eBay n'est pas un prestataire d'hébergement !
eBay est depuis plusieurs années au cœur d'un feuilleton judiciaire dont l'enjeu est considérable pour cette place de marché. La question ? Savoir si eBay est, ou non, responsable au titre des ventes de produits contrefaisants qui se déroulent quotidiennement sur son site.
eBay s'est toujours présentée comme un
courtier, un pur intermédiaire technique devant bénéficier des dispositions de
la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 relative aux
prestataires d'hébergement. Ces derniers sont soumis à un régime de
responsabilité allégée très recherché. En effet, les hébergeurs ne sont pas
tenus de surveiller les contenus qu'ils hébergent et ne sont responsables en
cas de contenus illicite que s'ils ont été informés préalablement de leur
existence et qu'ils n'ont pas mis en œuvre les moyens pour les supprimer dans
les meilleurs délais.
eBay soutient depuis toujours que ce sont les internautes
qui mettent en vente les produits contrefaisants sur son site qui engagent leur
responsabilité vis-à-vis des ayants droit.
Or les tribunaux, après avoir longtemps hésité et rendu
des décisions favorables tantôt à eBay, tantôt aux titulaires de droits de propriété
intellectuelle, semblent décider désormais, dans un élan majoritaire, que la
société créée par Pierre Omidyar n'est pas un prestataire technique comme les
autres. Bien plus, son rôle n'est pas purement passif, mais actif et, à ce
titre, elle doit mettre en place des outils permettant de limiter les cas de
ventes de produits contrefaisants.
Cette solution vient d'être confirmée par la
Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui a rendu le 3 mai 2012 trois
arrêts riches d'enseignements, au-delà de la seule question de la qualification
d'hébergeur ou d'éditeur. L'arrêt qui nous intéresse le plus ici a été rendu
dans une procédure opposant eBay à la société Christian Dior Couture.
Cette dernière se plaignait de la vente sur les
sites ebay.fr (français) et ebay.co.uk (anglais) de produits revêtus
illicitement de la marque "Christian Dior", confectionnés non par le
couturier français mais par des contrefacteurs. Christian Dior Couture avait
assigné à la fois la société américaine eBay Inc. et la société suisse eBay
International AG devant le juge français aux fins de voir engager leur
responsabilité.
En appel, les sociétés eBay, qui avaient soulevé
l'incompétence des juridictions françaises et avaient échoué dans leur
argumentation, furent condamnées à payer de lourds dommages et intérêts à
Christian Dior Couture, au motif qu'elles avaient manqué à leur obligation de
surveillance des transactions réalisées sur leur site, pour s'assurer qu'elles
ne généraient pas d'actes illicites.
Devant la Cour de cassation, les moyens présentés
par les sociétés eBay étaient doubles.
D'une part, elles soutenaient que le
juge français n'était pas compétent pour trancher les litiges relatifs à des
transactions réalisées sur le site britannique ebay.co.uk. La Cour de cassation
a toutefois rejeté le pourvoi sur ce point, en retenant que, d'après les
constats produits, le site ebay.fr avait incité à plusieurs reprises les
internautes français à élargir leurs recherches et à profiter d'opérations
commerciales sur la version britannique. La Cour de cassation a approuvé la
cour d'appel d'avoir "fait
ressortir, sans méconnaître les termes du litige, que le site ebay.uk [sic]
s'adressait directement aux internautes français". Le juge français
était donc bien compétent pour se prononcer sur les demandes de Christian Dior
Couture.
D'autre part, les sociétés eBay invoquaient la
qualité d'hébergeur et demandaient à la Cour de cassation de dire qu'elles
n'étaient pas responsables des transactions réalisées sur leur place de marché.
Las, la Cour de cassation a repris quasiment in extenso un argument retenu par la Cour de Justice de l'Union
européenne dans un arrêt du 12 juillet 2011 opposant L'Oréal à… eBay, selon
lequel cette dernière avait joué un "rôle
actif de nature à lui conférer la connaissance ou le contrôle des données
relatives aux offres" présentes sur son site. En quoi eBay avait-elle
un rôle actif en l'espèce ? Selon la Cour de cassation, ce rôle résulte des
conseils et informations proposés aux vendeurs pour optimiser leur vente, des
messages spontanés adressés aux acheteurs pour les inciter à acquérir des
objets, de même que du fait de présenter d'autres offres correspondant à des
produits similaires en cas d'enchère perdue.
Il est intéressant de noter la sévérité de la
jurisprudence à l'égard d'eBay, alors qu'elle est particulièrement clémente à
l'égard de Google, en particulier s'agissant de son service AdWords, alors que
le critère du rôle actif est le même dans les deux cas.
Pour eBay, la lutte
contre la vente d'objets contrefaisants doit (réellement) débuter…