La Cour de Justice de l'Union européenne valide les licences de logiciel d'occasion

Le marché des biens d'occasion connaît un fort succès avec le développement des sites de vente d'objets entre particuliers, qui portent généralement sur des biens matériels mais aussi immatériels, tel les logiciels, qui peuvent être stockés sur support physique ou non.

Il est effectivement assez aisé de trouver des logiciels d'occasion, vendus dans des échoppes ayant pignon sur rue ou sur des sites Internet qui revendent des clefs d'installation déjà utilisées. Vous pouvez ainsi vous procurer des systèmes d'exploitation, des programmes de retouches photographiques ou tout autre logiciel, à des prix moins élevés que celui du neuf.
Or, juridiquement, cette "vente" soulève une difficulté de taille, puisque celui qui a "acheté" le logiciel n'en est pas propriétaire : il n'en est que licencié. Il ne bénéficie que d'un simple droit d'usage. Les éditeurs de logiciels considèrent à cet égard que ce droit ne peut pas lui-même faire l'objet d'une cession ultérieure à des tiers.
La revente de logiciels d'occasion a donné lieu à des arrêts qui ont considéré qu'elle était illicite. Par exemple, un arrêt de la Cour d'appel de Douai du 26 janvier 2009 a considéré que Microsoft pouvait valablement s'opposer à ce que des licences de son logiciel Windows soient revendues par un professionnel qui achetait d'anciens matériels et réinstallait le logiciel vendu avec ces derniers sur d'autres ordinateurs.
Cette solution avait été critiquée, d'aucuns estimant qu'une fois le logiciel mis licitement sur le marché au sein de l'Union européenne, Microsoft se heurtait au principe dit de l'"épuisement des droits" énoncé à l'article L. 122-6-3 du Code de la propriété intellectuelle, qui l'empêcherait de s'opposer à des reventes ultérieures.
Cette solution libérale vient d'être confirmée par la Cour de Justice de l'Union européenne, dans un arrêt du 3 juillet 2012 concernant une affaire opposant Oracle à un revendeur de licences d'occasion. En l'occurrence, la licence de logiciel proposée par Oracle prévoyait expressément que l'utilisateur ne bénéficiait que d'un simple droit d'utilisation, limité à l'installation du logiciel sur 25 postes au maximum, assorti d'une interdiction expresse de céder le logiciel à des tiers.
En Allemagne, une société spécialisée dans la vente de licences de logiciels rachetées auprès de clients d'Oracle avait dû faire face à une action judiciaire engagée par l'éditeur. Ce dernier lui reprochait de vendre des clefs d'installation d'occasion sur son site, permettant ensuite aux clients de télécharger le logiciel à partir du site Internet d'Oracle en utilisant ces clefs de seconde main.
Saisie sur un recours préjudiciel, la plus haute instance juridictionnelle communautaire a jugé que cette pratique était licite, précisément en raison du principe d'épuisement du droit de distribution.  En synthèse, le titulaire des droits d'auteur sur le logiciel ne peut pas s'opposer à la revente de logiciels qui ont été vendus initialement avec l'autorisation de l'éditeur. La vente de la copie du logiciel entraîne l'épuisement du droit exclusif de distribution, même si le contrat de licence interdit expressément la revente de la copie.
La Cour considère que l'épuisement du droit peut concerner aussi bien les copies sur support matériel que les copies téléchargées, car, dans le cas contraire, cela créerait une discrimination entre les modes de distribution et permettrait à l'éditeur de contrôler la revente des copies téléchargées, alors même qu'il ne peut pas le faire pour les logiciels vendus sur support physique.
Il est intéressant de noter que l'épuisement du droit, selon la Cour, porte aussi bien sur le logiciel vendu initialement que sur la version ayant ultérieurement bénéficié de mises à jour, dès lors que les modifications font partie intégrante du programme qui peut être téléchargé.
En revanche, cette liberté de revente n'est pas absolue. La Cour pose en effet une limite importante, qui consiste dans l'obligation, pour l'acquéreur initial d'une copie du logiciel, de rendre le programme inutilisable sur son ordinateur. Il doit donc le désinstaller et supprimer les fichiers qui permettraient éventuellement de le restaurer. La solution est logique : l'épuisement du droit de distribution ne constitue pas une exception au droit de reproduction ni au droit de représentation du logiciel. N'ayant plus de droits de licence, l'utilisateur initial ne peut plus légitimement utiliser le programme.