prendre est d'en avoir une bonne auparavant(1). L'entreprise qui s'est déjà construit une bonne image sur la toile laissera moins d'espace aux rumeurs destructrices que celle qui a négligé ce média. Autrement dit, il est plus facile de défendre contre des envahisseurs une ville fortifiée qu'une steppe désertique.

Pour savoir ce qui s'écrit sur la toile à votre sujet, il convient d'utiliser les outils de veille (Google par exemple), de visiter régulièrement les sites communautaires (Wikipédia notamment), de s'intéresser aux forums spécialisés dans son domaine d'activité (Tripadvisor pour les hôteliers) ou encore d'investir les réseaux sociaux (Facebook, Linkedin, Twitter). Si les enjeux le justifient, il est possible de faire appel à des sociétés spécialisées qui mettront à votre disposition les outils les plus performants.

Ne pas confondre la fin et les moyens
Lorsque l'atteinte à l'e-réputation survient, l'entreprise a tendance à vouloir réagir vite en mettant en oeuvre les moyens judiciaires qui la feront disparaître. Mais ceux-ci seront parfois inefficaces ou contre-productifs.

Les moyens judiciaires pourront s'avérer inutiles car le temps de la justice n'est pas le temps de l'Internet : avant que certaines  décisions judiciaires ne deviennent définitives, le mal aura été fait depuis longtemps. De plus, la source n'est souvent pas identifiable. Enfin, ils pourront se révéler inefficaces dans la mesure où il n'appartient pas au juge de brider la liberté d'expression mais seulement ses abus (injure, diffamation notamment). Le recours à la justice pourra aussi s'avérer contre-productif car la réaction judiciaire peut alimenter le bad-buzz : "la puissante entreprise veut faire taire la vox populi". Même favorable, la décision judiciaire pourra être source d'un regain d'opinions défavorables : "l'entreprise n'a pas obtenu tout ce qu'elle demandait = elle a perdu son procès". Enfin, toute action judiciaire présentant un aléa, on s'expose toujours à un échec de sa demande, parfois pour de simples raison de procédure. Un tel échec aura inévitablement des conséquences désastreuses en termes de communication.

En somme, il ne faut surtout pas confondre l'action judiciaire qui est un moyen avec le rétablissement de sa réputation qui en est la fin. Cette dernière ne s'obtient pas dans les prétoires mais par la mise en place d'une communication appropriée voire d'une contre-communication ciblée.

Si l'action judiciaire se prépare dès que l'on a connaissance de l'atteinte en réunissant tous les moyens de la prouver et de déterminer son origine (constats d'huissier et mesures d'instruction qui s'appuieront, si besoin est, sur les dispositions de la loi pour la confiance dans l'économie numérique pour identifier les auteurs de l'atteinte), elle ne se déclenche donc qu'après une réflexion sur son utilité pour atteindre l'objectif de rétablir sa réputation.

Opter pour une action judiciaire graduée et appropriée
Si l'on estime malgré tout que cette action judiciaire est nécessaire pour permettre de rétablir sa réputation, il faudra alors choisir la voie la plus appropriée en prenant tous les paramètres en considération. Tout comme les éléments juridiques (qualification pénale, préjudices subis, mesures de réparation) et techniques (support de diffusion, moyens de preuve, d'identification, possibilités d'obtenir l'effacement des caches), le contexte médiatique devra être analysé. Il conviendra d'être vigilant aux moyens de communiquer sur les résultats judiciaires obtenus : mieux vaudra préférer les actions simples et rapides telles que les référés ou ordonnances sur requête aux longues actions au fond. Une petite victoire complète vaut mieux qu'une grande victoire à la Pyrrhus.

(1) En ce sens, se référer au livre d'Edouard Fillias et d'Alexandre Villeneuve : E-réputation : Stratégies d'influence sur Internet aux éditions Ellipses.