La Tunisie doit inventer l'Assemblée constituante open source

Le succès des élections de l’Assemblée constituante du 23 octobre 2011 en Tunisie a soufflé un vent d’optimisme sur toute la région. Ces nouveaux élus sont chargés de rédiger en un an une nouvelle Constitution pour définir l’architecture institutionnelle d'une République 2.0.

La forte participation aux élections du 23 octobre 2011 a montré la maturité des Tunisiens et leur volonté de défendre la liberté d’expression et de choix  acquise le 14 janvier 2011.
Le Tunisien a soif de liberté et veut user de tous les moyens à sa dispositions pour faire entendre pacifiquement sa voix.

L’Assemblée constituante se doit, alors, d’innover, et sortir des sentiers battus. Mais sa tâche reste extrêmement compliquée. Pour s’en convaincre, il suffirait de parcourir les commentaires indécents émis par certains Facebookiens planqués passivement derrière des écrans plasmas derniers cris, et qui « jugeaient » le choix d’une partie du peuple parce qu’il ne correspond pas à ce qu’il attendait.
Ces critiques, constructives ou non,  risquent de s’amplifier si l’Assemblée du 23 octobre ne parvient pas à promouvoir l’adhésion du peuple à ses travaux, dans un esprit d’inclusion.

Effet tunnel et risque sérieux de distance entre l’Assemblée et le peuple

L’Assemblée constituante, composée de 217 élus, ne peu siéger qu’à un seul endroit, ça sera probablement à Tunis, la capitale. Est-ce qu’elle travaillera en vase clos ?  Ou bien va-t-elle s’ouvrir sur le peuple ? Comment va-t-elle communiquer sur l’avancement de ses travaux ? Comment va-t-elle recueillir les aspirations de ceux qui ont fait la révolution, les militants de Redeyef, de Gafsa, de Jendouba, de Kasserine, les syndicalistes, les chômeurs, les ouvriers, les enseignants, les jeunes, les membres des associations … les vrais militants des révoltes du bassin minier en 2008 et du Nord-Ouest en 2010 ? Comment va-t-elle tenir compte des idées de la diaspora tunisienne qui représente 10% de la population ?
Pour garantir une adhésion totale à ses livrables, l’assemblée constituante doit saisir le « sens magique » du moment historique que vit la Tunisie pour matérialiser la volonté du peuple de rompre avec les pratiques du passé et amorcer un vrai changement de méthode.

Mettre en place une gouvernance « open source » 

La communauté open source a réussi à inventer, à l’échelle mondiale, un mode de gouvernance optimale qui a démontré son efficacité et sa pertinence dans des projets où trop d’égos (super informaticiens, architectes technique, architectes fonctionnelle, développeurs de génie et utilisateurs de partout dans le monde) collaborent ensemble pour créer de la valeur matérialisée dans une œuvre commune.
La structure de la « mosaïque tunisienne » obtenue dans l’Assemblée du 23 octobre est semblable à la composition d’un projet open source classique: aucun courant de pensé n’est majoritaire, quelques leaders, des dizaines d’observateurs impatients, des milliers de contributeurs potentiels, et  plusieurs sujets à choix multiples, ….

Dans le jargon open source, le « noyau dur » des contributeurs sera fourni par les 217 élus de l’Assemblée, qui doivent s’entourer, dans plusieurs cercles concentriques, de contributeurs actifs et de « lecteurs avertis» disséminés partout en Tunisie et dans le monde. L’Assemblée pourra ainsi exposer les vraies discussions constitutionnelles, exploiter la « Sagesse des foules » et préparer activement l’adhésion collective à ses livrables.
Ceci nécessiterait une « gestion de projet » et une » maitrise d’ouvrage » à la hauteur des enjeux. En s’inspirant de l’ingénierie logicielle, l’Assemblée du 23 octobre pourrait utiliser une méthode agile et travailler itérativement en mettant le peuple (son unique Client) au centre de ses préoccupations.
Le livrable (La Constitution) pourrait être proposé sous une licence open source (creatives Commons par exemple) aux autres pays arabes.

Théorie, délire ou vraie opportunité

A ce stade, il faut préciser que cette idée, dite de crowdsourcing,  n’est ni nouvelle ni utopique, l’Islande a déjà mis en place, au milieu de cette année 2011, un processus similaire pour la rédaction de sa Constitution. Les causes sont les mêmes, en Tunisie l’ancienne Constitution de 1959 a été «défigurée »  par un dictateur sanguinaire, en Islande la Constitution de 1944 n’a pas permit de réguler la dictature du marché financier, qui a menacé de faillite l’Etat lors de la crise de 2008.
Du coté de la technologie, il suffit d’adapter, à l'aide des excellents ingénieurs tunisiens, l’un des plusieurs outils collaboratifs, disponibles en mode open source (il suffit de visiter le site de
Metagovernment http://www.metagovernment.org qui  liste certains de ses outils, dont le projet virtualparliament http://www.virtualparliament.org.uk/policy/ ).

Ne pas oublier l’existence d’une fracture numérique entre les régions

A ce stade on va opposer à cette idée l’argument suivant : la fracture économique régionale, une des causes profondes du soulèvement du peuple, est aussi accompagnée d’une fracture numérique qui risque d’empêcher le peuple de contribuer efficacement à cette e-Constitution.
Il faut préciser que « isolée» cette mesure n’a pas de sens, elle doit s’accompagner d’autres mesures concrètes, amorçant un changement dans la structure de l'économie en général et de l’économie numérique en particulier.
Citons par exemple une des idées lancées par ADS (l’association Action et Développement Solidaire, fondée par Radhi Meddeb) qui propose que l'Etat crée 10.000 emplois de jeunes diplômés qui iront former toute la population au web et à l'informatique. L’un des exercices d’application dans cette formation pourrait être « comment surveiller les travaux de l’Assemblée Constituante et proposer mes idées à travers le web ?»

En conclusion, Il est temps pour la Tunisie de rompre définitivement avec l’ancien régime en adoptant une démarche volontariste d’ouverture et de transparence et de bâtir les fondements du gouvernement 2.0.