L'e-commerce ne saurait-il pas recruter les managers ?

Les entreprises de l’e-commerce atteignent aujourd’hui leur taille critique et cherchent à stabiliser leurs organisations. Elles renforcent leur management par la création de strates "middle" et "top", annonciatrices d’effets vertueux… ou pas !

Il était une fois le e-commerce... Il était une fois l'emploi dans l'e-commerce. 

Et un jour  les entreprises du e-commerce furent assez grandes pour muscler leur management, qu'il soit « Middle » ou « Top ». L'encadrement intermédiaire et dirigeant d'une entreprise en forte croissance est comme un tuteur qui permet à une plante de grandir sans se tordre : droit vers le ciel ! 

 

Le pourquoi recruter précède le comment !

 

Le titre de notre tribune suggère que les entreprises du e-Commerce  ne savent pas recruter leurs managers. Procès d'intention ? Sans doute.  Mais étudions tout d'abord le moment et le déclencheur d'un recrutement de manager.

 

Le « pourquoi recruter » correspond à un besoin organisationnel tout autant qu'à une anticipation d'une croissance.

Le directeur général d'une entreprise du e-commerce, start-up en pleine croissance,  envisage le recrutement de managers lorsqu'il « sent » que c'est nécessaire.

 

Il s'y résout beaucoup plus qu'il ne le souhaite. On le lui conseille. Peut-être craint-il une perte de contrôle ? Sans-doute, sait-il qu'il devra sacrifier ou rétrograder certains de ses fidèles de la première heure pour faire une place à de nouveaux managers. La décision relève donc autant de l'économique (« c'est nécessaire ») que du psychologique (« ça fait mal »), ou du financier (« ça coûte cher ») : un moteur et deux freins ! Le déclencheur est souvent le constat d'un nombre de rattachement hiérarchique trop élevé.

 

J'ai vécu et (à ma place) participé à la croissance de beaucoup d'entreprises du e-commerce. Les étapes sont le plus souvent  au nombre de 3 :

 

* Phase 1: la croissance précède l'organisation.

 

Pendant cette phase (de quelques mois à quelques années), la croissance est si forte que le dirigeant mobilise avant tout l'équipe des fondateurs.

 

* Phase 2 : l'organisation ne supporte plus la croissance.

 

Les dysfonctionnements apparaissent ; ils sont  liés aux lacunes de l'organisation (souvent mal définie), aux affectations (ceux qui occupent les postes de managers n'y sont pas préparés...y compris quelquefois le DG)  tandis que la charge de travail devient très forte. Ils peuvent à terme menacer la croissance de l'entreprise.

 

* Phase 3 : le manager revoit l'organisation et décide de recruter.

 

 Le manager doit donc recruter.  Sait-il recruter ?

 

Nous avons vu tant d'entreprises échouer dans leur « premier » recrutement de managers ou de collaborateurs non fondateurs que nous en avons tiré quelques enseignements généraux ou plus spécifiques aux postes à pourvoir.

 

Ce qui manque au dirigeant d'une entreprise du e-commerce comme à tout patron d'une jeune entreprise,  ce sont  tout d'abord  3 éléments :

 

- De la conviction : on l'a vu le patron d'une start-up recrute souvent sous la contrainte plutôt que par sa volonté propre. Il cède parfois à la pression des investisseurs. Mais est-il prêt à déléguer une partie de ses prérogatives ?

 

Du temps : il manque à tout dirigeant d'entreprise, a fortiori de petite entreprise en croissance.

 

De la clairvoyance : il est difficile de recruter pour soi même, plus difficile encore de recruter pour sa propre entreprise. Plus encore quand on ne sait pas ce que l'on veut et que l'on doute encore de l'opportunité de recruter. La clairvoyance passe au moins par la formalisation d'une organisation et la rédaction d'une job desk, avec l'aide d'un conseil interne ou externe.

 

Les autres critères de réussite sont liés au type de poste à pourvoir et au  stade de développement de l'entreprise.

 

Prenons deux cas de figure :

 

-    La création d'une grande fonction opérationnelle : Il est un moment où les fondateurs d'une entreprise doivent, soit laisser leur place, soit déléguer un certain nombre de fonctions à un cadre recruté à l'extérieur. Il s'agit souvent d'un moment difficile et la « greffe » ne prend pas toujours. Dailymotion s'y est pris à plusieurs reprises pour recruter son PDG, après le départ  de Benjamin Bejbaum. A l'inverse, Musiwave a réussi un coup de maitre en  recrutant son premier directeur marketing (Albin Serviant) en 2003 : l'entreprise accompagne ainsi sa mutation vers le B to C et donne de la valeur à une entreprise en pleine croissance.

       La réussite dépend au premier chef de la capacité du recruté à se « fondre » dans l'entreprise, à comprendre ses valeurs, à appréhender le rythme de sa croissance (attention, il ne s'agit pas d'entreprise du e-commerce, les exemples notamment d'échecs ne sont pas faciles à citer...).

 

-     La création d'une fonction support au sein d'un grand acteur du e-commerce : l'embauche d'un DAF ou d'un DRH marque une étape structurante dans la vie d'une entreprise de l'Internet. Le recrutement d'un DAF intervient assez tôt lorsque le capital est détenu par plusieurs investisseurs. Celle d'un véritable DRH intervient plus tard quand l'entreprise emploie 200 à 300 personnes. Il s'agit d'une étape structurante pour une entreprise car elle correspond à la fin de l'ère start-up et à l'entrée dans un monde plus normé et plus structuré. Notons que certaines entreprises ont tardé avant de prendre cette décision. Ainsi Priceminister s'est développé pendant de nombreuses années (et jusqu'à son rachat) sans DRH. Pierre Kosciusko Morizet exerce, en tant que PDG, cette fonction et l'assume avec talent.

 

Dans beaucoup d'entreprises, les décisions de recrutement d'un manager (opérationnel ou support) interviennent tardivement et elles sont exécutées dans une certaine improvisation : manque de temps, difficulté pour déléguer, crainte de déstabiliser les équipes en place, manque d'expertise pour juger un cadre dédié à  un autre métier ... Toutes ces raisons se combinent pour expliquer une mue difficile mais nécessaire.


 

Le recrutement d'un manager est une greffe. Pour qu'elle soit réussie, il faut à la fois recruter quelqu'un qui vous ressemble (qui a les mêmes valeurs) et qui apporte quelque chose (une ou plusieurs compétences supplémentaires).


C'est donc un travail d'introspection (Est-ce que je veux ?) et de remise en cause (Qu'est-ce que je ne sais pas faire ? Qu'est-ce que je dois déléguer ?) qui attend le PDG d'une entreprise. D'autant que le recrutement d'un manager présente un coût et un retour sur investissement beaucoup plus élevé que celui d'un junior !