Les Licences Creative Commons, de quoi parle-t-on ?
En opérant à titre gratuit une cession par l’auteur de ses droits au profit de tout utilisateur de l’œuvre mise à disposition sous cette licence, les licences Creative Commons veulent offrir un cadre légal aux usages de libre partage des contenus nés de la révolution Internet.
Les licences Creative Commons sont nées des licences de logiciels libres (GPL) imaginées par Richard Stallman, chercheur au MIT de Boston.
Les licences Creative Commons, ont à la suite des licences de logiciel libre, connus un succès important sur le web au vu des nombreuses critiques émises par les internautes à l’égard des droits de propriété intellectuelle jugés trop exclusifs, trop nombreux, trop lourds à gérer dans l’univers numérique. Il faut bien reconnaître que l'effectivité de nos systèmes juridiques est mise à rude épreuve par la facilité de reproduction des œuvres sur Internet, face à la multitude des procédures d’échange, de partage, de transfert de données et de documents. Qu’apportent ces licences par rapport aux relations contractuelles classiques et quelle est leur articulation avec le droit de la propriété intellectuelle ?
Le mécanisme
Les licences Creative Commons veulent prendre acte
de cette facilité d’échange en proposant un outil juridique simplifié qui
garantit à la fois, une circulation libre et gratuite des œuvres sur internet,
mais aussi la protection des droits d’auteur. La caractéristique fondamentale
de ces licences repose sur leur aspect modulaire. Le travail de vulgarisation et
de simplification, notamment par l’usage de pictogrammes, les rendent
accessibles par l’ensemble des utilisateurs, qui, sous réserve de respecter les
conditions d’exploitation de l’œuvre, pourront l’échanger, la dupliquer,
l’altérer, voire l’exploiter commercialement. Ces licences, permettent aisément
de partager des œuvres pour les créateurs, et de les utiliser sans avoir à
contacter le créateur au préalable pour demander son autorisation.
Tout type d’œuvre, à condition d’être originale,
peut être concernée. Les auteurs choisissent, parmi différents contrats-types
proposés par la Fondation Creative Commons, les plus adaptés à leur volonté de
diffusion de leur œuvre. Les licences Creative Commons définissent les faits et
les conditions dans lesquelles l’utilisation gratuite de l’œuvre est autorisée.
En France, l’auteur dispose d’un choix entre six licences :
- Licence «
paternité »
- Licence «
paternité – pas de modification »
- Licence «
paternité - pas d’utilisation commerciale - pas de modification »
- Licence «
paternité – pas d’utilisation commerciale »
- Licence «
paternité – pas d’utilisation commerciale – partage des conditions à
l’identique »
- Licence «
paternité – partage des conditions à l’identique »
L’auteur peut ainsi consentir à la duplication de
l’œuvre avec altération ou à l’identique ou au contraire interdire toute
modification. Il peut également autoriser une utilisation commerciale ou au
contraire la proscrire, permettre la diffusion aux mêmes conditions, ces
différentes options étant combinables sous réserve de toujours citer le nom de
l’auteur.
Creative
Commons et droit d’auteur
Le régime instauré par les licences Creative Commons
ne peut pas faire abstraction du droit de la propriété intellectuelle français.
Or le principe même de ces licences procède d’un paradoxe et constituent un
bouleversement pour le droit d’auteur français. En effet, alors que le droit
d’auteur est un droit exclusif que le titulaire oppose à tous et monnaye, les
licences tendent à utiliser le droit d’auteur pour favoriser le partage et
l’échange et aboutir ainsi à une libre circulation de l’oeuvre.
Ce renversement procède d'une « restructuration » du
droit d'auteur et pose quelques difficultés au regard de la licéité de ces
licences.
En premier lieu, le terme « licence » n’est pas reconnu par
le Code de la Propriété Intellectuelle. Le seul mécanisme contractuel connu en
propriété littéraire et artistique est la cession (L. 122-7, L. 131-3 du CPI).
Celle-ci est paramétrée en termes de durée et d’espace, contrairement aux
licences libres dont la plupart sont caractérisées par l’absence de durée et
dont l’objet du contrat va plus loin que ce que permet la loi puisqu’il
transmet une autorisation d’exploitation à titre non exclusif, avec la
possibilité de modifier l’œuvre et de la redistribuer.
L’œuvre de l’auteur soumise aux licences Creative
Commons reste régie par le Code de la Propriété Intellectuelle. Le droit moral,
droit inaliénable d’ordre public auquel l’auteur ne peut renoncer, continuera à
s’imposer aux utilisateurs de l’œuvre. Il en ressort qu’un contrat imposant à
l’auteur de renoncer définitivement à son droit à la paternité serait nul.
Aussi, depuis la deuxième version 2.0 des licences Creative Commons,
« l’exigence de paternité » est devenue une condition inamovible des
licences Creative Commons, conformément au droit d’auteur français.
De plus, le droit français ne reconnait pas la
cession générale de droits, ou la notion « libre de droits ». Par
conséquent, les contrats qui prévoient
une cession de droits pour tous les modes d'exploitation, tous les supports, ad
vitam aeternam et pour le monde entier, sont jugés abusifs et encourent la
nullité. La raison étant qu’ils ne définissent pas clairement l’étendue de la
cession des droits d’auteur telle que prescrite par l’article L 131-3 du Code
de la Propriété Intellectuelle.
Cette question illustre bien les difficultés qui ont
été posées par la transposition de ces licences à la législation française en
vigueur, notamment au regard des droits moraux.
Toutefois, les licences Creative Commons tentent
bien de se conformer au formalisme des contrats de cession de droits de
propriété littéraire et artistique tel que instauré par l’article 131-3 du CPI.
Ainsi doivent-elles mentionner chaque droit cédé (à savoir si la cession
concerne un droit de représentation, reproduction ou de traduction) et en limiter l’étendue, la
destination, le lieu et la durée de l’exploitation (celle-ci doit être
obligatoirement déterminée et limitée dans le temps). La protection de l’œuvre
par la licence Creative Commons et sa durée d’exploitation répondent ainsi
fidèlement au Code de la propriété intellectuelle. L’étendue, au monde entier,
est aussi identifiée et calquée sur le droit français.
En outre, concernant la cession à titre gratuit,
l’article L 122-7 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que « le droit
de représentation et le droit de reproduction sont cessibles à titre gratuit ou
à titre onéreux» et l’article 122-7-1 spécifie que « l'auteur est libre de mettre
ses œuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des
éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des
conventions qu'il a conclues ». Ces dispositions ont été spécifiquement insérées
dans notre législation pour prendre en compte les licences du
« libre ».
Néanmoins, dans le même temps la jurisprudence
condamne des contrats ne prévoyant pas de rémunération sérieuse pour les
auteurs sur le fondement de l’article L.131-4 du Code de la propriété intellectuelle.
Toutefois, la doctrine et la jurisprudence admettent la légalité dans le cadre
de l’article L.122-7 lorsque la mise à disposition gratuite et volontaire de l’œuvre par l’auteur intervient
en contrepartie d’une publicité recherchée du fait de la diffusion ainsi accrue
de l’œuvre. Il est enfin peut probable que les juges considèrent licite une cession
à titre gratuit par le biais de licences prévoyant une exploitation commerciale
de l’œuvre.
Mais le principal conflit entre droit d’auteur et
licences Creative Commons, réside dans les principes du droit moral. Celui-ci,
d’ordre public, est inaliénable, imprescriptible et insaisissable, plaçant
l’auteur dans l’impossibilité d’y renoncer. A cet égard, la question de la
validité des licences, dont l’intérêt majeur est d’autoriser les modifications
de l’œuvre, est mise en exergue.
Elle se pose en premier lieu au regard du droit au
respect de l’œuvre consacré par l’article L212-1 du Code de la Propriété
Intellectuelle, grâce auquel l'auteur peut s'opposer à toute modification
susceptible de dénaturer son œuvre. Dans un contexte tel qu’établi par ces
licences libres, comment l’auteur peut-il évaluer la modification portée à son
œuvre et à quel moment peut-il décider qu’elle porte atteinte au droit au
respect de son œuvre? Une tentative de réponse risque néanmoins d’être vaine
car le droit au respect de l'œuvre peut constituer un obstacle à une telle
autorisation.
Le principe de l’inaliénabilité du droit au respect de l’œuvre,
principe d’ordre public, a été rappelé par la Cour de cassation selon laquelle
il « s'oppose à ce que l'auteur abandonne au cessionnaire, de façon
préalable et générale, l'appréciation exclusive des utilisation, diffusion,
adaptation, retrait, adjonction et changement auxquels il plairait à ce dernier
de procéder ». Ainsi, seules sont valides les ratifications, c'est-à-dire les
approbations, les renonciations données en pleine connaissance de cause, à
posteriori. Il est logique de ne pouvoir concevoir que l'auteur accepte à
priori des modifications de son œuvre que, par définition, il ne connaît pas
encore. L'obstacle du droit au respect concernant les œuvres soumises au droit
commun du droit d'auteur risque donc de remettre en cause la légitimité des
Licences Creative Commons. Toutefois, le fait pour l’auteur d’autoriser à
l’avance des modifications n’équivaut pas à un renoncement au droit au respect
de l’œuvre puisque, dans l’hypothèse où la modification aliènerait ou
dénaturerait l’oeuvre originale, un recours fondé sur le droit au respect en
cas de préjudice reste toujours possible.
En conclusion, malgré les efforts réalisés par les rédacteurs des licences Créative Commons, d’une part et par le législateur français d’autre part, les problèmes de compatibilité demeurent sur les licences Creative Commons prévoyant les possibilités de modifier l’œuvre ou de l’utiliser commercialement. Si les licences Creative Commons sont un outil efficace pour encadrer le partage gratuit des œuvres, toute exploitation commerciale ne pourra faire l’économie d'utiliser des contrats de cession classiques.